Expressionnisme vs futurisme, relire le développement du numérique

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Etudiant en sociologie dans les années 1970, j’ai eu la chance d’avoir comme professeur Jean Michel Palmier spécialiste de la sociologie de l’art dans les premières années du XXè siècle et en particulier de l’expressionnisme. Il nous a fait découvrir les grands mouvements artistiques qui vont accompagner d’une part l’avènement du communisme et d’autre part le fascisme en Italie. Accompagner ne signifie pas adhérer au sens strict du terme, mais désigne une relation entre l’art, la société et les visées politiques et projets de société. Ce qui est intéressant c’est le parallèle que l’on peut faire entre les idées de cette époque-là et celles qui émergent aujourd’hui. C’est en particulier le cas avec cette opposition entre la montée d’attentes du peuple et le développement des idées dites d’extrême droite. Ce qui est aussi intéressant c’est le rapport au progrès technique mais aussi à la personne, porté par ces courants artistiques et politiques. Or le numérique, parce qu’il transforme les formes de notre vie en société, interroge notre relation aussi bien au progrès qu’à nous même.

N’étant pas spécialiste de ces deux courants, je me permets des simplifications que l’on pourra bien sûr corriger. Toutefois l’analyse du développement du numérique dans une société est porteur d’une interrogation forte sur la relation que chacun d’entre nous entretien avec la société telle qu’elle est, telle qu’on la voudrait, telle qu’on la construit. Si l’on se réfère aux notices de Wikipédia de chacun de ces deux mouvements on peut aisément faire des parallèles entre l’approche revendiquée à l’époque et les questions que posent le développement du numérique dans la société. Cela est en particulier présent dans le futurisme Italien (et Russe). Ce courant de pensée va porter dans la société des idées qui, confortant le scientisme de l’époque, prône une adoption des techniques les plus récentes, la vie dans les villes et la vitesse. Pour le dire autrement le futurisme porte fortement des valeurs qui vont s’incarner aujourd’hui dans la dynamique de développement du numérique, tandis que l’expressionnisme lui va interroger la perception subjective que nous avons du monde, une perception déformée désormais par les médiations numériques.

Sans aller plus loin, et en faisant allusion à la leçon inaugurale au Collège de France de Patrick Boucheron intitulée « Que peut l’histoire » et que j’invite à réécouter, il me semble qu’une relecture des mouvements artistiques du début du XXè siècle est un bon angle de travail pour lire ce qui se passe depuis le début du XXIè siècle et peut-être déplorer qu’il n’y ait pas de mouvement artistique, culturel et politique de même ampleur qui s’associe à ces transformations qui nous touchent basées sur l’informatique, le numérique. Ainsi le questionnement pourrait-il avoir une autre ampleur que les débats de « bas niveau » qui peuplent les médias et les réseaux sociaux sur ces questions. Des exceptions bien sûr sont à considérer. Plusieurs intellectuels, chercheurs, penseurs tentent de nous aider à comprendre de Hartmut Rosa à Pierre Rabhy, d’Edgar Morin à Michel Serres. Les lectures ne manquent pas mais leur reconnaissance dans le champ du débat n’est que très peu relayé, on lui préfère les propos provoquants et autres violences verbales qui peuplent de plus en plus la pensée ordinaire présente dans les échanges en ligne et en réel.

La double interrogation, progrès et subjectivité humaine, est génératrice de nombre de champs de réflexion, il nous faut nous en emparer et aider nos jeunes à prendre conscience que la relecture de l’histoire peut nous aider à comprendre les enjeux du monde actuel et de celui de demain.

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