L'ordinateur et le statut de l'erreur

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Au cours d’une discussion avec des collègues sur l’apprentissage du français à l’école je me suis demandé si l’ordinateur n’était pas un bon révélateur de la culture enseignante à propos de la place de l’erreur, mais aussi révélateur de la culture des jeunes « nés avec ».
La volonté de maîtrise de l’ordinateur et plus globalement des TIC est une expression récurrente dans le monde enseignant, dès lors qu’il s’agit d’exprimer une certaine hésitation à l’intégrer dans la classe. Un grand nombre d’enseignants argumentent leur insuffisante maîtrise des TIC associée d’autres paramètres pour justifier un attentisme, une frilosité, un refus. Parmi ces autres paramètres, celui de la fiabilité de l’accès aux installations (soit trop instables soit trop contrôlées) a remplacé progressivement, mais pas partout, celui du sous-équipement. A celui-ci il faut ajouter l’impression de maîtrise supérieur des élèves souvent exprimée (même par le premier ministre en 1997…) mais aussi une maîtrise hasardeuse de la part des élèves qui pourrait poser des problèmes dans un contexte scolaire, lieu potentiel(?) de la bonne pratique.
Pourquoi des enseignants de français (ou de lettres ?) ont ils provoqué cette réflexion. Parce qu’au cours de nos échanges ils explicaient le désarroi des élèves qui constataient qu’en français on partait de 20 pour ensuite décompter les fautes en descendant parfois en dessous de zéro dans certains exercices, alors qu’en mathématiques c’est l’inverse…  Si l’exemple peut souffrir la discussion, il ne souffre pas la remise en cause de l’impression vécue par ces jeunes. C’est à partir de cette situation que j’ai mieux perçu que faute et erreur sont deux mots clés du vécu scolaire dans otre système. A cela s’ajoute l’indication que dans les enquêtes PISA, les jeunes français sont de manière significative ceux qui, le plus souvent, refusent de répondre à une question pour éviter de donner celle qu’ils pensent ne pas être attendue. Ainsi ce statut de l’erreur, souvent réduit à la faute dans l’imaginaire de l’élève, pourrait être un clef de lecture. Transposée à l’usage personnel de l’ordinateur et des TIC, il est aisé de remarquer que l’erreur ne devient que très rarement une faute, voire jamais si l’on s’en tient à l’avis de la machine. Il suffit de regarder un enfant face à une machine et ses logiciels pour se rendre compte que l’erreur est justement ce qui lui permet d’apprendre.
Dès lors se pose la question de la posture enseignante souvent rencontrée face au TIC en utilisant le même cadre de lecture. Serait-il possible de poser l’hypothèse que ce qui différencie l’enseignant de l’enfant par rapport à l’usage des TIC c’est la représentation que chacun se fait du statut de l’erreur ? N’est-il pas aussi possible de développer cette analyse en disant que l’organisation du contrôle dans le système scolaire induit la réduction de l’erreur à la faute par le biais de la note et la sanction associée ? Quand on observe des enseignants en formation (mais pas seulement) réagir face à leur erreur, on observe très souvent la réaction du fautif, comme si l’inconscient parlait ce rapport à la norme.
Introduire l’ordinateur et les TIC dans sa pratique d’enseignement c’est s’exposer à ce problème. L’analyse des comportements de certains pionniers (souvent en réflexion pédagogique) confirme cette analyse, leur vécu de l’erreur ne se traduit par la mise en oeuvre du couple faute/sanction. Mais l’analyse de la pratique de certains spécialistes face à ces situations est à l’opposé, comme si pour eux, l’erreur ne pouvait être admissible face à un savoir/pouvoir de référence dont ils sont les porteurs. Un jeune ne pourrait pas, pour eux, acquérir les compétences correctes en dehors de leur enseignement et surtout de leur contrôle, la faute serait ainsi inhérente à leur mode d’apprentissage. Si l’on transpose cette approche à certaines pratiques de la lecture dans un contexte scolaire il est probable que l’on rencontre les mêmes questions et les mêmes comportements.
L’envie d’apprendre, l’apprentissage s’appuient forcément sur l’erreur, mais une erreur qui devient aussitôt un obstacle, une énigme à résoudre. Si l’on réduit l’apprentissage à la soumission à la norme il est probable que l’on aura intérêt à fournir tout de suite au jeune les codes, et lui demander de les reproduire fidèlement, il n’y aura ainsi pas d’erreurs, seulement des fautes…. L’échec des modèles répétitifs et comportementalistes de l’apprentissage chez l’être humain est pourtant connu. Malheureusement l’imaginaire scolaire est peuplé de ces histoires qui risquent, face au développement constant des usages des TIC chez les jeunes, de marginaliser une institution qui risque de n’avoir plus qu’un rôle secondaire dans les trajectoires sociales, au risque de renforcer les nombreuses fractures que depuis maintenant près de 15 ans nous voyons revenir, loin de l’idéal scolaire qu’énoncent tants d’âmes généreuses
A débattre
BD

2 Commentaires

    • Guillaume Touzé sur 22 mars 2009 à 17:50
    • Répondre

    Je souscris tout à fait. C’est une des raisons du rejet des thèses de S.Papert.
    Sinon, j’arrivais à faire lire par mes élèves les boites d’alerte en cas de fausse manip. Cest tout à fait impossible avec les adultes, qui les font disparaître au plus vite, l’anglais a bon dos.

  1. En présentiel, la répétition des « erreurs » peut provoquer la crainte, et finalement l’incapacité à recommencer… Surtout quand les tentatives d’amélioration (cours supplémentaires, dispositifs d’appui, travail de groupe, multiplication des exercices d’entraînement…) ne donnent pas de résultats… Que dire à un élève qui, collé à une moyenne de 6 en maths, conserve cette moyenne malgré tous ses efforts ? N’y a t-il pas là risque de jugement de la personne (je suis nul, tout ce que je fais ne sert à rien…) ? Et on comprend alors le stress qui monte lors des devoirs, fondé sur une perte totale de confiance en ses capacités ET une rupture de communication avec l’enseignant… L’élève serait-il moins stressé devant l’ordinateur, devant des erreurs répétées ? Aurait-il un plus large éventail de procédés de remédiation / d’amélioration ? Pas sûr. Tout dépend de la qualité du matériel mis à sa disposition, autrement dit, de la qualité de l’individualisation du parcours. Comme dans un cours classique, finalement… Mais, allez savoir pourquoi, je fais davantage confiance à la machine (ce qui signifie : à ceux qui ont mis les activités pédagogiques dedans !) qu’à certains enseignants pour élaborer ces parcours individuels !

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