Acteurs ou établissement ?

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Deux documents récents émanant du Ministère de l’éducation se complètent en partie pour faire le bilan et fixer les axes du projet de développement des usages des TIC dans l’éducation. Ces deux documents méritent qu’on les interroge, mais on constate aussi que les critiques multiples à l’égard de ce plan méritent aussi réflexion, tant certaines d’entre elles sont parfois teintées d’idéologies… plutôt que d’analyse.
Le premier de ces documents, « Les technologies de l’information et de la communication (TIC) en classe au collège et au lycée : éléments d’usages et enjeux Les dossiers évaluations et statistiques – DEPP – N°197 octobre 2010 »  est téléchargeable ici : http://media.education.gouv.fr/file/197/18/9/Dossier197_158189.pdf . Le deuxième est le programme numérique présenté au salon Educatice par Le ministre intitulé : Plan de développement des usages du numérique à l’École 25/11/2010 et téléchargeable à l’adresse : http://media.education.gouv.fr/file/novembre/18/2/Plan-de-developpement-des-usages-du-numerique-a-l-ecole_161182.pdf.
Remarquons tout de suite que, dans la proposition ministérielle, le trépied traditionnel est présent, de manière directe ou indirecte : équipement, formation, ressources. Désormais un quatrième pied est rajouté : la formation des élèves. On sait bien évidemment que depuis la décentralisation, ce sont les collectivités territoriales qui pilotent les moyens, c’est bien pour cela que le volet partenarial est évoqué, tant les politiques nationales antérieures n’ont été souvent que des coups d’épée dans l’eau (en commençant par le plan informatique pour tous en 1985. Désormais, en matière de TIC à l’école, le ministère n’a pas la main complètement et il doit utiliser des contournements pour inciter les collectivités à mettre des moyens (politique des ENT, imposition du cahier de texte numérique).
Dans le document de la DEPP, il s’agit d’une enquête et de l’analyse des pratiques des TIC par les enseignants et par les élèves dans le cadre des apprentissages scolaire. L’intérêt de ce document est qu’il se base sur une enquête large et dont les résultats viennent tempérer de précédents rapports de la même DEPP dont on avait été étonné quant aux usages en classe.
Le début de la synthèse est un bel exemple de rhétorique, on ne peut résister à l’envie de le reprendre :
– L’usage des TIC en classe semble globalement répandu
La  quasi-totalité  des  enseignants  utilisent  les  TIC,  d’une  façon  ou  d’une  autre  (ainsi,  94 %  d’entre  eux déclarent  les  utiliser  à  des  fins  personnelles).  Toutefois,  si  95 %  de  l’ensemble  des  enseignants  ayant  répondu  à  l’enquête  déclarent  utiliser  les  TIC  à  des  fins  professionnelles,  ils  ne  sont  plus  que  80 %  à déclarer  les  utiliser  en  présence  des  élèves,  73 %  à  déclarer  les  utiliser  eux-mêmes  sans  manipulation d’outils TIC par les élèves, et 64 % avec manipulation d’outils TIC par les élèves.
– mais c’est l’usage « peu fréquent » des TIC en classe qui est le plus répandu
La fréquence de l’usage selon la classe doit être complétée par une fréquence de l’usage dans la classe. C’est  ainsi  que  si  73 %  des  enseignants  déclarent  utiliser  les  TIC  sans  manipulation  d’outils  TIC  par  les élèves, 13 % le font tous les jours, 19 % une ou plusieurs fois par semaine, 18 % une ou plusieurs fois par mois, 22 % une ou plusieurs fois par trimestre, (tandis que 25 % ne le font jamais ; 2 % de non-réponses). L’usage « peu fréquent » (moins d’une fois par semaine) concerne donc 40 % des enseignants. »
Voilà enfin un éclaircissement bien nécessaire tant on avait observé ce fait, mais dont la réalité était rarement montrée de façon aussi claire (elle rejoint une partie de l’enquête des Landes de juillet 2009). Même si l’on peut critiquer la méthodologie de l’enquête (questionnaire donc déclaratif), il faut reconnaître que la richesse des informations qu’elle contient mérite une étude plus approfondie. En particulier on remarque dans cette enquête les nombreux décalages (comme ceux signalés dans le début de la synthèse) voir des oppositions entre des réponses à des questions différentes. Ceci indique bien la difficulté d’enquêter actuellement encore sur ce domaine.
Au delà de cette présentation, ce qui retient notre attention dans le comparatif entre ces deux documents, c’est la différence d’approche par rapport aux acteurs : Comme l’écrit François Jarraud dans son éditorial du Café Pédagogique,(http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/11/26112010Accueil.aspx), il n’y a pas de volet pédagogique (formation, accompagnement, personne ressource… cela est peu lisible) mais par contre un fort volet institutionnel en direction (surtout indirectement) des établissements. Or les établissements, c’est justement ce qui manque à l’étude de la DEPP. Il est très étonnant que l’enquête menée n’évoque absolument ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’effet établissement ». Alors que dans le même temps le ministère s’appuie sur une stratégie pour « encadrer » le travail des enseignants dans des cadres numériques nouveaux pilotés d’abord à l’échelon de l’établissement (mais peu), puis, évidemment, à l’échelon rectoral rouage essentiel désormais.
Le seul lien réel qui est fait entre institution et acteurs de l’établissement dans le projet MEN est le suivant : « Dans chaque établissement, sur la base du volontariat, un professeur responsable du numérique pédagogique sera désigné, afin de conseiller le chef d’établissement dans définition et la mise en oeuvre de la politique numérique et dans l’identification des besoins de formation de ses collègues et leur réalisation. » A ceux qui critiquent une politique ministérielle centralisatrice ou encore une politique qui ignore la place des enseignants et des communautés, le ministère répond par l’adoubement d’un enseignant relais dans l’établissement.  Il est écrit ensuite : « Ce plan de formation au plus près de l’établissement sera complémentaire des formations académiques aux usages du numérique et aux formations en ligne. » On le voit encore l’échelon établissement est fortement mis en avant. Quand à l’enseignant responsable, de quel coté pourra-t-il se diriger : l’acteur centralisateur (le rectorat) ou l’équipe locale ? Ce fonctionnement qui est depuis longtemps celui qui fonctionne dans de nombreux établissement de manière informelle (souvent), en devenant reconnu statutairement change de posture, devenant une interface entre le pouvoir externe et le pouvoir interne; formaliser ce qui était informel risque de ne pas être simple…
Si la DEPP ne parle que des enseignants, c’est d’abord parce que c’était le point d’entrée initial prévu. Il semble désormais nécessaire de s’intéresser aussi aux établissements, tant le pilotage national et régional s’engage dans ce sens et tant cet échelon est depuis trop longtemps négligé par les pouvoirs publics. Or l’étude fait l’impasse sur cette dimension. Non qu’elle ne puisse être lue en filigrane, mais qu’elle n’est pas un objet de préoccupation. Ce qui est en train de se produire, et cela n’est pas sans faire débat, c’est que l’établissement, son responsable, le chef d’établissement et l’équipe qui le pilote vont progressivement prendre de l’importance (ce qui serait, étonnamment, un rapprochement de l’enseignement public vers l’enseignement privé sous contrat). En mettant de coté ce facteur local, on peut penser qu’il n’est pas encore opérant. Et pourtant les simples inégalités territoriales (collectivités obligent) sont déjà de bons indicateurs de soutien aux pratiques. En allant y voir de plus près, jusque dans l’intimité de la classe, il y a fort à parier que la perception de l’action au quotidien serait un peu différente. Mais surtout cela permettrait de prendre en compte d’autres facteurs dans le développement des usages des TIC dans les classes.
Cette vision décentralisée perçue comme menaçante – l’émergence des petits chefs perçus comme un risque par exemple -, va à l’encontre d’une vision centralisatrice – l’uniformisation des pratiques appuyées par les TIC – souvent dénoncée. Ce paradoxe est aussi celui qui fait rejoindre les partisans de la liberté et ceux du libéralisme. C’est aussi celui qui fait se rejoindre ceux qui ne veulent pas de pouvoir locaux et ceux qui refusent le pouvoir central, tous les deux perçus comme menaçants. En quelque sorte c’est une alliance des extrêmes qui laisse le champ libre à une nouvelle forme de pilotage qui cherche à émerger en s’appuyant sur les TIC comme vecteur d’une nouvelle organisation : plus de liberté locale pour plus de contrôle central.
Ce qui est incorrect de dire, c’est que dans tous les cas, il y a un imaginaire du contrôle qui traine au fond de chaque humain. Cet imaginaire est actuellement servi par le développement des TIC dans la société et maintenant dans l’école. Le développement des ENT, des notes en lignes, du socle commun en ligne, et du cahier de texte numérique, sans compte les livrets de suivi, de compétence et d’orientation qui s’expérimentent en ce moment sont les outils qui vont servir au passage de l’imaginaire au réel. Le sens est encore à construire, encore faut-il qu’il en soit débattu. C’est loin d’en être le cas, tant le parti pris idéologiques et les représentations prennent le pas sur l’analyse et l’observation base d’une véritable action fondée…
A suivre et à débattre
BD

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