Gouvernance et numérique : le conte du roi Rholmud

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Il était une fois dans un pays fort peuplé un roi qui s’appelait Rholmud. Fort entouré de nombreux conseillers au sens politique affuté et assisté de techniciens brillants et savants, ce roi voyait son pays perdre progressivement de sa superbe en regard du grand monde qui peuplait la même planète que lui. Percevant cette lente évolution et souhaitant faire retrouver à son pays le lustre d’antan, il décida d’aller lui-même, entouré de quelques-uns de ses congénères, rendre visite à la planète terre et plus précisément au pays appelé France. En effet, sur la base d’informations transmises par les grands organismes internationaux de la planète terre, il lui semblait que ce pays avait bien des similarités avec le sien, en particulier pour ce que l’on appelait déclin.  Aussi décida-t-il donc d’entamer ce voyage non seulement dans l’espace mais aussi dans le temps.
Car je ne vous l’ai pas dit, mais dans le pays du roi Rholmud, la dimension du temps est différente de celle de la terre : le gouvernement peut choisir le temps, l’époque à laquelle il souhaite faire vivre son bon peuple. C’est parce que ce qu’il voyait que, quel que soit le temps choisi rien ne changeait qu’il était particulièrement attiré par ce pays qui avait su vivre des révolutions aussi radicale que celle de 1789 mais aussi celle du XXè siècle qui lui avait vu vivre tant de guerres si meurtrières et qui pourtant n’avait pas disparu, malgré sa petite taille. Mais ce qui attira surtout le roi Rholmud c’est que la France, qui elle vivait le temps de manière linéaire, semblait être en train de vivre une période nouvelle de révolution : celle du numérique. Aussi choisit-il d’explorer ces différentes périodes et de comprendre comment un pays qui avait vécu une telle révolution pouvait en affronter une nouvelle d’un autre genre. Car dans le pays du roi Rholmud, le numérique qui était vu comme un dieu dont les effets méritaient d’être analysés pour mieux éviter le déclin.
Au cours de la visite, le roi et ses congénères choisirent de s’intéresser à l’éducation car dans leur pays, on en connait la valeur depuis longtemps. Ce qu’ils ont trouvé est particulièrement intéressant. D’une part ils ont vu que pour éduquer les jeunes on les enfermait dans des boites appelées écoles, collège, lycée, université, etc. Dans ces boites tout y est organisé de manière très précise : les horaires, les activités, les repas, etc… Ils y ont surtout découvert une chose étonnante : les responsables politiques avaient tous un rêve commun pour leur population et en particulier pour leurs jeunes. Ce rêve c’est de pouvoir dire ce que chacun des administrés fait à un instant T. Ainsi dans ces boites non seulement ils voulaient le savoir mais surtouts ils voulaient l’imposer. Dans ce pays, et tout au long des trois cents années observées par le roi et ses congénères, les politiques n’avaient de cesse que de réaliser ce rêve. Le roi était très impressionné de cela et voulut aller y voir de plus près. Grace aux pouvoirs de transmission de pensée, habituels dans sa planète, il envoya ses 25 conseillers dans autant d’établissements scolaires. Il leur donna rendez-vous, par transmission de pensée, un vendredi en fin d’après-midi. Après un premier tour d’horizon général, tous les conseillers lui confirmèrent cela : tous les élèves faisaient exactement la même chose, au même moment. Le roi, surpris de cette réponse, tant dans son pays cela était inconcevable leur demanda de poursuivre une deuxième semaine leurs observations mais en prenant soin de regarder si cela produisait les résultats escomptés : même pilotage, même résultat.
Pendant ce temps le roi rencontra le Marquis de Condorcet, Napoléon premier, Jules Ferry, Charles de Gaulle, René Haby. Il n’avait guère le temps d’en voir d’autres. Ce qui l’impressionna à nouveau c’est que tous lui confirmèrent qu’ils avaient bâti un système dans lequel tous les élèves de même rang faisaient la même chose au même moment. Le vendredi suivant, le roi rassembla à nouveau par la pensée ses conseillers. Mais ce jour-là, pour une raison inexplicable la liaison ne put se faire, pas de transmission de pensée possible. Malgré tout, quelques bribes d’idées avaient circulé et des mots comme inégalité, différenciation, élitisme, république, unique, socle, individualisation, pédagogie avaient pu être recueilli mais en dehors de tout contexte, ils n’avaient pas de sens apparemment.
De retour sur sa planète le roi reçu ses conseillers et leur déclara : « nous devons mettre en place un système qui oblige tous les jeunes à apprendre les mêmes choses au même moment, ainsi nous serons certains de la qualité de notre futur peuple ». Il ajouta « de plus il nous faut avoir un système qui permet de savoir ce que fait chaque citoyen au même moment, ce sera la loi pour tous ». Dans sa vision le roi Rholmud espérait ainsi que le déclin, qu’il pensait lié à l’esprit indépendant et frondeur de son peuple, serait ainsi enrayé. Parmi ses conseillers, l’un d’entre eux avaient demandé la parole et le « bon » roi Rholmud la lui donna. Il dit : Mon bon roi, j’ai entendu un discours étonnant du Président de ce pays que nous avons visité. Il disait qu’il fallait abandonner cette façon de faire car c’est elle qui amenait au déclin. Il ajoutait qu’il fallait donner de l’autonomie aux boites et les ouvrir à l’extérieur ». « Dis-moi » demanda le roi « d’où lui est venu cette idée ? ». « Oh c’est très simple, il avait écouté son peuple qui depuis près de trente années lui disait que ce n’était pas en donnant à tous la même chose qu’il obtiendrait le même résultat ». « Mais les présidents et personnages que j’ai rencontrés m’ont dit le contraire » lui dit le roi. « Sachez mon bon roi, qu’il y a aussi dans ce pays des gens qui sont opposés et qui disent rêver eux à la perpétuation de cette manière de diriger le pays. Certains ajoutent que c’est aussi une manière de diriger les esprits, les jeunes et de leur imposer ce qui est bon pour eux, et qu’ainsi on reviendra aux vieilles valeurs de la révolution de 1789 et de Napoléon et Jules Ferry. Certains ont même écrit une sorte d’évangile qu’ils ont appelé Jules Ferry 3.0, d’autres ont écrit des articles dans lesquels ils veulent faire disparaître une race dangereuse selon eux : les pédagogistes ». « Tu en as aussi rencontré ? ». « Oui quelques-uns et ils sont bien malheureux car ils font le constat que l’ancien modèle ne fonctionne pas et que pourtant personne ne semblerait vouloir en changer. » « C’est vrai ? » lui demande le roi. « Non bien sûr pas tous, mais ceux qui crient le plus fort sont ceux qui ne veulent pas changer ». « Que me conseillerais-tu ? » lui demanda le roi. « Peut-être d’essayer d’aller voir pas vous même sans écouter tous ceux qui vous entourent, ceux qui parlent fort et tous ceux qui, loin de la réalité quotidienne des familles de notre peuple, donnent leur avis d’expert sans jamais dire d’où ils tiennent leur titre ».
Fort de ces échanges et soucieux d’une bonne décision, le bon roi Rholmud décida de retourner voir la planète terre et d’observer ce qui se passe chaque jour, dans le quotidien des classes, des familles. Transformé, car le roi en a le pouvoir, tantôt en enfant, tantôt en parent, tantôt en enseignant et ce à plusieurs époques différentes, il se mit à observer, à analyser. Il s’intéressa en particulier aux dernières évolutions. Il se demanda pourquoi, alors que les enfants utilisaient si souvent les objets numériques à la maison, ils les utilisaient si rarement à l’école, alors que les enseignants avaient largement transformé leur tableau noir en écran projetés avec leur ordinateur. En fait il comprit rapidement qu’il était impossible d’imposer le même modèle à tous. Ensuite il se rendit compte que l’école créée il y a très longtemps avait fini par oublier l’intérêt des enfants au profit de l’intérêt des adultes. Et quel est l’intérêt des adultes, que les jeunes fassent comme eux adultes le pensent, et qu’ils obéissent le plus souvent sans poser de question.
De retour sur sa planète le roi Rholmud fit venir tous ses conseillers et il leur dit : « Pourquoi, vous qui êtes considérés comme experts, vous me cachez tant d’aspects de la réalité de ce que vit mon peuple ? ». « Pour que vous soyez heureux de votre peuple » répondirent la majorité. Certains ajoutèrent : « Si vous connaissiez la réalité, vous nous diriez que l’on ment ? ». « Vous me faites bien peu confiance et vous avez bien peur pour moi ! ». Il va falloir changer de façon de travailler. Si Jean de la Fontaine le, fabuliste de la terre, avait écrit « tout flatteur vit au dépend de celui qui l’écoute », je serais tenté d’ajouter « tout flatteur a intérêt à cacher la vérité à celui qui doit l’écouter ».
Voici ce que je vous invite à faire : « Allez au plus près du quotidien, analysez ce qui se passe, revenez me décrire ce que vous avez vu et me dire les besoins de chacun. Alors nous essaierons d’ajuster au mieux ce que nous proposons à chaque contexte. » « Si pendant tant d’année j’ai voulu tout voir tout savoir et tout diriger, c’est que j’ai été aveuglé. Malheureusement vous ne m’avez pas beaucoup aidé et au contraire vous m’avez dit qu’il fallait tout surveiller, tout suivre, tout diriger et surtout imposer aux plus jeunes un chemin unique et identique. Ce que vous m’avez caché c’est que pour vos propres enfants vous faisiez autrement et que vous leur faisiez suivre en plus d’autres chemins, et c’est comme ça qu’ils pouvaient prendre votre suite. Pourquoi leur avez-vous acheté les plus beaux ordinateurs et tablettes, quand vous condamniez les autres à très peu d’utilisation dans les écoles ? »
A l’audition de ce discours, les conseillers décidèrent de se réunir sans le roi. Certains étaient très en colère et disaient qu’il fallait l’empêcher d’agir. Certains même parlaient de la révolution française comme exemple. D’autres disaient qu’il faudrait utiliser les moyens numériques nouveaux pour mieux surveiller toute la population sans qu’elle le sache. Un des conseillers a même proposé de fabriquer un programme numérique qui pourrait diriger les esprits des jeunes et ainsi, sans leur dire et sans que le roi le sache, ils seraient conforme et obéissants.
Malgré tout, quelques conseillers décidèrent de rapporter ces propos au roi. Fâché celui-ci congédia tous les conseillers. Il leur dit : « désormais si vous voulez me conseiller, il faudra que vous me donniez la preuve que vous avez bien été au plus près de la réalité pour me tenir vos discours. Chaque fois que vous oublierez, je refuserai d’entendre votre discours. Prenez garde, conseillers, de ne pas vous entourer comme vous m’avez entouré. Car c’est aussi cela la dérive du pouvoir, quand les conseillers s’entourent eux-mêmes de conseillers qui leurs cachent la réalité du quotidien ».  » Quant au numérique, vous n’avez rien compris. Vous m’avez amené à renforcer les contrôles et la direction des esprits de mon peuple, mais j’ai pu observer par moi-même qu’il n’est pas aussi docile que vous me l’avez laissé croire. Au contraire même, le peuple est intelligent, il sait résister, détourner, contourner, mais aussi soutenir, encourager, partager. Mais ça nous ne le voyons pas aveuglés que nous sommes. Quand je regarde les usages quotidiens je m’aperçois qu’il y a là un gisement d’intelligence dont il faut que toute la société profite et pas seulement certains. Mais pour y parvenir il nous faut définitivement renoncer à croire que tous sont identiques et que tous peuvent être dirigés de la même manière. »
Quelques années plus tard, le peuple du roi Rholmud ne déclinait plus, il avait simplement trouvé sa juste place dans l’ensemble des pays et des planètes.  Ce que le roi avait compris, c’est qu’il tient son pouvoir du peuple. Il a pu le voir en particulier au travers des utilisations du numérique, devenu entretemps le meilleur moyen de comprendre et de partager avec son peuple.

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