Trop d'intégration ? Alors, c'est pour 2010-2011 ???

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A force d’entendre parler d’intégration des TIC en éducation, on pourrait croire à l’arlésienne ! 1985 – 1992 – 1997 – etc… autant de projets et d’impulsions et pourtant toujours le même mot (il suffit de lire les enquêtes parues cet été, comme STEPS). Mesurer, évaluer, promouvoir, développer, les verbes qui accompagnent le mot intégration sont nombreux et pourtant l’intégration reste une interrogation. Mais une interrogation bien mal posée. D’abord parce que l’on ne peut pas parler d’intégration sans analyser réellement le sens de ce mot, et l’on s’apercevra vite qu’il est inadapté. Ensuite parce que l’imprégnation quotidienne de la société dans un univers envahi par les TIC n’est pas nouveau et que le système éducatif n’y a pas échappé, dès le début, mais de manière particulière. Enfin parce que la question fondamentale du pourquoi général des TIC et de la place à y donner à l’école relève d’un allant de soi qu’il convient de ne jamais reposer… tant l’idéologie du progrès nous est presque devenue co-substantiel, voire, pour certains est naturelle…
Un peu récent (11 avril 2008) article sur Educnet (et pourtant rapporté comme récent sur les réseaux sociaux sur lesquels d’aucuns n’en finissent de découvrir le marteau) peut nous servir de base pour réfléchir : http://www.educnet.education.fr/secondaire/dispositif En effet en posant la question en deux mots « pour quoi » il passe évidemment par dessus la question en un mot « pourquoi » (notre troisième volet). En posant comme une évidence l’idée d’un changement d’ère et en y associant la réponse ENT, il ne pose pas la question de la direction de cette évolution, mais la considère comme acquise. Le seul mot qui manque ici, et cela mérite d’être salué est le mot intégration….
Rappelons ici qu’intégration signifiant « modification d’un objet (au sens large) externe en vue de lui donner une place dans un système existant », cela suppose qu’utiliser ce terme veut dire que l’école elle ne change pas. Malheureusement les utilisateurs de ce terme (comme de tant d’autres dont celui de technologie par exemple) ont tellement galvaudé le sens des mots qu’il n’est plus possible de les employer sans créer de la confusion et donc de l’incompréhension.
L’histoire des TIC en éducation mérite quand même d’être regardée à hauteur de ce qu’elle a produit réellement depuis 1970. Il y a surtout eu tentative d’intégration et non pas d’appropriation, d’acculturation, d’adaptation. Or ces tentatives sont très nombreuses et un peu de travail de mémoire ne ferait pas de mal à tous ceux qui déplorent la non « intégration ». Ils verraient que c’est surtout parce que l’on a voulu intégrer les TIC que cela a résisté. L’appel dans l’article susvisé aux pédagogies de projet, au travail d’équipe, au travail interactif nous alerte : ces pédagogies ont existé avant les TIC, elles existeront après… elles n’en sont pas dépendantes.
Chacun des acteurs de l’éducation a, selon ses moyens, sa culture, ses projets, progressivement donné une place aux TIC dans sa vie quotidienne. La diversité des pratiques des uns et des autres n’est pas surprenante, elle est même socialement normale. La place donnée aux TIC dans les pratiques professionnelles d’enseignement est, elle, autrement plus complexe à analyser. Nous avons signalé il y a longtemps qu’il y avait un problème du passage d’une pratique personnelle à une pratique professionnelle. Nous avons souvent, ici-même entre autres, signalé que la question de la forme scolaire devait être posée comme posant problème pour permettre de situer les TIC (comme par exemple la forme des locaux, la forme des examens, la forme des concours de recrutement des enseignants, la forme des programmes, etc…). Si l’on y regarde de plus près on peut noter deux mouvements convergents : d’une part l’appropriation par les acteurs commence à produire des effets (plus inattendus qu’attendus parfois) sur les pratiques, d’autre part, et ce n’est pas nouveau, les directives officielles ont depuis longtemps fait une part réelle aux TIC (cf. les textes du Conseil National des Programmes de 1991 – 1992). Les témoignages des 101 numéros de la revue EPI sont là pour corroborer ces faits. On peut simplement constater que c’est la simultanéité des deux axes de convergence qui amène aujourd’hui à se questionner sur ce qui va se passer dans l’année scolaire qui s’ouvre dans quelques jours…
Quant au « pourquoi ? », il reste magistralement dans l’ombre. Si je reprends cette page d’Educnet et que j’y lis ceci :
« Voici quelques exemples de l’évolution des pratiques professionnelles induite par l’usage des technologies de l’information et de la communication dans la communauté éducative :
* Faciliter ses relations professionnelles ;
* Simplifier la vie de classe;
* Diversifier ses pratiques pédagogiques;
* Accéder à des ressources en ligne. »
Sans entrer dans le débat sur le bien fondé de ces entrées, on ne peut que constater qu’elles posent a priori comme bonne la politique de développement des TIC (en éducation, et aussi dans la société) et cela sans aucune discussion. Or les faits sont têtus et l’univers de surveillance que d’aucuns appellent de leur voeux, (par exemple) devrait faire réfléchir sur la mise en place des ENT, tout comme il a amené certains à questionner Basélèves.
Ce n’est pas parce qu’un « objet social » est devenu commun qu’il est évident qu’il soit intégré dans le monde scolaire. La notion de progrès (technique ou autre) doit être analysée bien au delà du simple fait qu’il doit s’imposer à l’éducation dès lors qu’il est adopté dans la société. Dans de nombreux domaines on renvoie à l’école la responsabilité de faits sociaux en demandant à ce que celle-ci y forme les élèves, dans celui des TIC on n’approfondit pas le questionnement du pourquoi au delà de l’évidence sociale.
Le déploiement massif de projets TIC dans l’environnement de travail du monde scolaire à cette rentrée montre que l’on est en train de passer un seuil. La circulaire de rentrée de mars 2010 en fait un large étalage. Le rapport Fourgous, bien que non suivi d’un « grand plan numérique pour l’école » donne bien un regard large sur cette question, mais l’enthousiasme naïf de certains propos du député montre bien que la question de fond n’est pas traitée ou plutôt considérée comme dépassée. En évoquant cette évolution avec des enseignants et des responsables d’établissements au cours des dernières semaines, on sent bien que cette évolution va de soi. Une hypothèse peut être posée : l’histoire de l’éducation et surtout de la construction du système scolaire basée sur la philosophie des lumières et mis en forme par Condorcet dans des 5 mémoires sur l’instruction publique (http://classiques.uqac.ca/classiques/condorcet/cinq_memoires_instruction/Cinq_memoires_instr_pub.pdf) est inscrit de manière inconsciente dans la culture scolaire, presque dans la forme scolaire elle-même. La place de l’école par rapport aux progrès de la nation est basée sur une rationalité scientifique et sur une pensée politique qui institue cette rationalité comme fondement même du pourquoi. Dès lors il devient indiscutable que tout progrès technique ou scientifique doit être porté par le monde scolaire. Malheureusement, si au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle le système scolaire portait la définition du sens du progrès auprès des populations, désormais et dans le domaine des TIC cela devient de plus en plus criant, sous l’influence du monde professionnel et scientifique des domaines du numérique, le monde scolaire est « prié » de confirmer le sens. La réponse des acteurs du système a longtemps été de revendiquer « l’esprit critique ». Malheureusement force est de constater que ce n’est plus, la plupart du temps, qu’une impression d’esprit critique, voire de l’activisme, plutôt qu’une démarche de réflexion et de projet qui dirige l’action dans le déploiement des TIC dans les établissements. Le système scolaire n’est donc plus porteur de sens, mais messager des promoteurs de ces progrès et du sens qu’ils imposent.
L’usage du terme intégration maintient cette relation, tout en permettant aux enseignants de se tenir à l’écart (objet externe…). Pour passer de l’intégration à l’appropriation, il faut un vrai travail de fond à tous les niveaux de la hiérarchie afin de repenser le sens. Or pour l’instant ce qui semble en train d’advenir c’est un risque de formatage du monde scolaire par des logiques techniciennes associées à des visions idéologiques (individualisation, libéralisme, la construction de soi,…) qui ne sont jamais questionnée, mais subies…
A suivre et à débattre
BD

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  1. […] This post was mentioned on Twitter by Mario Asselin, florence meichel, Sylvain Bérubé, Apprendre2.0, mcanosan and others. mcanosan said: RT @MarioAsselin: «Ce n’est pas parce qu’un "objet social" est devenu commun qu’il est évident qu’il soit intégré dans le monde scolaire» http://bit.ly/bOhvaj […]

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