GAMIN, une histoire de fichage à ne pas oublier !

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Lorsqu’au milieu des années 1970 l’état français met en route le projet GAMIN, il ne mesure pas combien, quarante années plus tard son projet, et surtout l’accueil qui lui est fait, vont avoir un prolongement mondial. En effet l’actuel questionnement autour de NSA et de la surveillance des individus par des moyens informatiques doit être inscrit dans une perspective historique dont le projet GAMIN fut un jalon significatif. C’est dans un article de la revue Esprit (n°5 mai 1982) signé par Colette Hoffsaes et intitulé « Le système GAMIN ou l’informatique en échec » que j’ai retrouvé les éléments offrant la possibilité de mener cette réflexion. Car, de cet exemple daté et documenté, nous pouvons trouver des clés d’analyse et des axes de réflexion qui devraient être mobilisés dans l’éducation contemporaine confrontée au numérique. C’est à la même époque que la tentative d’informatisation du dossier scolaire par l’état est aussi mise en échec. Car c’est bien là un trait commun d’avant la décentralisation que de voir avec l’informatique apparaître la volonté de constituer des fichiers globaux sur diverses questions de société.
Derrière les projets de constitutions de fichiers de toutes sortes il y a une ambigüité quasi systématique : mieux connaître pour améliorer d’une part, connaître pour surveiller et contrôler d’autre part. Avec le projet GAMIN, il s’agissait de mieux prévenir le handicap et le prendre en charge, mais une analyse plus approfondie permettait de comprendre qu’il s’agissait aussi de mettre en place un contrôle préventif des risques éducatifs, autrement dit de repérer les enfants pouvant poser problèmes… à l’âge adulte (ou avant). Autrement dit d’une part il s’agissait de mieux suivre des enfants en difficulté, d’autre part il s’agissait de repérer les enfants à risques pour mieux les encadrer ensuite. Cette ambivalence dans l’intention mérite toujours d’être utilisée comme prisme d’analyse de toute informatisation. Car même si les promoteurs choisissent l’un des termes de l’équation, rien n’empêche que l’autre terme soit un jour utilisé, car utilisable.
Au delà des problématiques informatiques, sur lesquelles nous reviendrons, il nous faut évoquer ici le fantasme humain du contrôle social, le mythe de « Big Brother is watching you ». Car ce n’est pas qu’un fantasme c’est aussi une réalité, devenue mythique, dont l’exemple récent de la NSA est suffisamment explicite pour ne pas nous le prouver. Car le traitement médiatique de cette surveillance relève bien du mythe au sens où au delà des faits, on rejoint une question ontologique : autour de moi, le monde est organisé et structuré pour m’encadrer, me surveiller, me guider. Ce fantasme adolescent bien connu prend corps. Ce fantasme s’illustre ensuite par les thèses déterministes (nous sommes programmés) développées par exemple par les Pink Floyd dans leur morceau (album) The Wall.
La constitution des fichiers informatiques est, dès leur apparition, un problème. La création de la CNIL montre bien qu’il est absolument nécessaire de ne pas laisser cela se faire sans règles. Malheureusement il faut bien reconnaître que la rapidité avec laquelle ces pratiques se sont développées a progressivement rendu « normale » cette possibilité de surveillance. Ainsi quand vous faites une requête dans le moteur de recherche ou auprès du libraire en ligne, on vous aide à partir d’un fichier basé lui-même sur le repérage de vos comportements. Ainsi on induit vos choix, on les oriente, les dirige, pour votre bien, bien sûr. Mais désormais, même si on le déplore, on sait que c’est un état de fait et que, parfois même, il nous rend quelques services, à l’insu de notre plein gré… Quid de la liberté dès lors ?
Fort heureusement, une limitation arrive progressivement à imposer des limites : la quantité et l’intérêt de l’information. Autrement dit capter toute cette information est-ce si « rentable » ? Devant une masse d’information, soit je sais ce que je cherche et donc j’émets des hypothèses que je vérifie, soit je tente d’identifier ce qui fait signe (à partir de modèles mathématiques) pour ensuite tenter de lui donner du sens et donc une hypothèse. Cette limitation est toujours repoussée plus loin du fait des progrès matériels et logiciels qui répondent chaque fois un peu mieux aux « besoins ». Mais ce sont les besoins de qui ? La NSA vient de nous montrer qu’un état peut mettre en place des dispositifs sophistiqués et ensuite les utiliser dans ce qu’il convient de nommer « guerre » entre les nations.
Il est urgent de questionner la responsabilité de ceux qui conçoivent et de ceux qui mettent en oeuvre ces outils. Mais en plus d’être vigilant et d’interroger, il faut aussi éduque ceux qui, demain, auront à poursuivre le développement de ces outils. L’éducation ne doit pas se limiter à dénoncer, à désigner, ce qu’elle fait trop souvent. Elle doit aussi former, c’est à dire permettre à chacun de prendre ses « responsabilités ». Chaque jeune est un adulte « responsable » en devenir. L’éducation à la responsabilité, dans le domaine des fichiers, c’est d’abord une éducation à l’altérité. C’est à dire qu’il convient que chacun ait le « respect de l’autre » quel qu’il soit. A partir du moment où je stocke de l’information sur un ou une autre, je deviens immédiatement responsable de cette information. L’exemple du problème du « porn revenge » qui commence à être encadré légalement dans certains pays, et qui existe dans tous les milieux, illustre combien cette éducation à la responsabilité est négligée. Dans la famille, à l’école, dans la société, le risque de la déresponsabilisation est grand. Nombre d’exemples de dérapages en milieu scolaire (jeunes qui diffament leurs collègues ou leurs enseignants sur les réseaux sociaux par exemple) témoignent de ce manque. Malheureusement la société dans laquelle nous vivons a trop souvent rendu l’absence de sentiment de responsabilité personnelle, normale voire ordinaire. Si une seule éducation doit être maintenue, c’est celle de la responsabilité de soi vis à vis des autres, celle qui fait si souvent défaut dans les périodes troubles au cours desquels la dénonciation anonyme est systématisée. Or on la retrouve souvent dans l’anonymat sur le web….
A suivre et à débattre
BD

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  1. […] Lorsqu’au milieu des années 1970 l’état français met en route le projet GAMIN, il ne mesure pas combien, quarante années plus tard son projet, et surtout l’accueil qui lui est fait, vont avoir un prolongement mondial. En effet l’actuel questionnement autour de NSA et de la surveillance des individus par des moyens informatiques doit être inscrit dans une perspective historique dont le projet GAMIN fut un jalon significatif. C’est dans un article de la revue Esprit (n°5 mai 1982) signé par Colette Hoffsaes et intitulé « Le système GAMIN ou l’informatique en échec » que j’ai retrouvé les éléments offrant la possibilité de mener cette réflexion.  […]

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