Passionné, enthousiaste, modeste, pragmatique, sceptique…

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Dans quel registre de pensée, dans quel rapport avec l’objet, nous situons nous dans notre approche des technologies de l’information et de la communication en éducation et en formation ? C’est probablement la question que chacun de nous doit se poser avant même de s’exprimer sur le sujet. Car à entendre aussi bien des chercheurs patentés, des commerciaux, des techniciens, que des enseignants parler des TICE, on s’aperçoit que le point de vue initial est souvent implicite voir inconscient pour celui qui s’exprime, et parfois parfaitement lisible pour l’auditeur ou le lecteur… Mettre à jour cela pour soi même c’est un peu comme citer ses sources : d’où je parle lorsque j’exprime mon opinion, je communique mon travail, mes recherches. Bruno Latour rappelle dans ses travaux sur la construction de la recherche scientifique que cette question est essentielle et qu’elle détermine la nature même du contenu proposé.
Chacun peut se draper dans une posture critique et distante pour refuser ce travail, et pourtant cela est indispensable pour comprendre le sens des paroles tenues. Quand un biologiste s’exprime sur l’éducation à l’ère du numérique en commençant par parler de l’entrée de son fils à l’école primaire, on peut lui poser la question de savoir d’où il parle : d’un point de vue scientifique, d’un point de vue de parent d’élève, d’un point de vue d’ancien élève se rappelant son enfance etc… Quand un médecin parle des TICE en évoquant ses souvenirs d’enfance comme source de sa compréhension.des problématiques de l’école et ses petits enfants comme témoignage des « nés avec », on peut s’interroger sur l’autorité du discours qu’il tient devant un aréopage de spécialistes.
Les TICE ne laissent pas indifférentes, et leur actuel développement dans le contexte scolaire renvoie chacun à sa propre relation au monde qui l’entoure. La position d’autorité qui positionne le chercheur le plus aguerri dans un univers « hors du commun », ne doit jamais faire oublier cette dimension. Rencontrant récemment des chercheurs et des experts dans différentes circonstances, j’ai pu mesurer combien, à propos des TICE, mais c’est probablement la même chose sur d’autres sujets, il était difficile de séparer ce qui est de l’ordre de la conviction (voire de l’opinion) de ce qui est de l’ordre des faits observés et analysés. En fait, dès la collecte des faits nous sommes prêts à orienter notre regard vers ce qui nous « attire ». Quand à l’analyse, elle permet parfois de faire des sauts impressionnants vers la généralisation parfois péremptoire de ce qui n’est souvent qu’un aperçu d’une réalité.
Dès lors que des personnes dont l’activité scientifique est présumée garantir une certaine objectivation peuvent être prises au piège de leurs convictions, croyances, elles ont tendance à préciser que ce qui est exprimé en tant que vérité n’est qu’une hypothèse, scientifiquement parlant, appelée à être discutée. Mais pour le public ordinaire, cette distinction est difficile à faire et l’autorité de la parole peut prendre le dessus sur la vérification systématique, voire le doute. Celui qui est en dehors de tout cela et qui est ordinairement dans sa classe, par exemple, peut avoir du mal à se départir d’une attitude similaire. Ainsi dans des groupes d’enseignants, il n’est pas rare d’être confronté à ces postures variées, mais difficiles à maîtriser. En effet, il arrive bien souvent que l’estime de soi, la fierté, soient suffisamment affirmées pour qu’il soit impossible de questionner ces postures. A la différence du chercheur qui va essayer d’utiliser les armes de la science (méthode, cadre théorique etc…) la personne ordinaire va avoir surtout recours à ce qu’elle croit sans, rarement, pouvoir originer cette croyance au delà d’une émission de télévision ou d’une lecture d’un journal grand public.
Or c’est bien là la difficulté : comment travailler la question de l’utilisation des TIC en milieu scolaire quand le contexte d’analyse utilisé par les acteurs est partagé entre l’identité personnelle et l’information médiatisée ? Autrement dit comment aborder sereinement les échanges quand la passion personnelle ou quelques informations captées à la télévision suffisent à développer un argumentaire. Depuis près de trente années que les TIC on fait leur irruption dans le champ de l’enseignement on observe ce phénomène. De manière récurrente, chacun à un avis, mais l’origine de cet avis est souvent très superficiel. Plutôt qu’une analyse rigoureuse, ce sont souvent des messages brouillés qui sont proposés.
Parler des TIC, écouter des intervenants parler à propos des TIC, cela suppose d’avoir un système de décryptage assez sophistiqué afin de dégager les faits de leur gangue de passion, d’émotion, de ressenti. Tout un chacun, chef d’établissement scolaire en premier, est confronté à ce problème aussi bien pour recevoir de tels propos que pour en tenir. Il n’est pas rare d’avoir pour argumentaire d’un équipement TIC dans un établissement des éléments qui ne sont pas appuyés sur une analyse rigoureuse de la pertinence des outils choisis. Parfois même il s’agit de la simple recopie d’un prospectus commercial. D’autre fois il s’agit d’une reprise de propos délivrés ici ou là sans vraiment en analyser l’origine. Quand cela débouche sur des prises de décisions qui engagent, on peut être inquiet. Combien de machines inutilisées ou sous utilisées, combien de logiciels oubliés, combien d’équipement mal installés…. ? A l’origine de ces problèmes, une mauvaise compréhension, due parfois à ces phénomènes qui convertissent en acheteur quelqu’un qui n’a pas mis en oeuvre les outils pour prendre de la distance avec la proposition.
Du chercheur le plus aguerri à l’utilisateur ordinaire, nous avons un devoir de vigilance. Connaître ses propres enthousiasmes (ou résistances), les contrôler, repérer ceux des autres, les situer dans un cadre « politique » « éthique » plus global, est de plus en plus urgent. L’évidence des technologies en éducation et dans la société doit se traduire par des questionnements rigoureux, dans une vision à long terme, durable dit-on maintenant. Il faut se départir du retour immédiat sur investissement… et inscrire ses choix dans des dynamiques de développement ancrée dans l’histoire et projetée dans un avenir plus lointain que celui des machines, l’avenir de nos enfants. Les crises financières et climatiques sont révélatrices de nos aveuglements du court terme et de notre inconséquence sur le long terme. Il doit en être de même de la question du numérique. Certes les choses vont vite, mais il est souvent nécessaire de rechercher les lignes de forces pour s’apercevoir que ce qui est annoncé comme nouveau ne l’est que rarement. Mais l’attrait de la nouveauté est un écran à la lecture approfondie… là encore le vertige de l’instant peut troubler le jugement…
A débattre
BD

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