Art du discours… et pas seulement numérique…

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Prendre la parole est un art ! pas une technique seulement. Parler (s’exprimer par oral ou par écrit) c’est tenter d’influencer l’autre, celui ou celle qui reçoit la parole. Qu’on le veuille ou non tenir parole c’est envisager la possibilité qu’elle soit reçue. Après l’oral, l’écrit (rappelons la méfiance de Socrate) a élargi le champ du discours. L’informatique rebaptisée numérique tant elle s’est fondue dans le paysage informationnel et communicationnel, ouvre désormais un nouveau champ du discours accessible à tous, comme l’oral (mais pas comme l’écrit, longtemps réservé à quelques-uns). Si les moyens de faire discours se sont multipliés, c’est l’ampleur de la diffusion de ces discours qui a aussi changé. Le temps du livre dominant est en train de s’estomper progressivement dans l’ordre du discours au profit d’un temps de la conversation. En effet après le développement du discours journalistique est apparu celui du discours des polémistes. Il est de bon ton d’être polémiste, même quand on est journaliste, c’est une nouvelle forme de spectacle du discours après celui dénoncé par Pierre Bourdieu, le débat binaire fort présent dans les années 1970 – 1980 dans les médias. Une forme de discours ne supprime pas l’autre, mais l’enrichit d’armes rhétoriques nouvelles. Il suffit d’aller sur des forums ou des espaces de débats dans des réseaux sociaux pour observer ces comportements en évolution dont les plus spectaculaires sont les « trolls ». Car l’une des particularités d’Internet et du web c’est d’avoir permis de nouvelles formes de prise de parole qui ont élargi le champs des possibles et donc amené chacun à avoir la possibilité de s’exprimer. C’est la multiplication des formes visibles de la parole qui est en particulier nouvelle : que ce soit pour le jardinage, la cuisine, la parentalité, la maladie, la critique cinématographique etc… chacun peut désormais parler et écouter, voir être écouté. On comprend donc qu’une éducation à la prise de parole et à l’écoute est essentielle. Lire et écrire ne suffisent pas !!!
Mais prendre et tenir la parole, c’est utiliser donc des procédés qui visent à convaincre (au sens large) l’autre (ce à quoi ce billet prétend, lui aussi bien sûr). Même si les contenus peuvent être importants, il est surtout frappant de remarquer que d’aucuns utilisent des formes particulières pour renforcer, pensent-ils, la force de conviction, de persuasion, de conversion de leur parole. En voici, ci-dessous, quelques-uns qui peuvent évidemment renvoyer à des lectures particulièrement riches sur le sujet : « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens » de J.L. Beauvois et R.V. Joule (PUG, 2002, rééditions multiples), ou encore « petit traité d’autodéfense intellectuelle » de N. Baillargeon (Lux 2006).
Cette liste n’est évidemment pas exhaustive et peut constituer aussi bien un cadre d’exercice, qu’une grille d’analyse et de repérage de ces tentatives de manipulations et donc de la nécessité que nous avons de les neutraliser :
– Attaquer l’auteur et non pas les propos qu’il tient
Commencer son propos en dénigrant ou magnifiant l’auteur avant de citer celui-ci ou au moins d’évoquer ce que l’on veut mettre en avant de sa pensée. Nous le faisons assez naturellement lorsque l’on admire quelqu’un. On l’utilise assez souvent lorsque l’on est opposé aux idées de la personne voir même à la personne elle-même (rivalité, jalousie, intérêt).
– Insérer dans la présentation d’un propos des remarques, commentaires défavorables, dénigrant, ironiques, ou à l’opposé.
En insérant dans le cours de la phrase des petites remarques désobligeantes, je diminue la personne ou le propos. Exemple « Monsieur Machin, chapeau toujours à l’envers, homme politique connu, un de ces menteurs, qui inaugure la foire a déclaré… »… Ces remarques et commentaires peuvent parfois aller très loin : « Monsieur Truc, universitaire, dans sa tour d’ivoire, ne risque rien de là où il est pour discourir ».
– Rassembler un patchwork d’idées dans un texte en donnant l’impression d’une cohérence par l’usage habile des mots de liaison, en vue de faire passer son opinion
A partir d’une thématique sur laquelle on souhaite se faire connaître, on exprime son opinion, sa croyance, en rassemblant un grand nombre d’informations éparses qui vont toutes dans le même sens. Quelques bonnes liaisons et une justification de la valeur de l’auteur par une biographie enrichie permettent ainsi de laisser penser que ce patchwork est un vrai travail d’enquête.
– Mettre en gras, couleur, majuscule, souligné,… une partie du texte
Dans un texte écrit, mais aussi parfois à l’oral, la mise en relief d’un passage du texte ou une idée oriente le lecteur. Ex : ce que j’ai à dire, et cela me parait être le plus important, c’est que… » est une manière utilisée pour essayer d’augmenter la persuasion de mon idée. Par écrit, quand dans un texte, certains passages sont mis en gras ou souligné, ils attirent l’œil et orientent la lecture. Il est difficile de résister à l’attirance de ces passages sauf quand ils dépassent un seuil et perdent de leur visibilité.
– Utiliser uniquement des mots valises qui peuvent être repris pour ou contre la même thèse
L’exemple de Franck Lepage ou de ma « boite à mot », illustre cette manière de faire. On prend un sujet, on collectionne les thématiques et sous parties en en retenant les mots emblématiques et ensuite on en fait un texte qui fait de vous quelqu’un de brillant sur le sujet.
– Invectiver, à la limite de l’injure l’auteur
Critiquer un auteur, au-delà du simple dénigrement, s’appuie sur l’invective, la mise en cause, la suspicion. Les informations proposées sont peu discutables car pas étayées autrement que sur des on-dit ou des informations de troisième main (il m’a dit qu’on lui avait dit que…). Concernant les personnalités publiques c’est une pratique courante. Dès lors que vous devenez visible auprès d’un public plus large, cela a de bonnes chances d’arriver. Nombre de polémistes utilisent ce procédé. Récemment quelques affaires ont montré que la limite avec le harcèlement moral est très proche… même avec les humoristes.
– Extraire un passage, une citation, de l’auteur sans se soucier du contexte dans lequel ce passage se situe
Ce procédé est utilisé quand on veut à tout prix convaincre. En citant, hors contexte, tel ou tel document parce qu’il renforce mon opinion l’idée que je veux faire passer, on arrive ainsi à développer un faisceau de fausses preuves. Soit on cite le livre ou l’auteur qu’on n’a pas lu, soit on extrait simplement une courte citation qui conforte ce que l’on dit, sans se soucier du contexte. C’est un reproche courant fait aux travaux fait dans des mémoires professionnels ou universitaires.
– Ne pas chercher à connaître l’auteur d’une citation que l’on a extrait ou non de son contexte
Le procédé consiste à n’attaquer un auteur que pour un seul travail qu’il a réalisé alors qu’il en a bien d’autres. Les artistes sont souvent victimes de cela surtout lorsqu’une production ne plait pas ou qu’elle change trop l’image que l’on a de l’artiste. C’est aussi le cas lorsque l’on parle de l’auteur en ne regardant que le produit dont on dispose sans le situer dans l’ensemble de la progression de son travail. Souvent un texte publié à un instant précis est situé dans une chronologie (une diachronie diront certains).
En conclusion de ces quelques cas, on est surpris que des gens dits de qualité, de par leurs études, leur position sociale, leur réputation, se laissent tenter par ces procédés. Si l’usage est parfois volontaire, il est souvent inconscient. Dans ce cas, on peut imaginer deux possibilités (au moins) : être soi-même dans un univers qui utilise couramment ces propos (ce que l’on observe dans les médias et la recherche de popularité) et ne plus s’en rendre compte; être pervers, voire atteint d’une maladie mentale.
L’éducation à la parole et à l’écoute doit aussi faire partie du bagage fondamental du citoyen. La lutte contre ces procédés est un des éléments clés d’un tel enseignement ou d’une telle éducation. Mais il est dommage de constater que même parmi ceux qui demandent le fondamental du lire et de l’écrire, il y en a qui utilisent ces procédés… pour se faire (re)-connaître… sur papier, dans les médias de flux et désormais sur Internet.
A suivre et à débattre
BD

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  1. […] Je reconnais d’abord volontiers que mon tropisme technophile peut me conduire à consacrer trop de temps au numérique (outils, méthodes, enjeux culturels, sociétaux et politiques…). Je reconnais aussi qu’il m’arrive de mal intégrer le numérique dans mes scénarios pédagogiques (le numérique devient alors un obstacle, comme le rappelle par exemple Alice Keeler). Ainsi, avec le temps, je suis confiant : J'aime : J'aime chargement… Sur le même thème. Art du discours… et pas seulement numérique… – Veille et Analyse TICE. […]

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