Le harcèlement, une réalité qui en cache bien d'autres, même avec le numérique

Print Friendly, PDF & Email

Au risque de me répéter, je suis de plus en plus réticent à aborder la question du harcèlement sans jamais parler de l’agressivité quotidienne. Alors que le ministère relance une campagne (http://www.agircontreleharcelementalecole.gouv.fr/) au même moment qu’une grande campagne sur la laïcité et la citoyenneté, on a tendance à oublier que l’agressivité du quotidien est à la source de nombreuses dérives, dont le harcèlement est la partie émergée de l’iceberg. Les petites incivilités du quotidien sont des formes d’une violence qui peuvent ensuite se transformer en des situations dramatiques, voire extrêmes. De même les violences de la vie quotidienne, du monde du travail, de celui de la performance sont aussi des formes d’agressivités que nous subissons tous.
A parler des situations extrêmes on en oublie celles du quotidien. Quand des élèves osent témoigner de propos désobligeant ou de ressentis difficiles de propos d’autres élèves et qu’ils se heurtent à une quasi indifférence des adultes, ils peuvent être enclins à considérer que les adultes ne les soutiennent pas ou qu’en tout cas qu’ils ne sont pas conscient de la forme de violence subie. De même celui ou celle qui se permet, parfois en pleine classe, de répondre avec agressivité ou violence à un autre élève se sentira souvent protégé par le silence complice des adultes voire des autres élèves. Certains en sont venus à considérer que si l’on ne sait pas se défendre c’est qu’on ne vaut pas grand-chose…
Internet et les réseaux sociaux, ou au moins les échanges d’information par moyen numérique, de nouvelles possibilités d’agression verbale n’allant pas forcément au harcèlement sont aisément accessibles à tout un chacun. Si d’un côté nos vies privées sont de plus en plus « trackées », d’un autre l’anonymat est pour certains une arme nouvelle. La vie en société serait « naturellement violente » questionnent certains ? Pour certains c’est la nature humaine qui porte la violence. Les récentes commémorations de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau ont permis à certains de tenir des propos qui font penser que c’est bien cette réalité-là qui est celle de l’humain. Devant l’émotion justifiée de l’assassinat d’humoristes on ne peut accepter que cela soit l’occasion de minimiser la barbarie du XXè siècle. Ils ne sont pas si éloignés de ceux du mois de janvier 2015 ceux qui au siècle dernier ont fait de la violence, parfois celle d’état, un fait « normal ». Toutefois le côté exceptionnel de ce qui vient de se produire et sa médiatisation (parfois bien maladroite) tend à cacher la violence ordinaire subie au XXè siècle et qui, en ce début d’année 2015 continue de concerner nombre de pays dans le monde.
Cette violence du quotidien, c’est aussi celle qui traverse l’information et les médias au quotidien. Dans leur manière de la montrer, de la mettre en scène, voire de la spectaculariser, les intermédiaires, médiateurs de la population qu’ils soient journalistes, éducateurs, enseignants, sont en partie complice de cette « dé-hiérarchisation » des faits. Non pas qu’il faille en faire plus ou moins, mais parce qu’il y a une sorte de « mise à distance » des faits qui petit à petit rend inoffensif ce qui survient au loin et qui au contraire amplifie ce qui arrive en proximité. L’agressivité, la violence, le harcèlement n’est pas moins insupportable à Nairobi, à Bombay qu’à Paris ou à Stockholm ou Montréal.
Internet nous donne une ouverture nouvelle sur l’autre. Chaque éducateur doit s’emparer de cet espace pour y faire vivre une véritable réflexion/action sur la manière de vivre en société dans cet espace, comme il le fait dans la cité. Pour ce faire, il est indispensable d’inciter tous ceux qui en ont la possibilité à faire vivre ces relations en ligne au travers d’activités variées. D’y permettre la confrontation, son décryptage, et surtout la réflexion qui permet de penser la responsabilisation. Car il semble bien que le sentiment de non responsabilité soit un des maux les plus graves de ce que nous observons dans nos sociétés. A écouter certains propos et faits venus d’horizons très différents, on peut penser que l’Autre n’est plus un humain, n’est plus humain. Les médiations instrumentales font partie de cette évolution, mais n’en sont pas les coupables. Il est habituellement plus facile d’éviter d’affronter les véritables responsabilités. En le faisant ouvertement, par sa pratique, sa croyance, ses caricatures, sa vraie vie publique, nombre d’entre nous nous exposons à la violence, au harcèlement à l’agressivité. Or, ce que cherchent ceux qui pratiquent ces formes d’agression, c’est de faire taire l’autre. Le harcèlement n’est finalement qu’une des étapes dans le processus qui mène un individu à retirer toute humanité à l’autre.
Mais il y a bien d’autres étapes, en amont, en aval, il ne faudrait pas l’oublier.

Éducateurs de tous pays, unissons-nous pour redonner à la parole sa vraie place dans une société mondialisée qui revendique le droit au vivre ensemble !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.