Les Landes, laboratoire de métissage…

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Pour mieux comprendre comment le paradigme du métissage peut s’appliquer à la place que les TIC peuvent prendre en éducation, il suffit de parcourir avec attention le bel ouvrage que le Conseil général des Landes vient de publier. Intitulé, à l’instar de l’opération, « un collégien un ordinateur portable » ce livre permet d’entrer dans le coeur du processus en cours.
C’est un livre qui donne à voir, tout comme la revue publiée régulièrement par le même Conseil général « en connexion ». Parce qu’il a pris le parti d’utiliser la photo comme cadre de la lecture textuelle, cet ouvrage invite à venir voir ce qui se passe. Ce que l’on observe c’est le processus de métissage, celui qui fait que petit à petit l’ensemble du monde scolaire concerné « tord » le cadre qui lui est imposé par la norme scolaire, pour petit à petit développer les usages de ces outils qui eux-mêmes tendent à s’adapter aussi à ce monde si particulier de l’école.
Les témoignages des enseignants, en particulier, rassemblés dans cet ouvrage viennent mettre en évidence la possibilité de changement, mais aussi les freins propres à l’institution scolaire. Mais parce que ces témoignages s’inscrivent dans un temps long d’expérience (8 années) ils mettent en évidence, au moins pour l’espace « intime » de la classe, et en particulier pour l’enseignant, la progression lente et inexorable d’une culture numérique dans le monde scolaire est en train de faire son chemin.
Ce qui est le plus intéressant à noter ici, c’est que les vrais difficultés sont liées aux contenus mêmes des enseignements, des didactiques associées et aux modèles d’enseignement pédagogiques prescrits par l’institution mère. En lisant les témoignages de mise en oeuvre, on voit bien qu’il s’agit souvent de faire mieux la même chose que l’on faisait sans avant. Or cette approche, à elle seule, est un frein à l’évolution réellement induite par les TIC dans la société (comme l’illustre bien l’évolution de la place de l’écrit dans les entreprises, par exemple). Le monde scolaire a ceci de particulier qu’en voulant favoriser la prise de distance avec l’éphémère du quotidien il fonctionne comme une isolation phonique, remplacer le réel par l’imaginaire du réel. Or avec les TIC c’est comme si le bruit de la ville avait fait son entrée dans la classe sans crier gare et que l’on essayait de refermer les fenêtres face à l’ouragan.
Ce livre présente une étonnante particularité, il montre les élèves, mais ne leur donne pas la parole. Pas de chapitre consacré directement à leur parole libre, juste quelques passages dans lesquels ils font irruption dans le paysage. Cette phrase de conclusion du texte de Céline Metton-Gayon (p.74) est éclairante sur ce point :  » Dès lors on ne saurait suffisamment rappeler le caractère précieux de l’apprentissage scolaire de l’usage d’Internet, permettant au plus grand nombre de maîtriser les fondamentaux d’une recherche en ligne ». Alors que l’auteur vient à peine de signaler le caractère inégalitaire d’un Internet sauvage (reprenant en cela l’idée de fondateurs de l’école obligatoire qui voulaient arracher les jeunes à la barbarie familiale), appuyé par les inégalités sociales et familiale, elle fait l’hypothèse du caractère égalitaire de l’enseignement scolaire actuel alors qu’en réalité l’école n’a cessé de prouver depuis longtemps (cf les travaux de Bourdieu et Passeron) son modèle de reproduction des élites confirmé chaque jour par les témoignages sur l’école. Non que l’école soit mauvaise en soi, mais qu’elle n’est toujours pas capable de ce métissage, et qu’elle préfère l’intégration, c’est à dire la transformation de l’autre (objet, personne) pour avoir droit de « cité » dans le monde scolaire.
Mais aussi ce livre montre les élèves, et bien. La qualité des photos, la mise en page, sont précieux, pour accompagner cette synthèse. Commence l’ouvrage par 32 photos d’élèves est un pari audacieux. Parce que ces photos ne font pas récit, elles interrogent. Et c’est peut-être là qu’elles invitent le lecteur à aller à l’écoute des jeunes et que plutôt que de les faire parler, les auteurs ont choisi un procédé expositif invitant le lecteur à s’interroger, à interroger les jeunes. Mon interprétation de ce choix est qu’il nous invite d’abord à penser l’élève comme au centre du processus éducatif, ou plutôt au commencement de cette culture et que les nombreuses photos disséminées dans l’ouvrage poursuit en nous proposant de ne jamais oublié ces jeunes et leur interaction avec le monde, scolaire, humain, technique, tel que nous les adultes leur proposons. En ne les faisant pas parler, il nous renvoie l’interrogation, et plus encore la responsabilité de ce choix d’introduire des TIC dans l’espace scolaire.
Une expérience de 8 années est enfin proposée à la lecture et à l’analyse. On n’en est plus aux effets d’annonce et autres coups médiatiques qui ont si souvent accompagné le déploiement des TIC dans l’école. On n’en est enfin à une observation de ce processus de métissage culturel en cours. Certes il y a encore du chemin à parcourir en particulier du coté de l’institution scolaire. Mais en tous cas, on peut aisément observer que les enseignants sont en train de changer. Même si c’est plus lent que les pionniers innovants peuvent le penser, c’est au moins un signe clair que face au prescrit scolaire, les acteurs de ce milieu sont capable de « développer du réel ».
C’est dans les temps longs qu’il est possible d’enregistrer de véritables changements. J’ai suivi et ou observé trois démarches de même type dans le monde scolaire et de la formation des enseignants, sur les mêmes durées au cours des dix dernières années. Force est de constater que le résultat est une véritable mutation culturelle qui ne peut s’exprimer que si le cadre institutionnel accepte de s’assouplir, de changer, bref de se métisser. Malheureusement, il est à craindre que nos sociétés occidentales ne soient prises dans le tourbillon du repli archaïque sur soi, prises par la peur de la perte de pouvoir, et que toutes ces évolutions ne soient « mal traitées » dès lors qu’elles invitent à changer nos modèles en place.
Saluons donc la qualité de l’ouvrage que l’on peut aussi consulter en ligne sur le site Issuu à l’adresse : http://issuu.com/1collegien1ordinateurportable/docs/livre
A suivre et à enrichir
Bruno Devauchelle

1 Commentaire

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  1. Pas inutile de réecouter Papert
    Il y a six ans, Seymour Papert revenait en France pour introduire un colloque. Sur la base d’un texte de 1976 dans lequel il s’exprimait à propos du futur de l’informatique dans l’éducation, il est invité à se positionner sur ce qui s’est passé en 25ans, puis de s’exprimer sur le futur.
    Le texte de 1976 : http://archiveseiah.univ-lemans.fr/EIAH2003/Pdf/n005-144.pdf
    La vidéo de 2003 (1h33 différente du texte) http://canalc2.u-strasbg.fr/video.asp?idvideo=1868

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