Autorité versus légitimité, quelle politique éducative à l’ère du numérique ?

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Le nouveau ministre de l’Éducation a, lors de son discours de  prise de fonction, évoqué d’une part la question de la restauration de l’autorité et de l’autre celle des fondamentaux. Manifestement, ce ne sont pas des débuts brillants et enthousiasmants, tant ils ne sont qu’un écho des paroles ministérielles prononcées depuis de nombreuses années. L’impression qui transparaît au travers de ces discours c’est une méconnaissance profonde du processus éducatif. On peut aussi évoquer les propos récents sur la parentalité défaillante tenus à la tête de l’État. Ce que l’on ressent c’est donc une incompréhension basée sur une ignorance de ce qui se passe au quotidien dans la vie d’une partie importante de la population. C’est d’ailleurs cette population qui s’interroge sur l’école et plus généralement sur l’éducation comme s’en font l’écho plusieurs articles récents de la presse écrite.

 

Une question de légitimité ?

 

Plutôt que l’autorité, il faut travailler la légitimité. Plutôt que les fondamentaux, il faut travailler l’essentiel. Pour le dire autrement, alors que l’on nous a « saoulés » avec « l’école de la confiance » depuis 2017, sans jamais aller y voir de plus près, c’est cette confiance qui a été perdue. L’écart entre les propos et les faits est devenu un gouffre, comme l’écart entre un système scolaire, la société et une partie de sa population. On entend déjà les amateurs de fondamentaux remonter au créneau en s’appuyant sur l’idée de connaissances par lesquelles il faudrait commencer, et cela dès la maternelle. Celle-ci étant devenue l’antichambre du primaire et des apprentissages scolaires. Car c’est le rejet et l’ignorance des autres apprentissages effectués par les enfants dès leur plus jeune âge qui amène « ceux qui savent » à décréter des listes de fondamentaux qui devraient s’imposer aux enfants et être en rupture avec ces autres acquisitions issues du milieu de vie. Condorcet avait déjà évoqué cette question, mais il avait été prudent : partagé entre l’ignorance entretenue par ceux qui savent et l’ignorance entretenue par la pauvreté et la vie familiale, il avait tenté de définir un espace social basé sur la formation tout au long de la vie (cf. Joffre Dumazedier).

 

La question de la pauvreté sociale

 

Il faut rappeler ici le fait signalé récemment par l’INSEE (juillet 2023 enquête de 2022) : « 14 % de la population de France métropolitaine est en situation de privation matérielle et sociale » (https://www.insee.fr/fr/statistiques/7651550 ). En déroulant cette analyse et en la rapprochant d’autres études, on peut s’inquiéter. Le baromètre du lien social (Ipsos Sopra Steria https://www.ipsos.com/fr-fr/barometre-du-lien-social-quest-ce-qui-unit-les-francais-en-2023 ) publié en 2023 met en évidence les ruptures au sein de la société et confirme d’une autre manière les inquiétudes à propos de la pauvreté. On ajoute à cela l’enquête de 2021 publiée en juin 2023 qui parle de 15% de la population en situation d’illectronisme (2021 https://www.insee.fr/fr/statistiques/7633654 ) et l’on ne peut que constater le fossé qu’il y a dans notre société. C’est aussi le constat d’une urgence sociale qui ne peut être négligée et qui fait le lit de certaines idées extrémistes qui pourtant ne portent aucune solution pour améliorer les choses. Certes, les résultats en lecture lors de la JPC sont inquiétants (plus de 11% des jeunes en difficulté de lecture – déchiffrage et compréhension), incitent à prioriser le développement de cette compétence, mais aujourd’hui lire s’effectue aussi sur des supports nouveaux et multiples et cela transforme l’analyse (en particulier la question des images et de vidéos voire des podcasts)

 

Et les possibilités numériques en éducation ?

 

Le prisme du numérique éducatif est intéressant pour aborder ces questions. Rappelons que le B2i a été créé en novembre 2000, mais la mise en oeuvre réelle n’a jamais été à la hauteur des ambitions qui le portaient, alors qu’il y avait déjà urgence. Manifestement le milieu scolaire a escamoté le débat justement à cause des « fondamentaux ». Ce propos constitue, certes un raccourci dans l’analyse, mais il vise à montrer ce que sont les priorités pour chacun et comment on peut choisir les siennes plutôt que celle des autres. L’institution ayant d’ailleurs favorisé ces pratiques sur ces fondamentaux en laissant de côté cette urgence sociale au profit des habitudes scolaires (celles des enseignants et des familles). Il est plus facile de se replier sur l’avant que d’envisager ce que peut être l’avenir. Les concepteurs du B2i, puis ceux du socle, ont probablement voulu porter une vision sur les essentiels et pas sur les fondamentaux, c’est ce qui a entraîné leur mise de côté… Les essentiels c’est ce qui doit rester quand on a fini un itinéraire d’apprentissage, alors que les fondamentaux sont ceux par quoi il faudrait commencer, en pensant que si l’on commence par là, cela restera pour toute la vie. Cela ne marche pas ! il suffit de faire sa propre évaluation des savoirs pour le comprendre. Cette confusion est celle qui empêche toute évolution en lien avec l’évolution de la culture à l’ère numérique.

 

Quand la puissance publique veut se substituer aux parents !

 

À la différence d’une partie des contenus des disciplines scolaires, les moyens numériques touchent d’abord et de plus en plus directement la vie sociale, ignorant en grande partie les cadres académiques et institutionnels. Cette concurrence est souvent associée aux dérives observées et médiatisée, vouant aux gémonies toute initiative globale autour d’une place à donner aux questions numériques en éducation. La volonté récente des chinois de limiter les usages du numérique chez les enfants (https://www.radiofrance.fr/franceinter/reduire-la-dependance-aux-ecrans-la-chine-veut-drastiquement-limiter-l-acces-des-jeunes-a-internet-4985106) s’inscrit dans la même logique : l’état entend faire « autorité » car les familles ne le font pas. La lecture de certains débats récents à l’assemblée à propos des lois de protection des enfants va dans le même sens : puisque les parents ne font pas, faisons le à leur place : l’appel aux fondamentaux et à l’autorité relève de la même logique. Sauf que cela ne marche pas comme ça. C’est une vision réductrice d’un problème plus global incarné par la baisse de légitimité de l’école depuis la fin du XXè siècle. Ceci se trouve illustré, entre autres, par les travaux sur l’histoire de l’école menés par Guy Vincent et ses collègues. Outre une forme scolaire, c’est une vision uniformisée liée à une approche sociologique globale qui met de côté les problèmes réels au profit d’une approche égalitariste globale qui est fortement ancrée dans la culture scolaire de la population. Cela va jusqu’à l’acceptation, par certains, de ce déterminisme social que l’on voit réapparaître de manière de plus en plus explicite en ce moment.

 

Faire de l’espace scolaire un lieu « d’en-vie » !

 

Comment envisager l’avenir dans ces conditions ? Comment peut-on renverser ces logiques ? En réinterrogeant la forme scolaire et en engageant une révision culturelle globale autour d’un système scolaire, de l’école. L’idée qui devrait prévaloir est celle de redonner « envie » ou plutôt de faire en sorte que les lieux d’éducation soit aussi des lieux « d’en-vie » !!! Oui il faut désigner les essentiels, encore faut-il les faire partager par l’ensemble de la population. Ces 15% de la population qui sont mis de côté sont ceux qui sont le plus difficile à atteindre car, pour eux, l’essentiel est la survie au quotidien. Lors de la crise sanitaire, on a pu ouvrir le couvercle de cette boîte des conditions de vie au quotidien, mais on s’est empressé de la refermer sitôt le virus éloigné. Or on a pu mettre le doigt sur ces inégalités pour lesquelles les moyens numériques tiennent désormais une part suffisamment importante pour qu’on s’y arrête un peu. Mais non ! le ministre ouvre son mandat par ce qui n’est que du discours politique sans analyse de fond et surtout sans vision. On ne sera pas étonné de cela, tant les pouvoirs qui se sont succédé depuis longtemps ont oublié, comme le dit l’UNESCO, que l’éducation s’inscrit dans le temps long et qu’elle est en opposition avec des visions court-termistes, et il en est de même pour le numérique éducatif depuis plus de 50 ans !!!

 

A suivre et à débattre

BD

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