L'humain technologique : quand le rêve devient réalité virtuelle !

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Récemment sur ce blog avait été évoquée la nécessité de ne pas oublier l’histoire des nouveautés. C’était à propos de la « réalité augmentée » et des « serious games ». Alors que les colloques et autres débats se multiplient sur ces thèmes fort vendeurs, il est nécessaire de les re-situer non seulement dans leur dimension historique, mais aussi dans leur dimension anthropologique. Qu’est-ce que cela veut dire ? Tout simplement que réalité augmentée et serious games ne sont que de nouvelles projections de l’humain sur des objets technologiques.
Ainsi la « réalité augmentée » n’est pas grand chose d’autre que l’imagination et le rêve éveillé, désormais soutenu par les technologies. Autrement dit la technologie rêve à notre place.
– Ainsi je me promène en été dans les montagnes et grâce à mes lunettes spéciales, je peux voir ce que ce paysage deviendra en hiver…. Les promoteurs des années 60 qui ont développé l’or blanc n’avaient-ils pas dans la tête cet outil à réalité augmentée ?
– Souvent en m’endormant je me mets à relire des moments forts de la journée et là, miracle, sans technologie, je revois mon aventure du jour enrichie de toutes mes envies et mes rêves, j’augmente ainsi une réalité vécue…
– Parfois en lisant un livre ou en vivant une situation, mon esprit divague et j’ai l’impression de voir devant mes yeux des choses qui n’y sont pas. Le temps de reprendre pied dans la réalité et ces choses disparaissent.
Le premier, et finalement presque le seul « serious game » c’est la vie. Ainsi imaginons quelques jeux sérieux :
– Réussir ses études ? Dans ce jeu vous choisissez un profil initial et ensuite vous devez tenter d’aller le plus loin possible dans vos études, voire dans votre insertion professionnelle. Au cours de votre itinéraire vous rencontrerez des établissements, des profs, des conseillers, vous passerez des examens, votre stylo tombera en panne au mauvais moment etc….
– Construire une famille ! Dans ce jeu vous commencé en étant un jeune de 15 ans et vous devez parvenir à construire une famille. Au début du jeu vous vous fixez votre rêve. Ensuite vous entrez dans le jeu et là vous devez affronter toutes sortes d’obstacles pour parvenir à réaliser votre rêve ou échouer…
– Viellir ! Dans ce jeu vous avez 50 ans et vous envisagez vos prochaines années, jusqu’à votre mort et votre succession. Vous choisissez une situation de vie et entrez les paramètres associés. Ensuite vous devez mener les dernières années de votre activité professionnelle et conduire votre vie familiale de manière à aller jusqu’à la fin de la vie en évitant de mourir seul au coin d’une rue en plein hiver, lors d’une vague de froid….
Ainsi donc ces deux objets de pas mal de bruit en ce moment ne sont qu’une simple projection technologique de ce que l’homme fait déjà naturellement. Quand le pilote d’une avion de chasse voit s’afficher devant lui sur le masque en superposition de la réalité des indications complémentaires, il obtient avec la technique, ce dont il rêve : avoir toutes les informations immédiatement disponibles au bon moment. S’il n’avait pas ces technologies, il mettrait beaucoup plus de temps pour obtenir le même résultat. Parce que l’homme modifie ses conditions de vie, il se trouve obligé de construire des objets techniques qui les accompagne. Autrement dit ce n’est plus de la réalité augmentée, mais de la réalité virtuelle.
Ce qui me semble devoir être réfléchi en termes d’éducation et d’enseignement, c’est justement ce rapport à la réalité. Or l’école est un lieu de réalité virtuelle (pas toujours augmentée). La difficulté est justement ce passage vers la simple réalité qui s’avère difficile pour tous. Les serious games sont comme les simulations des outils pour aider à aller vers la réalité matérielle à partir d’une réalité virtuelle. La question d’éducation, comme le montre François de Singly dans son dernier ouvrage « Comment aider l’enfant à devenir lui-même » (Armand Colin 2009), est d’abord celle de ce passage que les adultes doivent accompagner. Et la question est justement celle de la forme de cette accompagnement. L’exemple du téléphone portable est assez illustrative de cette difficulté à accompagner. N’est-ce pas de la réalité augmentée que de pouvoir téléphoner au moment où je me pose une question et obtenir une réponse qui va me permettre d’agir dans le monde réel dans lequel je circule ?
La question principale est pour moi de savoir si « les béquilles ne vont pas se transformer en prothèses ? ». Le risque que présente le développement de ces outils est d’empêcher d’accéder à la réalité matérielle. Or l’enseignement scolaire, parce qu’il est justement en dehors d’une certaine réalité est déjà confronté à ce problème qu’il a souvent bien du mal à aborder et à gérer (cf la réforme des lycées et les questions de l’accompagnement et de l’orientation). Pour s’en sortir il va être nécessaire de bien penser la place de ces outils pour éviter qu’ils ne créent de nouvelles dépendances, qui sans être des addictions seront surtout de nouveaux esclavages….
A débattre
BD

3 Commentaires

    • ptravers sur 23 décembre 2009 à 13:01
    • Répondre

    Aide ou pas pour les élèves, il est certain que tous les moyens d’info et d’aide mis à disposition aujourd’hui ne sont QUE des moyens d’info et d’aide. Je te rejoins donc sur cette « dépendance », béquille qui pourrait devenir prothèse.
    Ils ne remplacent en aucun cas le travail et la réflexion personnels, ce que de nombreux élèves ont aujourd’hui du mal à concevoir. « Pourquoi perdre mon temps à réaliser moi-même ma dissertation alors que quelqu’un a mis une correction en ligne? »
    La réalité virtuelle que représentent les exercices scolaires et académiques sont perçus comme tels par nombre d’élèves. Ils ne saisissent pas la nécessité d’une formation à la réflexion personnelle.Réfléchir est un « art » qui s’apprend. Notre travail consiste donc souvent à leur faire prendre conscience qu’Internet et les TIC en général lorsqu’ils sont mal utilisés, sont une formidable source de « prêt à penser ».
    Nouveau(x) problème(s) alors: Que doit-on traiter avec les élèves dans l’immensité du Web qui chaque jour rebondit sur de nouveaux articles, buzz, polémiques, tweets etc et qui sans réflexion critique posent le problème de la qualité (ou pertinence) de l’information? Quelle est la légitimité de la parole institutionnelle du professeur face à une débauche de commentaires et d’articles parfois médiocres (voire mensongers)laissés par le quidam moyen? Pourquoi toutes les opinions ne se valent-elles pas même lorsqu’elles sont publiées en ligne? (C’est écrit donc c’est vrai!)Enfin, quelles perspectives pour l’enseignement des humanités(celles sur papier et qui ont formé notre conscience critique) et des classiques dans l’univers parfois un peu auto-centré du Web 2.0?
    Je n’apporterai pas de réponse, certaines paraîtront évidentes à certains, j’essaie ici simplement d’envisager différents aspects du problème.

    1. Je découvre chaque jour le malaise des adultes eux-mêmes face à ce monde Internet, et en particulier celui des enseignants et éducateurs. Le travail et la réflexion personnelle est parfois aussi absente chez les enseignants que chez leurs élèves, mais sur un autre mode. Cette différence de modalité ne doit pas cacher la nécessité pour les enseignants d’engager un véritable « travail » de reconquête de la « pensée personnelle ». Malheureusement le quotidien n’a pas l’air de révéler qu’on en prenne le chemin, pour l’instant. En tout cas poursuivons aussi cette tâche dans nos blogs et aussi nos interventions auprès de nos collègues. Et en premier lieu soyons pour nous mêmes exigeants…
      BD

  1. D’accord pour les réserves sur les technologies de l’information comme prothèse qui dispenserait d’un travail nécessaire d’imagination et de réflexion.
    Cela étant dit, une telle prothèse ne peut-elle pas se concevoir comme un échafaudage qui aide, voire autorise, un accès à un univers de perceptions et d’actions qui sont difficilement accessibles par la majorité des jeunes apprenants. Cet échafaudage permettant de construire un savoir et des compétences solides, personnelles et authentiques.
    Je prends l’exemple de l’enseignement des mathématiques qui est mon domaine. Les « bons élèves » dans cette matière sont en général ceux qui parviennent à voir des objets non dessinés, à faire bouger des éléments liés entre eux et visualiser les conséquences, à saisir le caractère général d’une propriété, à identifier les éléments pertinents d’une situation au regard d’un problème posé, à transposer une compétence dans diverses situations d’apparence différente. Tout cela s’appelle la capacité d’abstraction. A mon sens, l’élève qui possède cette faculté n’est pas nécessairement plus « intelligent » qu’un autre. Simplement il voit des choses qu’un autre ne voit pas, et ces choses sont simples, et accessibles à toute raison.
    Si on donnait à chaque élève la possibilité de voir ces entités abstraites, de les manipuler, d’expérimenter, alors je pense que l’on permettrait à tous les élèves d’accéder à ces idées simples, et de devenir compétent dans le domaine des mathématiques, des sciences exactes, et au-delà. Or la réalité virtuelle permet cela. Il reste à développer un univers cohérent et ludique qui met enfin véritablement en oeuvre ces principes.

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