Avec ou sans l'école, Apprendre quand même !

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Entre Sugata Mitra et Marcel Gauchet, on peut se demander qui a raison. L’un part d’une expérience dans un contexte particulier de pauvreté sociale, affective et intellectuelle et l’autre part d’un contexte social marqué par l’histoire de la scolarisation. Pour chacun d’eux il convient d’aller plus loin que quelques déclarations qui peuvent paraître « fracassante » surtout que leur médiatisation fait un effet d’amplification complexe.
Cependant quelques uns de ces propos méritent notre attention :
Récemment, Marcelle Gauchet dans une interview au journal Le Monde déclare « Parce que nous avons écarté le vrai sujet, qui est le chemin qu’il faut faire parcourir à chaque élève pour le faire entrer dans les savoirs. » puis, plus loin : « Rien ne serait plus dangereux que de reconstruire l’école sur le modèle d’une école pour adultes autodidactes. »
Sugata Mitra déclare à propos de l’école lui : « Ils ont créé un système si solide qu’on l’utilise toujours aujourd’hui, et qu’il continue à former des gens identiques pour un système qui n’existe plus. » puis il précise plus loi n : « La punition et les examens sont ressentis comme des menaces. Donc aujourd’hui on prend nos enfants, on empêche leurs cerveaux de fonctionner et on leur dit, « Travaille bien. ». Pour cela il propose de réfléchir à cela : « Et bien, j’ai essayé de construire cet Environnement d’Apprentissage Auto-Organisé [EAAO] ».
Partant chacun d’eux, à partir d’un contexte différent, ils parviennent à un questionnement commun qui concerne le chemin pour entrer dans les savoirs. Mais c’est là que les échanges divergent : la dimension « auto ». L’un en fait un danger, l’autre une chance. Comment analyser cette divergence et essayer d’y voir un peu plus clair ?
Disons en premier lieu que le danger premier en éducation c’est la recette. Non pas qu’il ne faille pas en avoir, mais c’est de croire qu’elle s’applique à tous et en permanence qui est dangereux. Le rôle de la recette, en éducation, ce n’est pas de dire ce qu’il faut faire, mais plutôt de nommer ce que l’on a fait. Malheureusement le premier réflexe est d’utiliser les recettes en éducation comme dans la cuisine. Et pourtant même en cuisine il peut y avoir des écarts entre le prescrit et le réel… En éducation utiliser des recettes c’est d’abord essayer de se simplifier la vie. Du moins en apparence, car souvent cela ne répond pas à ce qui est à l’origine de la recette énoncée : le problème posé. Car souvent le problème énoncé n’est qu’un signe, mais auquel il manque le contexte. C’est un peu le problème du transfert des innovations quand on oublie de prendre en compte les facteurs contextuels qui environne la « recette », « l’ innovation », « la bonne pratique ».
Chacun tente de frayer son chemin pour devenir un membre à part entière du monde dans lequel il espère vivre assez longtemps. Si, comme le pense Marcel Gauchet, ces chemins sont différents alors il se trouve que l’école, et c’est ce que tente de montrer Sugata Mitra, n’est pas le lieu le plus adapté. Mais pas le moins efficace non plus, il a quelques réussites, mais elles aussi dans des contextes précis. De même la proposition de Sugata Mitra est contextualisée, même s’il tente bien de la transférer dans d’autres lieux.
Ce qui est commun aux deux, mais aussi à beaucoup d’autres personnes en ce moment, c’est la question du développement de l’informatique (et ses dérivés) et de son impact possible sur l’apprentissage. C’est là qu’il faut reprendre la question de « l’auto » qui est le point de départ. Si l’on essaie d’analyser ce quise passe dans la vie d’un enfant scolarisé dans un pays comme la France, on s’aperçoit qu’au cours de l’histoire scolaire, la place donnée au travail d’étude personnelle ainsi que la forme et le lieu de son exercice ont fortement varié. Si l’on observe ce qui se passe dans la vie quotidienne on s’aperçoit aisément que chacun de nous peut apprendre beaucoup de choses sans forcément avoir besoin d’un système scolaire. Avec la généralisation de l’Ecole, ce qui se passe en dehors, pour les élèves en particulier, a été un peu perdu de vue, d’autant plus que la non scolarisation était perçue comme une discrimination, un risque important et que l’Etat s’en était emparé comme un levier d’action sur la société. Avec le développement des techniques, le livre imprimé, puis les objets numériques, le monde scolaire trouve des objets à sa portée qu’il peut utiliser aisément, puisqu’il est prescripteur. Or ce n’est pas ce qui se produit. D’une part l’école a abandonné progressivement son opposition aux familles, au monde extérieur. Elle a renvoyé à l’espace familier un ensemble d’activités liées aux apprentissages scolaires qui se déroulaient dans l’espace scolaire (les études d’antan, l’accès au livre). D’autre part le numérique s’est diffusé, en particulier dans la sphère personnelle, à une vitesse jamais connue auparavant. Enfin le monde scolaire qui cherche encore et toujours des « recettes » pour donner une place au numérique s’est laissé déborder, dépasser par cette vague. Et surtout, en particulier en France, l’efficacité sociale de la scolarisation s’est petit à petit trouvé concurrencée par d’autres vecteurs de développement personnel et d’apprentissage plus ou moins aboutis, plus ou moins formels, mais qui ont tous posé la question de la pertinence d’une institution créée dans un autre contexte. Or c’est justement ce qui semble opposer Marcel Gauchet et Sugata Mitra.
Il nous faut revenir à « l’auto », car finalement c’est ce qui semble poser problème. En d’autres termes, et tant que l’on n’a pas précisé ce dont on parle, la question de « l’auto », semble s’opposer au monde scolaire fondé sur la place de l’autre, le maître d’une part, le pair d’autre part. Il n’y a pas une opposition fondamentale, il y a surtout un point d’entrée différent dans le chemin vers les savoirs : d’un coté la scolarisation est première, de l’autre coté l’individu est premier. Les mots snt piégés, mais essayons de préciser. Selon les points de vue, les paradigmes, on peut ou pas entrer dans l’apprentissage sans passer par un système formel comme l’Ecole. Il semble que certains tentent de convaincre qu’il est possible d’en passer par ailleurs. Cela ne signifie pas le rejet de structures, mais plutôt le rejet d’une institution dans son modèle initial, toujours en vigueur.
En regardant de plus près ce qui se passe dans les apprentissages de toute nature et en regardant l’activité de ceux qui apprennent, on s’aperçoit qu’il y a, système scolaire ou non, des éléments essentiels à examiner : la direction, la régulation, l’évaluation, l’interaction, le processus apprenant. L’expression proposée par Sugata Mitra, EAAO (Environnement d’Apprentissage Auto-Organisé), qui peut sembler renvoyer au mythe de l’autodidaxie, reformule d’une certaine façon ces cinq éléments. Le développement rapide de l’Internet a modifié radicalement l’environnement quotidien d’information et de communication de chacun de nous. Il n’a pas autant modifié les compétences nécessaires pour accéder aux savoirs, mais il a introduit des variations sensibles qu’il faut prendre en compte. Or le monde scolaire n’a pas encore suffisamment mesuré ces variations, fort de son efficacité traditionnelle, en dehors de ce contexte. C’est d’ailleurs probablement pour cela que l’on constate, en particulier en France, qu’on a du mal à savoir par quelle entrée aborder le problème, et ce d’autant plus que l’on oublie toujours d’interroger les fondements mêmes du modèle scolaire au profit d’une mise en question de l’objet nouveau dont la question classique est révélatrice : est-ce que ces nouveaux objets permettront d’être plus efficace dans cet ancien contexte… ?
Le débat proposé ici vise à faire réfléchir d’abord à la question de savoir ce qui permet à chacun d’apprendre au mieux dans le contexte actuel, dans sa globalité. En resserrant ce questionnement on peut le rapporter à la question des « dispositions personnelles » nécessaires pour développer ces apprentissages. Mais on ne peut, à la suite ignorer le fait que ces « dispositions personnelles » seraient probablement différentes dans un autre contexte et en particulier dans une autre forme instituée d’accès aux savoirs. Il s’agit donc d’un entre deux lié à une modification du contexte par le fait de la disponibilité des outils numériques. Nous proposerons dans un prochain billet de préciser les cinq éléments qui, selon nous, composent « l’auto » pour accéder aux savoirs
A débattre
BD

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