Le blogueur, le journaliste et le scientifique… et l'enseignant

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La multiplication des débats sur les qualités des contenus de ceux qui s’expriment publiquement dans les médias de toutes nature pose plusieurs questions essentielles pour les éducateurs qui forment (ou tentent de le faire) les jeunes que ce soit à l’école ou en dehors.
A partir de ces questions trois mots clé me semblent devoir faire l’objet de notre réflexion : autorité, identité et vérité…
– Quelle autorité me permet de proposer de l’information sur un support quelqu’il soit ?
– Comment le fait de proposer de l’information s’inscrit dans la gestion de l’identité de celui qui s’exprime ?
– Quel degré de confiance et de vérite est-il possible d’accorder à de tels discours ?
 
L’enseignant qui tente d’amener les élèves à prendre conscience des processus d’élaboration et de diffusion de l’information se trouve confronté à deux difficultés : l’une personnelle, le discernement, l’autre professionnelle, le développement des compétences des élèves à faire face à cet environnement.Dans les deux cas, il doit identifier des réponses satisfaisantes à ces trois questions.
 
1 – Quand quelqu’un s’autorise à proposer ses productions aux autres, il s’inscrit dans un contexte qui rend plus ou moins possible la traduction de son intention en réalité. Dans le cas de l’auteur d’un livre, il devra passer par l’éditeur, dans le cas du journaliste ce seront les responsables de la rédaction, dans le cas du scientifique ce sera le comité de lecture, dans le cas du blogueur, ce sera l’auteur lui-même. Malheureusement les pistes sont en train de se brouiller parce que d’une part ceux qui proposent leur production utilisent de plus en plus des formes différentes de diffusion et que d’autre part les instances de validation, d’autorisation que sont les comités de lecture et autres conférences de rédaction ont parfois montrés de coupables légèretés et ont autorisé des publications sans discernement. Dès lors il ne suffit plus d’avoir un cadre institutionnel pour que son propos puisse faire autorité auprès du lecteur. Celui-ci doit donc faire preuve de discernement.
 
2 – La lecture de nombreux supports d’information et la rencontre avec de nombreux contributeurs de toutes sortes de supports m’ont appris qu’il ne faut jamais recevoir un propos sans tenir compte de la trajectoire identitaire de celui qui s’autorise ou est autorisé. John Dewey nous aurait parlé de l’intérêt… Pour ma part, m’inscrivant dans la ligne des travaux sur le développement du sujet (G. Pineau, JP Boutinet etc..) je ne peux qu’interroger les propos (les miens en premier bien évidemment) dans ce contexte de trajet. Cette dimension est extrêmement difficile à repérer car elle suppose une forte connaissance de l’auteur. C’est d’ailleurs le travail que font des chercheurs qui tentent de reconstituer a posteriori le sens d’une oeuvre, littéraire, scientifique, artistique… professionnelle. Si une quatrième de couverture, une instance universitaire nous donnent des repères sur les auteurs (souvent bien modestes), les journaux et encore moins les sites Internet oublient souvent de fournir des clés de lecture dans ce domaine. Ce sont d’ailleurs le plus souvent ceux qui sont proches de la démarche scientifique qui sont le plus explicites sur ce sujet. 
 
3 – Distinguer les propos pour le grand public de travaux scientifiques peut sembler simple. malheureusement l’observation des pratiques de réception par des publics adultes (enseignants principalement) me montre que si formellement on peut disserter sur le sujet, du coté du récepteur ce n’est pas si simple… Il me semble que nous avons tous de nombreuses difficultés à repérer les niveaux de validité des documents auxquels nous accédons, même si souvent nous faisons le fier en nous en défendant. Quelques exercices de comparaison de textes m’ont montré que pour de nombreuses personnes les choses sont loin d’être clair. L’un des effets les plus déplorables de l’inflation d’information est la confusion des registres d’expression. En effet les codes formels qui permettent de classer a priori l’information sont de plus en plus flous, même s’il reste quand même des repères. Mais même s’ils existent, ces repères formels sont de plus en plus ignorés. Toujours dans la même dynamique, le repérage de signes comme le nom de l’auteur, la date de parution, le contexte d’édition ne sont absolument pas maîtrisés par la plupart d’entre nous. Ains le lecteur est renvoyé le plus souvent à sa réception sensible et émotive du contenu. Or cette évolution favorise le propos manipulateur et défavorise le propos réfléchi. Pierre Bourdieu aurait pu transposer une partie de ces propos sur la télévision sur l’ensemble de la sphére informationnelle actuelle, s’il s’était situé du coté des lecteurs et pas seulement du coté des pouvoirs de l’édition médiatique. 
 
L’enseignant qui veut faire travailler ses élèves, le parent qui veut aider son enfant, dans un exercice d’accès à l’information sur des supports variés est davantage mis en difficulté maintenant que ces confusions se répandent. Si une information variée est un enrichissement, le risque est que celle-ci perde en qualité. Mais si une information est peu variée, le risque est celui du lien pouvoir/savoir qu’elle porte en elle-même (les régimes qui filtrent Internet le savent et l’exploitent). Il est toujours intéressant de consulter les auteurs d’informations, et leurs vecteurs de diffusion, issus de contextes culturels différents pour comprendre combien le discernement lorsqu’il est fait en amont est emprunt des « intérêts » de ceux qui s’autorisent ou autorisent.
 
Le lecteur est donc mis devant le fait accompli. Les débats entre blogueurs et journalistes en témoignent, la solitude du récepteur est de plus en plus grande. Du coup sa responsabilité au discernement aussi. Dans le monde enseignant les choses sont d’autant plus cruciale qu’il risque d’y avoir des « affrontements » dans ce domaine de l’information avec les élèves, les parents, voir les collègues. Il est donc urgent que l’éducation et la formation à la réception des contenus de toutes natures soit inscrit au coeur de tous les cursus d’enseignement. Les débats sur la littéracie sont souvent pauvres à mon avis, sur ce thème et cette approche de la question. Le sens critique et la prise de distance ne se décrètent pas, ils se travaillent effectivement… mais là encore on me dira souvent que l’on sait faire, avant de se retrouver soit même piéger…
 
A suivre et à débattre
 
BD

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