Si la pub m'était comptée…

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On a trop rarement l’occasion de lire des échanges à propos du lien entre publicité et éducation, surtout à propos des TIC, mais pas seulement dans ce domaine. Le fait que publicité soit, pour certains, a priori un grand « Satan » évite d’en parler simplement, et permet d’évoquer la place du déni dans la relation que chacun d’entre nous a avec la publicité, mais aussi, disons le simplement avec l’argent. Éduquer c’est aussi se situer et permettre aux élèves de se situer par rapport à ces questions. Cette question m’est apparue comme importante à partir de quelques expériences vécues, et à partir d’une simple démarche empirique enrichie de divers travaux relevés ici ou là.
Disons le d’abord, le tabou qui entoure le lien que chacun de nous entretient (au moins partiellement) avec la publicité est en lui même une question. Chacun de nous se croit facilement à l’abri de son influence et pourtant nombre de nos comportements quotidiens pourraient nous prouver le contraire. L’omniprésence du phénomène publicitaire est devenu tellement habituelle qu’on en vient même à ne plus la voir, un peu comme ces sons du voisinages que l’on entend même plus parce qu’on y est habitués. Et pourtant, à la différence des bruits quotidiens, les publicitaires s’emploient à ne pas se faire oublier, mais sans jamais devenir insupportables au point de les attaquer. On voit d’ailleurs que la moindre attaque de leurs pratiques (cf les comités de lutte anti-pub qui taguent celles-ci) voit arriver une réponse des plus vives… voire même policière et judiciaire.
Le publicitaire cherche à faire passer le message qu’il propose à son client dans la tête du récepteur. C’est si banal de le dire que l’on s’étonne de la réaction qui avait suivie le propos de l’ancien dirigeant de TF1 à propos du temps de cerveau qu’il entendait rendre disponible aux annonces, dans un cynisme incroyable. C’est bien ce paradoxe de l’attitude ambivalente face à la publicité qu’il faut analyser, tant les effets de celle-ci sont évidents, quotidiens et devenus « normaux ».
Quand les élèves de CAP et BEP on écrit dans leur copie d’examen l’expression « parti prix » (sic) c’est qu’il l’avaient lue sur les panneaux d’une publicité d’un distributeur. Et l’on pourrait multiplier à l’envie les effets des messages publicitaires sur la représentation que l’on se fait du monde. Bien plus puissants que les journaux télévisés ou les jeux vidéos, les messages publicitaires sont de la « tentative de manipulation autorisée légalement ». Les tentatives du monde économique pour faire passer la publicité au sein de l’école sont nombreuses, parfois insidieuses, mais surtout elles savent se fondre dans un paysage honnête… Car les firmes savent bien que c’est en dehors de l’école qu’elle vont être actives et efficaces. Dans le monde scolaire, la vigilance est de mise et le cadre éthique est « officiellement » compris par les firmes qui campent à la porte de la clientèle qu’est la jeunesse. Cependant les tentatives sont incessantes, et avec les TIC, cela va devenir beaucoup plus facile.
Au delà de l’organisation sociale dans laquelle nous vivons et dans laquelle l’économie de marché utilise très fortement le moteur publicitaire, il faut accepter de remettre en cause cette pratique, quelles que soient nos opinions politiques. En effet l’observation quotidienne montre que la culture dominante qui se développe actuellement est d’abord portée par les messages publicitaires. Habilement ceux-ci s’appuient sur des intermédiaires médiatiques qui les aident à repérer les tendances et aussi sur les annonceurs eux-mêmes qui sondent régulièrement le marché à la recherche de ces représentations culturelles sur l’argumentaire desquelles leur produit peut se vendre.
Avec Internet, la pub a trouvé un nouveau vecteur dont la forme est encore en évolution. La première découverte des publicitaires qui les a bien gênés a été de voir que le taux de lecture d’une publicité est très faible en regard du potentiel de public annoncé par la fréquentation du vecteur. Autrement dit, pendant la mi-temps, on ne regarde pas la pub… Certes, vengeance suprème, même dans le service public, le sponsoring publicitaire d’émission continuant son effet, on rentre par la fenêtre là où on avait été sorti par la porte… Sur Internet, ce sont les internautes en direct qui ont été « attrapés » par le monde publicitaire. Comment vivre de son site, disent certains ? En augmentant la fréquence de visite, mais cela demande du travail, et ce travail a un coût, alors la publicité est bonne à prendre disent certains. L’habileté étant celle des gens de presse qui utilisent cette opportunité pour une publicité croisée avec les internautes qu’ils font parler dans des blogs ou des tribunes liées à leur site et largement relayées, au point qu’un joyeux mélange vient laisser à penser qu’entre l’article du journaliste, le blog d’un abonné, les réactions des lecteurs et le message publicitaire, il y a des frontières de plus en plus ténues. Haut et fort, les professionnels nous diront qu’ils restent indépendants des publicitaires, et qu’ils filtrent les messages publicitaires. Mais la vraie publicité est beaucoup plus subtile surtout lorsque l’on utilise le « buzz », la « rumeur »… On voit ainsi progresser avec la complicité de chacun de nous une nouvelle tolérance de la publicité qui avait déjà fait un grand pas dans les médias traditionnels et qui est en train de tenter d’un franchir un nouveau dans le monde Internet et entre autres du web 2.0, avec la complicité d’Internautes qui y trouvent « financièrement » leur compte.
Car c’est d’argent qu’il faut parler finalement. Moteur de cet univers, l’argent est un levier puissant, si puissant qu’il parvient à faire parfois rompre les purs et leurs dogmes, au nom de leur visibilité… De plus les formes de dépenses indolores qui se sont développées au cours des vingt dernières années ont rendu encore plus pernicieux ce processus.
Quand j’achète un bien matériel, je paye la publicité pour ce bien, que je le veuille ou non. Chaque fois que j’achète mon paquet de café, équitable ou non, je participe à la dépense indolore. Après le micro crédit, on a bien le micro paiement qui rend indolore non seulement la pub, mais la dépense en amont de cette pub. Vous me direz que je n’ai qu’à mettre des bannières publicitaires sur mon blog pour récupérer ma mise. Cela je le refuse, car justement, il me semble qu’il faut que la valeur des choses soit celle que l’auteur de celles-ci à décidé et non pas la valeur que des intermédiaires les obligent à fixer par la pub, entre autres (cf le coup des CD audio par exemple). S’il veut que la publicité soit incluse, alors il lui faut être clair sur ses engagements et qu’il l’annonce clairement à ses clients.
Imaginons que l’on supprime les coûts publicitaires, de quel taux pourrait-on voir baisser les prix. Évidemment, on me dira, mais ce n’est rien par rapport au reste… Sauf que si chacun des micro-coûts est soutenu par le même raisonnement, rien ne se passera. Le coût de la publicité est d’autant plus exorbitant dans notre société que s’y ajoute un coût indirect bien plus important : le coût culturel, à moins que l’abêtissement des foules, leur assujettissement passif à la pub ne soit l’objectif recherché, auquel cas la pub aura atteint son objectif Shannonien : que le récepteur soit conforme au désir de l’émetteur.
Le travail des éducateurs qui utilisent les TIC dans leurs pratiques doit désormais intégrer une vraie réflexion sur la montée en puissance de cet univers de la pub au sein d’Internet et des pratiques qui s’y développent.  Il y a du travail… il est de longue haleine. Un peu d’utopie ne fait pas de mal, mais un peu d’alerte ne peut que faire du bien…
A débattre
BD

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  1. […] champ l’usage des technologies nouvelles (téléphone portable, internet, réseaux sociaux), la publicité et tout ce qui a trait à l’actualité de la culture urbaine populaire. Or, ce qui est exclu […]

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