Nous y sommes enfin arrivés. Cela bruissait ici où là à l’occasion de telle ou telle loi (Hadopi), de tel ou tel projet mystérieux. Pour les observateurs attentifs, cela semblait devenir une évidence tant la présence du numérique dans le paysage quotidien avait fini par devenir banal. Fort heureusement, on nous rappelle que à l’échelle de la planète les être humains numériquement connectés reste largement inférieur aux non connectés… Le dernier luxe de nos arrogantes sociétés du progrès technique est donc arrivé : impossible désormais de commettre un acte sans qu’il ne soit traçable. En effet l’homme connecté (homo connecticus) est désormais advenu. Et même s’il ne possède pas ces objets à titre personnel, la société, l’école, la justice etc… chacun se charge pour lui de le tracer. Nous sommes désormais tous reliés, dans nos sociétés dites de progrès technique, même si nous ne possédons pas les machines adhoc.
Les différentes affaires policières qui ont amené à interroger l’usage des téléphones portables avaient déjà montré que l’affaire était bien engagée. Désormais avec notre banque, notre travail, notre médecin et bientôt notre école, nous serons tous connectés à notre insu (ou pas). Mais connecté à quoi pour que cela semble si terrible ? Connectés à l’un des rêves mythiques de notre société : surveiller jusque dans les moindre détails ce que chacun fait.
J’entends déjà les procès qui me seront adressés; quelques exemples suffiront à illustrer ce propos :
– Quand on est dans un conseil de classe en train d’examiner le cas d’un élève présentant des comportements déroutants pour les enseignants, il n’est pas rare d’entendre une petite voix se dresser pour dire que ce serait bien si l’on avait un dossier plus étoffé sur le dit élève.
– Quand on lit ou écoute les médias à propos d’un acte criminel, on se demande souvent pourquoi on n’arrive pas à mieux surveiller les gens
– Quand on installe Internet dans un établissement scolaire, on voudrait bien pouvoir surveiller nominativement les élèves pour tracer ce qu’ils y font.
– Quand on utilise un ENT, on est toujours surpris de regarder le système de tracking qui rapporte les faits et gestes de l’élève et on s’empresse bien souvent de le consulter, bien sûr pour comprendre, pour voir si l’on ne pourrait pas suivre de plus près ce qu’il fait, comment il a appris.
Disons le simplement, au fond de chacun de nous sommeille un inquisiteur qui ne demande qu’à se réveiller dès lors que la cause est bonne. Mais désormais les outils sont à portée de main. Les régimes policiers et autres curieux systématiques s’en empare. Allons sur ces sites qui proposent de rassembler toutes nos traces « visibles » sur Internet et nous comprendrons vite que, même si les choses sont loin d’être abouties, nous allons vers ce chemin. On imagine vite un état un peu curieux qui pourrait s’en emparer et céder à ce rêve mythique qui sommeille en chacun de nous et qui ne manque jamais de se réveiller dans les dictatures.
Le fichage des élèves (baseleve) à l’école primaire s’inscrit par exemple dans cette toile d’araignée qui se tisse autour de chacun de nous. L’arrivée des ENT et des outils d’évaluation centralisée (GiBii, mélia et bientôt le socle commun) vont inéluctablement entraîner cette possibilité constante de suivi. Quel enseignant attentif à ses élèves ne serait pas intéressé par le suivi longitudinal des acquisitions pour mieux les suivre et les développer.
Nous sommes désormais à la porte d’une société qui est en mesure de fournir sur chacun un suivi continu qui va bien au delà de certains discours parfois lénifiants ou technobétifiants sur l’identité numérique. Il y a désormais une question essentielle qui se pose à nous éducateurs : comment désormais apprendre à vivre dans un monde dans lequel tout geste peut être tracé, toute parole enregistrée, qu’on le veuille ou non. Le petit effort technique qui reste à faire ne prendra pas beaucoup de temps, il y aura bien un commercial aux dents longues, un policier zélé, un dictateur pervers, un enseignant manipulateur pour adopter au plus vite ces techniques et tenter de contrôler nos faits et gestes.
Je serai probablement taxé de pessimisme, de technophobie ou que sais-je encore. Mais l’enjeu de fond est là :
Il y a les faits, il est désormais possible de surveiller, la demande de surveillance au nom de la précaution ou du risque zéro augmente, le numérique omniprésent est fondé sur la trace de l’usager, l’interdiction de la cagoule dans les manifestations montre cette volonté de savoir ce que chaque individu fait et feu le projet GAMIN avait bien tenté de réaliser le rêve de mieux tracer les risques de délinquance en analysant les parentés….
Il y a l’état actuel, une lente prise de conscience de cette sorte de prison faite de fils de toile d’araignée invisible que nous nous sommes tissée nous mêmes, l’appelant parfois de nos voeux (nous somme tous complices). Le développement continu des pratiques soutenues par des machines de plus en plus performantes (le dernier avatar en étant le terminal mobile téléphonique type iphone).
Il y a le devoir d’éducation. Et là réside la clef principal du problème. Comment éduquer à ce monde numérique ? Comment refonder la notion de liberté ? Comment penser les relations humaines dans un monde de surveillance ?
Avant d’entamer les traditionnelles vacances d’été qui vont encore une fois nous faire rêver de liberté (fausse) il est nécessaire de se révéler vigilant et construire des projets pour que nos enfants n’oublient pas que : jadis nous étions libre !!!
A débattre
BD
Juin 24 2009
2 Commentaires
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Au Québec, les élèves de 5e secondaire ont eu à s’exprimer lors de leur épreuve uniforme de français sur la légitimité d’utiliser les données biométriques pour gérer la sécurité dans les institutions publiques. Il est intéressant de constater que nombre d’entre eux sont contre ce type de surveillance au nom d’une intimité et d’une liberté qu’ils ne souhaitent pas sacrifier. Espérons que ces élans spontanés de réfléxion sont le reflet d’une génération qui saura mettre (et acceptera de le faire)des banalises dans notre avenir technologique.
Isabelle Toussaint
Pourquoi parler de dictature alors que la démocratie suffit ?
Et ce n’est même pas une provocation. La dictature, c’est le controle par un seul au moyen d’un Etat policier.
La démocratie c’est le conflit toujours ouvert entre sécurité et liberté. Et pour peu qu’on arrive faire les deux en même temps, on aura atteint le rêve démocratique. sauf que peut être la démocratie réside essentiellement dans ce conflit et supprimer le conflit, c’est supprimer la démocratie.
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