L'informatique va-t-elle se séparer de la culture numérique, voire de la culture ?

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La place prise par le numérique dans la vie quotidienne est en train de renvoyer en arrière plan l’informatique. Autrement dit, et cela est continu depuis plus de trente année, l’informatique est enfouie de plus en plus profondément derrière les usages du quotidien et en devient de moins en moins repérable, perceptible, dans toutes les dimensions que cela implique. Cela a pour principale conséquence la marginalisation progressive des savoirs faire technique pour laisser la place, non pas aux usages comme on le dit trop souvent, mais à une véritable culture issue du numérique. Pourquoi dire culture issue du numérique et non pas culture numérique. Comme nous l’avons écrit en conclusion d’un article collectif publié dans « les cahiers du numérique » (B. Devauchelle, H. Platteau, JF Cerisier, vol5 n°3/2009, pp51_69),  au mois de septembre 2009 à propos des C2i niveau 2, c’est la « culture générale », qu’un si bref billet ne nous donne pas l’occasion de développer, qui est désormais concernée plutôt que les aspects de maîtrise technicienne qui ont été les préoccupations premières dans années 60 et 70.
La machine informatique s’estompe de plus en plus et on peut penser que l’avenir du « nuage » (cloud…) logiciel qui va nous environner de plus en plus va encore renforcer cet aspect. La perception de la machine informatique va de plus en plus se résumer à un écran… et des moyens d’interactivité (tactiles, clavier, stylets etc…). Il suffit d’observer le développement des téléphones portables devenus terminaux mobiles connectés « aux réseaux ». La coup formidable d’Apple est d’avoir réussi à imposer ce changement culturel (mais on sait que la différence entre Apple et nombre de ses concurrents est d’avoir toujours pensé le problème informatique en termes de culture et non pas en terme de technique, en dépassant de plus une approche par les usages pour s’élever au niveau des idées, des concepts). A se battre avec des systèmes d’exploitation compliqués, on a oublié que l’essentiel, sur un plan culturel se situait ailleurs.
Il n’y a pas de culture informatique ! pourrait on dire à titre de provocation, il y a une Culture, au sein de laquelle des techniques transforment radicalement l’être au monde de chacun de nous en se basant sur ce que l’homme a été capable de construire, autre élément de culture (cf la définition anthropologique de la culture). Comme le silex et le feu ont transformé le rapport de l’homme à la nature, le numérique continue cette transformation en y ajoutant celle du rapport de l’homme à l’homme. On peut certes craindre le pire, mais on peut aussi y trouver le meilleur.
Dès lors quelle éducation est nécessaire ? On reprendra rapidement ici cette idée que l’enseignement ne peut être la bonne à tout faire de la société, mais qu’il en est un des maillons au sein du cadre plus large que constitue, en continuité avec lui, l’éducation. Cette éducation qui n’est pas seulement parentale, mais aussi environnementale au sens où ce qui environne le quotidien participe de l’éducation de celui qui y vit (demandez à ceux qui vivent dans le dénuement ce qu’ils en pensent ?). Une « Education Culturelle » peut-elle exister en dehors des modèles canoniques prônés par les classes dominantes intellectuellement et financièrement ? Ces modèles, dont Olivier Donnat montre des aspects perceptible dans son analyse des pratiques culturelles des Français, sont ceux d’une mise à distance de l’immédiateté pour mieux, ensuite, la manipuler, la dominer. Dominer l’immédiateté serait donc au coeur de l’éducation culturelle ! Si l’on relie cette approche à l’histoire des moyens d’information et de communication, on ne peut que constater l’urgence de s’emparer de cette question. Si l’on remarque que les classes dirigeantes ont longtemps su en profiter pour dominer la société, on peut s’apercevoir qu’elles ont été mises en difficulté dès lors qu’elles en perdaient cette capacité. Autrement dit, une vision « culturelle » facilite la prise de contrôle du monde environnant et que céder à l’immédiateté c’est prendre le risque de perdre le contrôle, de se mettre sous dépendance de ce qui nous environne « immédiatement ». Le passage du manuel au technique et du technique au technologique semble s’inscrire dans le même mouvement collectif qui vise à cette éducation culturelle. Malheureusement tout le monde n’y a pas forcément intérêt dans une société de concurrence…
Culture informatique, culture de l’information, culture des médias, culture numérique…. trop de culture tue la Culture !!! La confusion des définitions ne doit pas faire perdre de vue la cohérence interne de ce mouvement qui s’inscrit dans l’histoire de l’évolution de l’homme avec les techniques qu’il a inventées. L’appel à l’éducation des parents, l’appel au rôle de l’école, l’appel aux autorités politiques (CSA) et judiciaires (Hadopi) ne doivent pas nous tromper. La responsabilité de chacun de nous est interrogée, non seulement pour notre propre devenir individuel, mais aussi et surtout pour notre capacité à vivre ensemble dans cet univers. La question technique est en train de disparaître, mais elle ne doit pas être ignorée, au risque de l’esclavage ou de la perte d’autonomie (cf n°53 de la revue Hermès consacrée à « Traçabilité et réseau » (CNRS) ou encore le livre de S Tisseron et B Stiegler, « Faut-il interdire les écrans aux enfants ? » (éditions Mordicus). Cependant elle doit être resituée et interrogée de manière de plus en plus fine et surtout en lien avec l’ensemble des « cultures » évoquées ici et non pas indépendamment. Le risque d’une approche que l’on peut qualifier d’analytique, serait de perdre de vue, comme l’évoquent aussi bien Edgar Morin que Michel Serres, la complexité toujours renouvelée du monde…
Pour illustrer ce questionnement, voici l’exemple de ce qui se passe en ce moment en France
A lire les annonces du projet de réforme des lycées généraux (option de terminale) et lycées technologiques (annonce d’option en STI) on peut s’interroger sur le fond du débat autour de l’informatique et de la culture numérique. Lors du débat organisé en 2008 à Educatice par l’EPI, on avait pu percevoir que ce sillon se creusait. L’insistance de cette association pour continuer dans le même sens est en train d’aboutir à l’inverse, selon moi, de la vraie question qu’ils posaient : quelle maîtrise de l’informatique technique pour tous ? Ayant été entendue sur un enseignement optionnel au lycée général et une option au lycée technologique en STI (mais reconnaissons que les choses étaient engagées depuis longtemps en STG), on se retrouve avec la même situation qu’en 1985 avec l’option informatique et l’option H en lycée… Cela mérite réflexion, mais là n’est pas le problème que je souhaite aborder ici. Pour ajouter à l’ironie on s’aperçoit que même le B2i est mis en sourdine, jusque dans les réflexions des politiques qui ne reparlent plus désormais que de l’éducation aux médias (en attendant les conclusions de la mission Fourgous) sans même distinguer les spécificités des nouvelles formes d’information communication développées sur la base du numérique et de l’informatique.
A suivre et à débattre bien sûr
Bruno Devauchelle

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