Pour un véritable métissage

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Le mot intégration est à bannir ! Parce que signifiant le fait qu’un corps étranger est transformé pour être accepté dans un milieu donné (ici l’école), le paradigme de l’intégration doit être remplacé par le paradigme du métissage. En effet, contrairement à l’intégration, le métissage suppose que chacun des deux termes se modifie. Or l’organisation scolaire n’entend pas, pour l’instant être remise en cause par ce choix du concept. Il n’y a pas de place pour les TIC dans la classe, telle qu’elle est. TBI ou ordinateur portable, boitiers ou écrans etc… n’ont rien à faire dans un milieu dans lequel le tableau, la chaise et la table sont les insignes incontournables de la norme. Nous sommes ici dans un changement culturel. Lorsque l’on voit des enfants dans une classe à même le sol, dans certains pays, ce qu’on veut pour eux en premier ce sont des tables des chaises, des crayons et un tableau…. afin de donner à la forme scolaire les signes qui lui vont si bien. Combien d’enseignants qui ont pourtant essayé de changer les sacro-saints rangs d’oignons n’ont pas baissé les bras devant l’obstination à l’ordre des choses….
Le paradigme du métissage suppose que l’on aille modifier le plus intime de la forme scolaire. En 1992 une directive enjoignait les programmes disciplinaires à signifier clairement la place que les TIC prenaient dans la construction des savoirs pour permettre aux élèves d’en prendre conscience, seules quelques disciplines s’en emparent réellement (et encore est-ce prescrit, la réalité est parfois toute autre comme m’en témoignait une enseignante de SVT prisonnière de « son programme » de « son heure hebdomadaire, de « sa salle mal fichue », de « ses élèves qui préfèrent du magistral » de son institution qui lui demande « ses notes, plusieurs notes » etc.
Le paradigme du métissage suppose l’on change les modes d’évaluation. Il y a bien longtemps que l’on a écrit que les effets des TIC sur l’apprentissage ne se mesurent pas avec des épreuves avec crayon papier. Tout comme la LV1 qui s’évalue à l’écrit au Bac et dont on déplore que les élèves n’en maîtrisent pas l’expression orale. L’exemple du B2i, celui du CECRL et bientôt celui du socle, à l’instar de la lente évolution de l’évaluation à l’école primaire, montrent que le problème de l’évaluation est centrale pour faire évoluer la forme scolaire. Si l’on recherche l’efficience à court terme, on comprend que la notation traditionnelle appuyée sur le découpage disciplinaire strict à encore de beaux jours. Si l’on pense à la formation tout au long de la vie on peut se poser des questions, surtout quand on considère l’extraordinaire déperdition des savoirs scolaires « non rentables » par la plupart d’entre nous. Les TIC permettent de basculer du produit au processus, autrement dit de s’intéresser autant à comment se construit la connaissance que ce que produit cet apprentissage. Or si le constructivisme est bien évoqué dans le rapport, il n’ aucun sens sans un changement radical de modalité d’évaluation.
Le paradigme du métissage suppose un changement de l’organisation scolaire. De nombreux enseignants ont bien constaté que la mutation la plus importante induite par les TIC et les ENT concerne l’espace temps de travail de l’enseignant. Cette évolution, constatée dans de nombreux milieux professionnels, est encore plus criante dans un milieu qui définit l’emploi par des heures de cours avant de le définir par des activités auprès d’élèves. Changer l’organisation scolaire c’est désynchroniser de plus en plus le temps de l’enseignement de celui de l’apprentissage. C’est réduire le premier au profit du second, mais renforcer l’accompagnement dans le second. D’ailleurs les réformes du primaire du LP et du Lycée ont amorcé ce changement. Après l’Aide individualisée, le soutien, les études, les modules, arrive l’accompagnement, mis en évidence par le rapport de R Descoings, il reste encore à définir, tant il est encore une coquille mal vidée qui comporte encore trop de ce que l’on faisait avant et pas assez de ce nouveau rapport des jeunes au savoir…. et à la construction des connaissances.
Le paradigme du métissage suppose un changement dans la conception de l’identité enseignante. Les mutations en cours rendent de plus en plus difficile les relations traditionnelles des enseignants avec les partenaires qu’ils ont au quotidien, collègues, hiérarchie, parents, et surtout élèves. Les TIC ont introduit des évolutions de la gestion des relations humaines qui mettent le système scolaire en grand écart par rapport à la vie quotidienne. Or ce qui se passe en dehors de l’école touche inévitablement les fondements mêmes de l’autorité, du rapport au savoir, de la solidarité, de l’égalité et bien sûr de l’équité. L’exemple du cahier de texte en ligne pour lequel nul ne se pose la question de savoir comment il change l’identité enseignante par rapport à la société est illustratif du renversement nécessaire. Si le cahier de texte en ligne peut avoir une place dans le système scolaire ce ne peut être sans conséquences sur l’identité des enseignants parce qu’ils offrent une surface de visibilité nouvelle, intéressante, mais qui demande une réflexion qui va au delà du simple « rendre des comptes aux familles »….
Le paradigme du métissage suppose aussi une évolution radicale de la conception de la scolarité dans une société qui a érigé la formation tout au long de la vie comme étendard mais qui fait tout pour en freiner l’évolution. Quand les jeunes revendiquent la réversibilité des choix d’orientation, ils évoquent cet écart entre un monde souple et un monde rigide. Ils sentent bien que derrière cette apparente rigidité (symbolisée par l’organisation scolaire) se cache une flexibilité indispensable (celle de la vie quotidienne). Les systèmes éducatifs qui semblent avoir les meilleurs résultats (encore faut-il se méfier de cette analyse) seraient ceux qui autorisent cette flexibilité. L’école, et ses défenseurs de la forme scolaire, est justement en train de se raidir au moment même où se développe ce besoin de flexibilité, au risque de l’incompréhension par les jeunes, et même par leurs parents…. Concevoir l’école comme un élément d’une chaîne tout au long de la vie n’est pour l’instant qu’un discours. Les TIC, parce qu’elles permettent le dépassement de toutes ces frontières, introduisent de facto cette flexibilité. Pour que l’école y trouve une place nouvelle elle doit renoncer à son « monopole intime ». Ce monopole est celui de tous ceux qui disent, à l’instar de ce que déclare le rapport Fourgous, reprenant certains propos parfois extrémistes, « on apprend rien sans école ». Cela prend des formes variées dans le discours, mais revient in fine à la même chose à chaque fois. Mais en réalité la question est « qu’apprend-on de plus, d’autre avec l’école ? ». Il ne s’agit pas de dire que l’école en tant qu’institution doive disparaître, mais bien qu’elle ne peut plus se considérer comme la seule légitime à pouvoir permettre des apprentissages parce qu’elle détient le monopole de l’enseignement….
Si l’on veut passer de l’intégration au métissage, il ne suffit pas de mesures souvent externes au monde scolaire (équipement, formation, ressources, le refrain traditionnel), il est nécessaire d’entamer une véritable interrogation sur l’ingénierie scolaire qui se fasse dans un cadre systémtique. Au risque, si cela ne se fait pas, de n’ajouter aux problèmes existants de l’école que de nouvelles difficultés qui, au lieu de faciliter la tâche des enseignants les mettrait encore plus en difficulté… Les enseignants ont aussi besoin de pouvoir s’acculturer, mais pas sans leur institution….
A suivre et à débattre… lors du prochain plan pour l’école numérique
Bruno Devauchelle

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