Monsieur Fourgous a du mérite et prend des risques. De plus entre naïveté et maladresse, il publie un livre qui présente, c’est presque une première de la part d’un politique, l’intérêt d’aborder avec une certaine brutalité la question de la pédagogie à l’ère du numérique (Odile Jacob 2011). Les qualificatifs employés ici peuvent surprendre, ils demandent quelques explications.
En tant qu’homme politique, on sait que les questions d’enseignement sont délicates et que les aborder suppose du doigté : plusieurs ministres s’y sont exposés avec parfois de fâcheuses conséquences. Monsieur Fourgous a donc du mérite d’aborder, « enfin », la question de la pédagogie qui accompagne le numérique. Par sécurité il aurait pu s’arrêter à parler de recommandations dans les trois domaines habituels : équipements, ressources, formations. Mais non, il a pris le risque d’aller sur un terrain qui peut s’avérer difficile. Optant résolument pour un modèle socio-constructiviste basé sur les compétences, il se place dans un camp pédagogique résolument moderniste, pédagogique diront certains, libéral diront d’autres. En tout cas la résolution du propos est suffisamment forte pour nous inviter à lire attentivement le document.
C’est justement cette lecture attentive qui amène à parler de naïveté et de maladresse. On a parfois l’impression de lire dans ce texte les propos de ces enseignants technophiles absolument convaincus de détenir une vérité, dont le caractère de nouveauté est une des caractéristiques. En fait dans cette ouvrage, on remarque un nombre d’emprunt très important à de nombreux travaux de pédagogues pas tous explicités même s’ils sont cités. Une certaine naïveté transparait pour celui qui côtoie le monde enseignant quotidiennement et qui perçoit l’écart entre un discours idéaliste et les réalités quotidiennes qu’impose l’organisation scolaire. Car ce que ne fait pas Monsieur Fourgous, tout comme l’ensemble des chercheurs entendus dans le colloque Sankoré du 15 novembre, c’est le nécessaire travail de déconstruction de l’organisation de l’école (et d’autres institutions d’accès aux savoirs). La classe est toujours la classe, on n’en sort pas. Du coup les propositions ne se tournent même pas vers les propositions qui existent depuis 1974 autour des CDI et des propositions de l’éducation populaire qui depuis plus de cinquante ans tentent de remédier de manière originale aux carences d’un système que certains pensent à bout de souffle.
La maladresse de l’ouvrage réside probablement dans son ambition. A vouloir tout embrasser, le livre, outre qu’il oublie des réalités scolaire en place, mal étreint le problème et risque même de fâcher certains. Dommage car l’idée de base est bonne et la personne qui la porte ne manque pas d’entrain et de dynamisme. On sent aussi poindre la maladresse quand l’auteur, en bon politique, n’oublie pas de donner des gages à certains groupes de pression : on ne remplace pas un enseignant, le mot traditionnel affleure ici ou là dans un souci possible de les contenter. Mais à force de balayer large, apparaissent certaines contradictions, certes modestes mais évidentes pour les connaisseurs de l’éducation.
Le terme brutalité employé ici vise à qualifier, positivement, la force contenue dans un ouvrage dont le style et l’organisation visent à l’opérationnalité. Car c’est un des intérêts majeurs de celui-ci : il donne à intervalles réguliers des synthèses, parfois choc, et des pistes, parfois un peu raccourcies. Mais ces encadrés précieux, à caractère pédagogique, ne doivent surtout pas dissuader de lire le contenu complet de l’ouvrage. Saluons aussi la lisibilité pour quelqu’un d’extérieur au milieu de l’enseignement. Mais la brutalité vient aussi d’un choix rhétorique qui marque peut-être l’impatience de son auteur, et aussi de certains de ses collègues de la mission qui porte son nom.
Monsieur Fourgous est connu pour son engagement pour le numérique. Il est aussi reconnu pour avoir l’habitude d’aller chercher l’information la plus large possible pour faire avancer son propos. Mélange des genres, mélange des contenus viennent parfois troubler le lecteur qui pourrait aimer des argumentaires plus serrés. Le style politique et technophile pourrait éventuellement desservir ce genre d’écrit. Au lieu de servir d’agitateur d’idée, on pourrait le ranger dans le rayon des livres convaincus dès la couverture d’avoir totalement raison. Or ce qui est le plus riche dans cet ouvrage c’est qu’il tente d’ouvrir un débat dont on rappelle qu’il nous semble trop frileux dans la remise en cause qu’il propose. Y a-t-il une pédagogie numérique (et non pas une pédagogie du numérique) ? Cela n’est pas sûr. Mais par contre poser la question dans ce champ est essentiel. On déplorera que la technique prenne parfois une place trop importante dans l’argumentaire par rapport aux réels usages de celle-ci.
Si Alain Chaptal aime à rappeler que les propos enthousiastes et/ou catastrophistes sur les technologies en éducation ne sont pas nouveaux (comme beaucoup d’autres propos sur l’éducation…), il ne faudrait pas que cela permette de rejeter la proposition de Monsieur Fourgous d’engager un vrai chantier pédagogique. Malheureusement, force est de constater que le chemin à parcourir est complexe et long… cela fait plus de 30 années que nous essayons de le comprendre et de le tracer… entre temps la société à changé et le numérique est devenu une évidence. Et pendant ce temps là l’école a refusé de se questionner : les politiques qui se sont succédées portent une responsabilité lourde dans le domaine, et l’accusation des enseignants comme vecteurs de résistance ne doit pas faire oublier qu’ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg, avec les autres acteurs internes et externes au monde scolaire qui l’ont cantonné souvent dans une marge de la société qui a peut-être fini par être confortable pour ceux qui y restent….
Merci Monsieur Fourgous d’avoir ouvert le débat… mais il faut encore l’élargir à d’autres sphères qui sont celle de l’accès de tous aux savoirs et celle des autres lieux de savoirs qui à coté de l’école ont des questions similaires à régler…
A débattre
BD
Nov 21 2011
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Bonjour,
Rien à voir avec un commentaire de l’article lui-même. Je suis abonnée au fil RSS de votre blog via Netvibes. Depuis trois mois, je ne reçois plus aucune nouveauté, le flux ne fonctionne plus. Après plusieurs essais, toujours aucun affichage des nouveautés.
Je voulais simplement vous en avertir. Cordialement Jacqueline Valladon
Auteur
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Pour une fois je ne partage pas tout à fait ta vision. Pour ma part, j’ai trouvé le rapport de la commission plutôt courageux et innovant. C’est le fruit de l’audition d’une cinquantaine de personnes, et du travail d’une commission de 8 membres. C’est certes de la vulgarisation, cela manque peut-être de subtilité dans le maniement des codes ou dans la forme, mais la problématique de fond et les propositions innovantes méritaient mieux selon moi que le silence méprisant qui les a accueillies.
J’ai même pensé un moment que la loi sur la Refondation tenterait d’insuffler une nouvelle pédagogie tournée vers la collaboration et l’appropriation des savoirs, ( oserais-je dire de l’intelligence collective?) là où l’on voit encore trop souvent l’enseignant délivrer de l’information magistrale et renvoyer à la maison le temps de l’apprentissage. Je conseillerais volontiers aux jeunes profs de le lire. Mais c’est que je dois être très très naïve!
Auteur
Tu es plus optimiste que moi. Tant mieux. Une précision toutefois. Je distingue le rapport Fourgous et le livre de Fourgous. Sur le rapport Fourgous, j’avais été critique mais en même temps j’avais salué la qualité de l’inventaire en particulier auprès de Pascal Cotentin et Véronique Saguez, ses principaux auteurs. Le livre publié ensuite est différent de ce rapport et me semble, du fait de son intention politique, ménager trop de susceptibilités et ne pas aller sur le terrain plus large de la question scolaire globale. Peut-il y avoir une pédagogie numérique dans une école du XIXè siècle ?.
Tu as tout à fait raison de promouvoir la lecture du rapport, car c’est une mine. Au delà des personnalités entendues (mais je suis toujours méfiant de ce genre de procédé qui donne la parole à des gens autorisés – même temporairement), c’est surtout le large travail de compilation qui vaut la peine et qui donne des pistes particulièrement intéressantes.
Je dirai pour conclure que le livre a rétréci le rapport ;-))
Merci Bruno, effectivement je parlais du rapport, je ne connais pas le livre. A bientôt!
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