Le fait de culture en éducation, une transmission seulement ?

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Transmettre des connaissances c’est avant tout partager ! Quand on analyse l’effet des sites de mutualisation, les espaces de partage en ligne, on s’aperçoit que du partage d’informations émergent des connaissances chez ceux qui participent activement à ce partage. Autrement dit plus on partage plus on transmet.
Malheureusement le discours ordinaire de la transmission ne laisse pas entendre cette approche : transmettre c’est déverser ! Et certains d’ajouter advienne que pourra… pour celui qui est recouvert de tout ce qu’on lui a transmis.
Le fait de culture est d’abord un fait de partage puis un fait de mutualisation. Si l’on convient qu’il faut restaurer une dimension culturelle dans l’enseignement, il faut donc favoriser la construction collective comme seul moyen d’entrer dans une culture. Cette construction casse entre autres la division traditionnelle entre les élèves et les enseignants pour la reconstruire sur de nouvelles bases. Il n’y a pas de culture sans collectif, sans référence au collectif. En mettant en avant la réussite individuelle dans la société, on annonce la disparition de l’accès à la culture et donc la disparition de toute culture possible. En réduisant la relation à l’écran comme une relation exclusivement individuelle, on promeut la même dynamique de mort de la culture.
Le rapprochement entre culture et transmission peut sembler bizarre si on les associe au mot partage. Ce qui émerge en ce moment (mais qui se développe depuis de nombreuses années), du fait des pratiques numériques de partage et de mutualisation, c’est l’élargissement d’une culture ancienne. Cette culture, celle du livre et de l’écrit, celle de la relation de pouvoir avec le savoir a été longtemps un monopole d’une minorité. La révolution française et Condorcet en particulier, puis Fourier, Godin Prudhomme ont combattu cet état de fait. Malgré la création de l’école obligatoire et gratuite pour tous, il n’en a rien été, la maîtrise de la culture est restée cantonnée dans des cercles restreints, ou tout du moins ce que l’on s’est évertué à nommer culture (et qui surtout constitué d’une partie seulement de la culture, celle qui permet d’asseoir un pouvoir).
Avec l’arrivée des possibilités offertes par les outils numériques, c’est la culture qui est bousculée, cette culture là. La véritable révolution est potentiellement là et nous observons sous nos yeux comment est menée la guerre entre les deux époques. La reprise en main du web tentée par les médias traditionnels, la frilosité du monde scolaire face aux technologies de l’information et la communication, sont des éléments de cette guerre de la culture. Parce que le partage et la mutualisation n’appartiennent potentiellement plus à des cercles restreints, ne sont plus piloté exclusivement par ceux qui disposent du pouvoir politique, il y a risque. Fort heureusement pour les pouvoirs en place, les institutions sont résistantes et les cadres suffisamment rigide pour écarter de telles révoltes culturelles. Mais les nouveaux pilotes du potentiel de développement culturel sont de deux sortes : les acteurs pilotes de l’économique, la population elle-même. Si le premier l’emporte, alors Patrick Le Lay avait raison d’agir et de dire ce qu’il proposait. Le pouvoir économique s’inféode alors le pouvoir politique et dirige ainsi l’essor culturel possible à l’aide du numérique. Si le second l’emporte, il y a risque de remise en cause profonde des structures anciennes de notre société, comme on a pu l’apercevoir dans les révolutions récentes de l’Afrique du Nord.
Le fait de culture à l’ère du numérique (pour reprendre l’expression proposée par Jean François Cerisier de l’université de Poitiers) est donc un fait dans lequel le partage est central. L’observation des pratiques de partage invite à rester modeste et à éviter tout enthousiasme prématuré tant elles s’effectuent d’abord dans les cercles restreints. On ne communique régulièrement qu’avec une dizaine de personnes en moyenne. Mais au delà des pratiques ordinaires de la vie quotidiennes il y a les pratiques qui peuvent être promues, incitées, développées. Or le monde scolaire pourrait être un terreau très riche pour inventer ces nouvelles pratiques. Lieu de transmission, l’école peut-elle devenir lieu de partage ? Oui, mais à condition de repenser son projet et son organisation. Et pourtant on y trouve déjà les éléments de base, tant dans les CDI que dans des espaces partagés ou des moments privilégiés comme certains projets, certains enseignements d’exploration au lycée, ou encore certains moment d’accompagnement personnalisé. Ces moments sont le plus souvent fondés sur le partage et sont éloignés de l’évaluation normative qui est au coeur du processus de scolarisation traditionnelle.
Parce que le numérique rend possible un accès élargi à la connaissance, il est envisageable de le mettre à contribution pour que le fait de culture soit au coeur du moment scolaire. Mais le numérique ne peut rien à lui seul et il n’est exclusif d’aucun autre vecteur, moyen, dispositif. Au contraire il est presque en filigrane de ces dispositifs et les potentialise. L’observation des réalités scolaires actuelles invite donc à être prudent car les réalités culturelles en place sont encore largement basée sur un modèle séculaire et donc difficile à bouger. En amenant chacun des acteurs à faire sienne la définition anthropologique de la culture comme étant le fruit de l’élaboration de l’homme, on commence à déplacer les représentations par le fait que l’on passe d’un objet extérieur à un objet intérieur. C’est ce déplacement qui est fondamental pour engager les évolutions qui suivront. Ce que chacun de nous fait du monde qui l’entoure est, a priori, également respectable, que l’on soit jeune ou vieux, enseignant ou élève. Sur ce respect initial on peut bâtir le partage et donc, selon notre modèle, la transmission. Mais pour que ce processus de développement culturel s’enrichisse, il faut que chacun des acteurs puisse se situer clairement et en particulier identifier ce qu’il est en mesure d’apporter. La démarche que l’on retrouve dans les réseaux d’échange réciproque des savoirs est, dans ce domaine éclairante. Malheureusement le cloisonnement du monde scolaire, dans le temps (enseignement initial) et dans l’espace (lieux fermés), est un frein à ces approches. L’éducation populaire, qui tente de remédier à cela se heurte lui aussi aux cloisons, mais de l’extérieur et peut-être aussi tenté d’en créer d’autres.
L’évolution de nos sociétés, aussi bien au Nord qu’au Sud nous amène à repenser le fait de culture en particulier à cause du numérique. La possibilité d’estomper des frontières est rapidement combattue par la volonté d’en remettre. Il se trouve qu’Internet et le Web on ouvert une brèche importante dans les cloisonnements antérieurs. En cela ils ne font qu’accompagner un mouvement très ancien (commencé avec les grands voyageurs dans l’histoire) mais qui n’agissait qu’à une échelle très réduite. C’est le changement d’échelle qui donne l’impression de nouveauté, mais c’est une dynamique qui se développe depuis longtemps et qui, grâce au métissage, a rendu possible le développement culturel de l’humanité toute entière. Avec le numérique, le métissage s’accélère, il fait souvent peur, mais s’il ne se transforme pas en uniformisation, sous l’effet de l’industrialisation et des flux commerciaux, alors il sera enrichissement culturel… et alors l’éducation retrouvera tout son sens et la transmission sera vraiment un partage.
A suivre et à débattre
BD

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