Smartphones dans la poche ? Il faut changer les contrôles et les examens !

Au fond de la poche, réside désormais un formidable outil pour accompagner l’apprendre. Mais le problème est qu’il est aussi un formidable outil pour contourner l’évaluation de l’apprendre. Encore peu médiatisé, mais bien réel d’après les témoignages récents, le nombre de cas d’utilisation d’outils numériques dans des situation de contrôles des apprentissages, devoir sur table, brevet ou bac blancs etc… est en nette augmentation. S’ils se développent dans les temps ordinaires de classe, ils se développent aussi désormais dans les temps d’examens officiels aussi. Tricher aux devoirs et examens n’est pas nouveau, tout comme le plagiat. Malheureusement ces exemples vont faire la une des médias de masse et le buzz sur les réseaux…. qui, pour la plupart, oublient les réalités pour s’attaquer à l’imaginaire.
Il suffit d’accompagner un groupe d’adultes, d’étudiants ou d’élèves au cours d’un cursus pour comprendre la place importante que prend la forme des contrôles dans leur rapport aux apprentissages. Aussi, un certain nombre d’entre eux font passer la forme, la réussite du contrôle, avant le fond, l’importance d’apprendre, au delà des contrôles. Le « principe d’économie » qui va chercher à optimiser l’énergie à dépenser pour obtenir un résultat efficace semble être au coeur de ces stratégies à court terme : si je triche, certes je ne serai pas compétent, mais j’aurai l’examen ou le concours qui vaudra compétence et connaissance, la reconnaissance sociale passant encore la plupart du temps par ce biais… Le baccalauréat est une des illustrations les plus aisées de ce principe d’économie : bachotage, impasses, recherche de sujets avant les épreuves sont des « rituels », parfois magiques qui peuplent les esprits des jeunes et de leurs enseignants.
Depuis la calculatrice jusqu’au smartphone, l’introduction des outils électroniques, désormais connectés à l’extérieur, repose la question de la pertinence des modalités d’évaluation des apprentissages mais aussi l’organisation même de ces modalités. Récemment une responsable dans un établissement évoquait l’impossibilité pour une surveillante de surveiller les soixante élèves qui avaient posé leur téléphone portable sur leur table, écran visible. Un autre responsable racontait comme un élève, pendant un contrôle en classe avait été chercher sur Internet, par son smartphone le corrigé du devoir que l’enseignant avait proposé en allant lui même le chercher sur Internet, sans penser que les élèves pourraient y accéder pendant le contrôle. Ces exemples ne doivent pas faire oublier les antisèches papier glissées dans la trousse, les livres ouverts sur les genoux et les petits papiers discrètement glissés soit dans des feuilles de brouillon, soit aux autres élèves en examen… Mais ces exemples mettent à jour l’illusion pourtant longtemps entretenue d’une pureté des situations d’examen et de contrôle… Les autres exemples de mémoires plagiés, recopiés sur Internet ne sont que l’écho de choses qui existent aussi depuis très longtemps.
La particularité des smartphones est qu’ils sont des objets quotidiens de proximité et non pas des dispositifs élaborés pour l’occasion d’un examen. Certes celui qui veut tricher peut déjà orienter des contenus téléchargés avant le contrôle. Mais le lien potentiel avec des proches, par la voix ou par SMS, ou avec des sources distantes, sur Internet ou autres, enrichi ces outils d’une possibilité de triche « juste à temps ». La quotidienneté des usages et des pratiques souterraines des outils facilitent ces tricheries : savoir envoyer un SMS en gardant l’appareil dans la poche et n’avoir qu’à regarder furtivement l’écran pour lire la réponse sont des pratiques quasiment indétectables. Ces « habiletés » sont nouvelles dans le paysage et elles sont très répandues. Mais tous les usagers ne sont pas des tricheurs. On peut essayer d’imaginer tous les procédés pour empêcher ces tricheries, il faut reconnaître qu’aucune n’est parfaite ni définitive, quelque soit le propos des vendeurs des machines et recettes destinées à bloquer ces pratiques. Dès lors il reste à repenser les lieux, modalités et contenus des évaluations que l’on met en place.
Quand on interroge des enseignants à propos des élèves auprès desquels ils travaillent toute l’année, nombreux sont ceux qui déclarent « connaître bien » la plupart des élèves (ils disent d’ailleurs abusivement « leurs » élèves). On s’aperçoit qu’une évaluation de qualité s’effectue dans le temps et la continuité et non pas dans l’instant et l’unique épreuve, qu’elle qu’en soit la nature (hormis pour certains gestes professionnels qu’il faut réaliser en situation). En fait la plupart des acteurs de l’enseignement et de la formation ont conscience de l’intérêt de ces formes longues et continues. Mais ils sont aussi pris par le principe d’économie qui leur fait préférer les modes d’évaluation par épreuves ponctuelles à l’évaluation en continue, on s’en rend compte quand on écoute les discours sur le B2i ou le socle commun de connaissances et de compétences. Les enseignants qui ont découverts des plagiats dans des mémoires pourraient se poser la question de leur capacité (ou les modalités possibles) à accompagner le travail des étudiants. Cet enseignant qui ne maîtrisant pas bien l’anglais avait laissé passer un plagiat d’un étudiant qui avait repéré cette faiblesse et en avait profité.
Certes, il faut faire le deuil de la pureté et ne pas se faire trop d’illusion. Cependant on peut avancer quelques principes ou pistes de réflexion pour penser une évaluation « à proximité de smartphone ».
– En premier lieu il faut travailler le sens et la valeur que l’on attribue à chaque dispositif d’évaluation.
– Chaque personne qui apprend doit être invitée à se situer dans son parcours et dans sa relation à l’issue de celui-ci afin de distinguer entre l’examen comme but unique et l’apprentissage comme processus progressif et qui dépasse le temps des contrôles.
– Ensuite il faut favoriser le passage d’évaluations ponctuelles à des évaluations plus continues, plus sériées.
– On s’intéressera davantage aux évaluations par production de contenus complexes (projets etc..) plutôt que par restitution simple. Lors des temps d’évaluation, on organisera l’encadrement de ces évaluation comme étant autant l’évaluation du processus (recueil d’éléments d’évaluation en cours de travail) que du produit (exploitation du produit fini, devoir etc…).
– Lorsque qu’on évaluera par production d’écrit long (mémoires etc…) on veillera à développer un accompagnement et une interaction forte entre l’apprenant et l’évaluateur et l’on inclura dans la validation finale la progressivité dans la démarche que le produit fini.
– La conception des « épreuves » d’évaluation devra désormais se baser sur l’idée que les élèves ou étudiants ont « accès aux documents » pendant les temps d’évaluation
– On développera aussi des épreuves collectives ou collaboratives en présence et à distance en s’appuyant en particulier sur l’évaluation des traces du processus d’interaction davantage que sur le produit fini
On le pressent ici, la tâche est immense et complexe. Outre que la représentation sociale des examens contrôles et autres concours va devoir être transformée, il faut aussi mettre en place des dispositifs beaucoup plus lourds de suivi (même si le numérique peut y aider en partie) des apprentissages. On veillera aussi à ne pas transformer les systèmes d’enseignement et de formation en machine à surveiller « tout » ce que fait celui qui apprend sous couvert d’améliorer l’évaluation. Le fantasme de toute puissance est présent au sein de chaque personne qui dispose d’un pouvoir sur l’autre, les enseignants n’y échappent pas, mais ils peuvent le travailler et développer une éthique dans ce domaine, comme nous avons pu le constater. Il n’y a pas de dispositif pur et parfait, les technologies en tout cas permettent de contourner des dispositifs issus d’un temps où elles n’étaient pas opérationnelles. Il est donc normal qu’on en change désormais. Cela ne peut se faire dans la défiance et la criminalisation, mais beaucoup plus dans l’invention et l’échange.
In fine, le but est de faire passer « réellement » l’idée que l’on apprend pas pour l’examen… et cela, tous ceux qui font preuve d’autodidaxie le savent… demandons leur des conseils ?
A débattre, et à suivre en cette fin d’année scolaire et universitaire…
On pourra lire ici l’illustration (maladroite)  de ce problème :http://www.01net.com/editorial/534324/pour-eviter-la-triche-les-mobiles-sont-interdits-d-examen/
BD

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