Ce qui se passe dans les pays arabes et dans le Moyen Orient est associé au web et le Monde parle même de « révolution 2.0 » (http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/21/les-revoltes-arabes-sont-elles-des-revolutions-2-0_1483033_3212.html#xtor=EPR-32280229-[NL_Titresdujour]-20110221-[zonea]). Si l’on regarde du coté de l’étymologie du terme éduquer (TLFI http://www.cnrtl.fr/definition/%C3%A9duquer) on comprend vite le plein sens du terme. Malheureusement les médias ont l’air d’oublier cette dimension qui est bien amont de celle qu’ils présentent. Le fait que les usages des TIC soient déclencheurs de mouvement de révolte, ce qu’en disent les médias, ne doit pas faire oublier le fond : l’usage des TIC « éduque », c’est à dire qu’elles forment qu’elles conduisent, elles apportent aux jeunes la possibilité de l’épanouissement. Or les mouvements sociaux ne s’improvisent pas, ils se construisent, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Certes le passage à l’acte peut paraître soudain, mais on peut évoquer le mécanisme de surfusion pour en rendre compte. Or ce qu’oublient les analystes, c’est que les usages des TIC ouvrent de nouvelles fenêtres sur le monde (Microsoft ne se serait pas trompé en appelant Windows, le successeur de MS DOS ?). Ces fenêtres construisent progressivement une culture nouvelle dans une population souvent contrainte et qui découvre ainsi la force des peuples à échanger entre eux.
Car la grande évolution est cette possibilité d’échange qui, avec les réseaux sociaux, mais bien plus, la maturité globale des usagers d’Internet amène à de nouvelles relations entre les humains. Pas besoin d’école, ni de cours d’informatique, ni même parfois de « moyens » pour permettre le développement de ces pratiques. Et c’est ce qui devrait nous interroger. Drapée dans son image sacrée, l’organisation académique se déplace rapidement vers la « distance critique », expliquant ainsi qu’elle apporte cette capacité n’apporte pas. Or c’est justement ce qui fait problème ici : les usages d’Internet favorisent la construction d’une critique sociale qui contourne ce que le monde académique prétend souvent apporter. Mais c’est oublier la force normalisatrice de ce monde, institué dès son origine comme tel et organisé en fonction de ce projet. Car les nouveaux outils de communication apportent aussi un nouveau potentiel d’organisation qui déroute l’ancien. Bien que contrôlable (car malgré tout suffisamment centralisé) ce nouveau potentiel de communication transversal plutôt que vertical porte en lui une ambigüité constitutive que les gouvernants ont du mal à saisir : libérant et contraignant. Libérant car autorisant des relations impossibles auparavant, contraignant car supposant la possibilité de surveillance à défaut de celle de contrôle. Le terme « réseau » vient à point ici pour enrichir la métaphore mais aussi proposer une analogie, car le réseau c’est aussi le filet…
Que peut faire le monde académique face à cela ? Faut-il seulement qu’il fasse quelque chose ? Il est en tout cas interrogé et bousculé encore plus fondamentalement qu’on ne le pensait. En cantonnant les usages du réseau Internet à un centre de regroupement des mécontentements et d’organisation de manifestation, les professionnels de l’information tentent de contenir l’effet qu’ils observent sous leurs yeux. Lorsque l’on a entendu parler les premiers Allemands de l’Est qui franchissaient le mur de Berlin, on s’apercevait que les dispositifs médiatiques étaient encore parfaitement manipulateurs à l’instar des systèmes académiques d’enseignement et de formation. En entendant les propos des manifestants des rues de Tunis, Tripoli ou le Caire, on s’aperçoit d’un autre discours construit dans un autre cadre d’autant plus mondialisé qu’il n’est plus contrôlé par des pouvoirs centralisateurs, des institutions…
Car Internet est vraiment éducatif !!! Ou plutôt son usage, et les potentialités d’usage qu’il propose aux humains. On découvre ainsi qu’une population s’éduque à l’insu de ses dirigeants et cela d’autant plus que ses dirigeants ont tenté, parfois très violemment de les contrôler. Il serait d’ailleurs intéressant de comparer les flux d’échanges entre ces mouvements et des mouvements beaucoup plus anciens comme ceux qui sévissaient à l’époque de la révolution française ou encore de la révolution russe. L’émergence soudaine d’une créativité simultanée à un mouvement populaire est révélatrice que derrière ces faits se révèle une fonction ontologique de l’être humain : l’apprendre indépendamment de ce qu’on lui enseigne. C’est le sens fondamental de la liberté, la liberté d’apprendre (et non pas de penser…;-)). On peut le voir en filigrane de nombreux mouvements mais aussi de nombreuses attitudes de défiance à l’égard du système éducatif.
Comment s’opère cette acquisition de connaissance ? Essentiellement par les échanges, la coopération, la collaboration, la confrontation. En se confrontant à l’inconnu des savoirs l’individu est amené soit à l’ignorer, le mettre de coté, soit à tenter de construire autour. Or dans des peuples épris de liberté, cette démarche est courante, porteuse de liberté et donc d’envie d’apprendre. C’est parce que dans nos sociétés de confort et d’institutions établies le sentiment d’oppression est faible que cette envie de confrontation se fait plus rare. La vision du travail de Célestin Freinet mérite d’être ici convoquée pour nous interroger sur ce que nous faisons des temps de non activité professionnelle. Avec le développement des TIC, des possibilités nouvelles s’offrent à chacun de nous. Encore faut-il les mettre à profit. Ce n’est pas d’apprendre à apprendre dont nous aurions besoin d’abord dans nos sociétés de confort, mais d’apprendre à désirer apprendre. Il ne s’agit pas de motivation, mais bien d’un désir qui fait que celui qui n’est pas dans l’obligation professionnelle d’apprendre se met pourtant en disposition d’apprendre. La montée progressive et puissante de l’idée de construction de soi dans la société libérale ne peut se faire s’il n’y a pas un accompagnement. L’autoformation n’est pas un allant de soi, et même si on en fait une injonction, elle est paradoxale. ET pourtant un espace d’apprendre formidable est devant nos yeux et nous l’ignorerions.
La grande leçon des mouvements actuels n’est pas celle de la communication, c’est celle de l’apprendre collectif. Le confort amoindrit cette dynamique de même que l’individualisme. Notre monde scolaire devrait prendre note de ce fait. Il ne s’agit pas de dire qu’il faut « souffrir » pour apprendre, mais que l’apprentissage spontané est une dynamique qui quitte facilement celui qui entre dans le confort. Le petit enfant cherche à dominer le monde qui l’entoure, parce que celui-ci nous domine. Croire et faire croire ensuite, par l’enseignement, que nous dominons ce monde c’est étouffer le désir d’apprendre. La fenêtre ouverte par Internet sur le monde, le savoir et l’accès à la connaissance est une formidable opportunité pour envisager un renouvellement du rapport à l’apprendre… mais évidemment le modèle traditionnel de l’école est fortement mis à mal dans un tel contexte…
A débattre
BD
Fév 23 2011
1 Commentaire
« Que vaudrait l’acharnement du savoir s’il ne devait assurer que l’acquisition des connaissances et non pas, d’une certaine façon et autant que faire se peut, l’égarement de celui qui connaît ? il y a des moments dans la vie où la question de savoir si on peut penser autrement qu’on ne pense et percevoir autrement qu’on ne voit est indispensable pour continuer à regarder ou à réfléchir. » (Michel Foucault – Introduction à L’usage des plaisirs)