Il y a si longtemps… le TBI…

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La publication d’un travail de recherche sur le TBI en milieu scolaire constitue un apport intéressant au vu du nombre de produits de cette nature vendus en France et dans le monde (en particulier au Québec et en Grande Bretagne). Le travail publié sous la responsabilité de Thierry Karsenty – http://tbi.crifpe.ca/files/Rapport.pdf – et réalisé avec ses collaborateurs et étudiants est d’autant plus intéressant qu’il arrive peu de temps après la remise en cause, judiciaire, d’un marché qui visait à équiper tous les établissements du Québec en TBI.
Ce document qui se veut un travail scientifique rigoureux, offre un regard assez large sur cette question particulière de l’apport du TBI pour les apprentissages. Cependant, quelques éléments de ce rapport posent question. C’est pourquoi après en avoir rappelé les apports, nous essaierons d’en faire une critique constructive.
En premier lieu saluons l’effort méthodologique aussi bien pour sa transparence que pour sa critique. Même s’il n’y a pas eu d’observation directe en classe de situations pédagogiques incluant l’usage ou non du TBI, on peut retirer des indicateurs intéressants auprès des acteurs concernés sur les modes de mise en oeuvre. Les enquêtes et entretiens donnent une bonne vision du ressenti, du vécu, mais déclaratives elles reposent, comme habituellement en sciences humaines, sur la relecture personnelle de l’action professionnelle. Or cette relecture est d’abord une réécriture du vécu au travers du prisme de ce que l’on veut en montrer. C’est ce qui fait qu’il est parfois difficile de trouver matière à aller plus loin dans la précision des pratiques présentées. L’analyse de la méthodologie confirme ce problème tout en le minimisant par rapport.
Citons d’abord ce passage important de la conclusion :
« Et il ne faut pas oublier que les résultats de cette étude montrent d’abord que c’est la façon dont l’enseignant utilisera le TBI qui aura un impact positif ou non sur les élèves en salle de classe. Ainsi, le TBI est un outil qui revêt un potentiel important pour l’éducation, mais c’est réellement ses usages, tant par l’enseignant que par ses élèves – et non l’outil en soi – qui seront déterminants. »
Encore une fois, il faut rappeler ce que l’OCDE avait montré encore récemment sur le besoin de pertinence pédagogique, le fameux « alignement pédagogique » (Biggs 1999) qui est toujours requis, quelques soient les instruments. Certes ce n’est pas nouveau (les auteurs l’ont écrit précédemment à l’instar de nombreux autres chercheurs), mais concernant le TBI, cela prend une force d’autant plus grande que les propos que l’on peut qualifier « d’illusionnistes » sur cet objet ont été à l’origine de nombreuses décisions d’achat…
Deux indications importantes peuvent être relevées, parmi celles principalement portées par les chercheurs :
– d’une part l’usage essentiellement en vidéo projection du TBI, mettant de côté les vertus dites interactives vantées par les commerciaux. Cela confirme des études et observations empiriques faites depuis de nombreuses années (cf. entre autres, nos propres articles sur ce blog ou sur le site du café pédagogique – voir les liens en fin de ce billet). Cette confirmation de nos observations déjà anciennes, amène à poser deux questions : quelle plus-value apportée par la visualisation numérique au format tableau ? Quelle définition donner à la fameuse interactivité vantée dans la dénomination même du produit ?
– d’autre part l’écart important entre les élèves et les enseignants sur l’usage du TBI en classe. Cet écart, que l’on retrouve dans de nombreuses enquêtes croisées, montre bien que tant sur un plan des perceptions/représentations que sur un plan méthodologique, il faut être prudent sur les résultats des enquêtes. Certes le croisement avec des entretiens est un plus intéressant, mais son intérêt est limité car s’il reste sur du déclaratif. Il est surtout non corrélé avec les questionnaires (en d’autres termes, pourquoi ne pas interroger les élèves et les enseignants sur leurs réponses personnelles au questionnaire).  De toutes manières ce qui impressionne toujours, c’est que les élèves marquent toujours leur intérêt pour le numérique (motivation, visualisation) alors que la perception d’usage est beaucoup moins importante que ce que disent les enseignants.
Ce rapport, qui tente aussi de parler de l’impact du TBI sur la réussite scolaire, évoque en réalité la perception et la représentation de cet impact. En effet, il manque deux éléments de recherche qui pourtant auraient été un enrichissement sérieux du travail : l’observation directe des pratiques en classe et la connaissance des produits appelés TBI et leur évolution. En l’absence de ces deux dimensions, il est très difficile d’aller en profondeur dans l’analyse des problèmes rencontrés. Pour avoir nous-même effectué ce travail d’observation directe dans les classes et l’analyse fine des artefacts fournis (la recherche TED, à propos de tablettes numériques, du laboratoire Techne) nous avons perçu l’importance méthodologique de cet approfondissement. De plus, en tant que formateur, nous avons souvent évoqué avec les enseignants, devant les appareils, ce qui posait problème. Or ceci n’est pas du tout évoqué, alors que c’est un élément très important. Nous proposons de reprendre ces deux questions importantes pour nous :
1 – Qu’est-ce que les TBI, TNI, VNI etc… ?
Observant depuis 2007 le développement industriel des TBI et leur déploiement en éducation, nous percevons une évolution importante du concept de TBI. Deux dimensions doivent être prises en compte : la dimension matérielle, la dimension logicielle. Sur un plan matériel les premiers modèles imposaient un réglage fin du rapport entre la projection, le mouvement de l’utilisateur (via des « simili » crayons numériques), et l’ordinateur. Ces réglages imposent d’abord une maîtrise logicielle. Or ces logiciels sont souvent complexes et fragiles (problèmes de compatibilité). Comme, de plus les réglages changent selon différents facteurs (place de l’écran, place du projecteur etc…), ce type de matériel impose une préférence aux installations fixes et immuables. Les offres mobiles sont intéressantes, mais supposent une maîtrise fine du processus d’installation. Or les choses ont évolué depuis dix ans. On voit arriver depuis deux années (au moins) sur le marché des tableaux tactiles qui connectés à l’ordinateur (HDMI plus USB) donnent une base d’interactivité assurée, sans réglage nécessaire et surtout rendant le matériel indépendant du logiciel. Car les logiciels fournis posent problème de par leur complexité, leur lourdeur et la multiplication des fonctionnalités. Il aurait été intéressant d’analyser plus finement l’usage de ces logiciels, dans cette enquête, car ils n’apparaissent pas indépendamment du matériel.
2 – Les pratiques en classe
Dans le contexte de classe, l’usage des technologies est un perturbateur par rapport à des pratiques antérieures sans celles-ci. Cette perturbation n’est pas a priori positive ou négative, mais elle modifie la configuration antérieure. Or l’analyse des changements et modifications induits par l’arrivée d’un TBI doivent être analysées, en complément des déclarations déjà éclairantes (cf. les éléments du rapport). Plusieurs aspects peuvent être évoqués, parmi d’autres : le choix des supports visuels et les contraintes de préparation, la lisibilité de l’écran, compte tenu des ombres et autres mouvements, la réactivité du support, l’ordinateur associé au TBI (car ils peuvent être fixes ou mobiles) etc… Il faut aussi évoquer un point qui fait fortement problème : adéquation du TBI avec les applications matières (didactique) spécifiques. L’évolution actuelle qui permet l’utilisation du TBI sans logiciel intermédiaire, rend possible l’utilisation de ces applications spécifiques, sous réserve qu’elles permettent un pilotage écran.
Dans un contexte de classe il est intéressant d’analyser la variable « interactivité/interaction ». Autrement dit comment le TBI est mis au service de cette possibilité qu’il revendique. Entre faire venir un élève au tableau et faire travailler un groupe d’élève devant un grand écran interactif, il y a des possibilités très diverses et très fines. L’enseignant de classe maternelle qui amène les enfants devant l’écran en fin de journée pour relire ensemble les activités à partir de photos et autres traces, donne une place différente au TBI de l’enseignant qui affiche une carte dynamique avec laquelle il joue devant les élèves pour leur expliquer une évènement historique par exemple.
Enfin ce qui peut poser question dans ce document, c’est la liste des recommandations faites en page 33. Outre qu’elles sont discutables car elles considèrent le TBI comme un instrument efficace alors que la recherche menée le met en cause, elles laissent de côté la dimension pédagogique et didactique. Le pragmatisme est à la base du propos : ils sont là, alors il faut les utiliser. Car finalement, c’est bien le peu de contextualisation de l’usage et de son analyse qui fait défaut. L’étude reste en distance avec les pratiques quotidiennes et leurs spécificités. Elle reste aussi indifférente aux type de TBI avec là aussi les contraintes spécifiques. Et enfin elle n’aborde pas la question des « modes d’usage » au sein de la classe de manière avancée.
Au-delà de ces critiques, qui sont autant d’incitations à poursuivre ce travail, on ne peut que saluer ce travail qui apporte un regard complémentaire et sans complaisance sur ce phénomène que constitue le succès du TBI auprès des décideurs. On pourra évoquer dans un genre un peu différent l’opération Sankoré qui visait à mettre en place des TBI dans les écoles d’Afrique francophone sub-saharienne. En élargissant le débat on peut s’interroger sur le sens des équipements massifs en matière de technologies numériques qui ne prennent pas en compte les réalités du quotidien scolaire et de ses contraintes. On ajoutera alors aux conclusions de nos collègues Québécois qu’une technologie quelle qu’elle soit, ne peut être pertinente si sa justification ne repose que sur les représentations de quelques décideurs le plus souvent peu au fait des questions aussi bien techniques que pédagogiques. Bref aller dans la salle de classe… cela permet d’observer mieux, d’analyser mieux, et de prendre des décisions plus adaptées…
A suivre et à débattre
Bruno Devauchelle

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  1. […] Open Sankoré : un logiciel libre pour le TNI Très attendu : par tous les enseignants en poste sur 2 établissements, chacun équipé de TNI, mais avec des logiciels différents (fichiers incompatibles) ; par ceux qui travaillent dans plusieurs salles d’un établissement équipé de plusieurs marques de TNI ; par tous ceux qui se sont trouvés en difficulté avec des fichiers TNI réalisés avec un ordinateur personnel qui n’a pas la même version de logiciel TNI que l’ordinateur de la classe ; par tous ceux aussi, qui trouvent que les logiciels de TNI sont difficiles à prendre en main car trop de fonctionnalités. Le logiciel Sankoré est simple. Il ne contient que les fonctions indispensables d’interactivité au tableau. Téléchargeable gratuitement sur le site Open Sankoré. Caractéristiques de Sankoré. Utiliser le logiciel Open-Sankoré 2.5 – Introduction. Il y a si longtemps… le TBI… – Veille et Analyse TICE. […]

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  7. […] Cette nouvelle pratique est d’ailleurs intégrée par des entreprises dans le cadre de leurs stratégies digitales de représentation sur internet. Une communauté d’internautes liés entre eux par un intérêt porté à la marque, peuvent ainsi participer à la création de contenus partagés. Pour exemple, Evian a proposé un site de curation, « The Source ». 1. . – Utilisation des flux RSS. Il y a si longtemps… le TBI… […]

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