L'égalité homme-femme/femme-homme, une affaire de culture, pas de numérique ?

Le journal le Monde, rendant compte du discours d’Emmanuel Macron, extrait trois passages significatifs du lien entre le web et cette question d’égalité que je reproduis ici :
« Sur les réseaux sociaux, le harcèlement se donne trop souvent libre cours, sans que ni les enseignants ni les parents ne soient formés à le prévenir. C’est pourquoi nous devons mettre en place une véritable prévention du cyberharcèlement, et là aussi, dès 2018, des modifications législatives seront portées pour non seulement mieux prévenir mais aussi poursuivre ceux qui agissent sur Internet pour harceler. »
« Il faut éviter que les comportements les plus indignes ne fassent l’objet d’une forme de propagande tacite. Les plus jeunes regardent infiniment moins la télévision que les plus âgés, et nous ne régulons pas aujourd’hui l’accès aux jeux vidéo, aux contenus sur Internet, aux contenus pornographiques de plus en plus diffusés. (…) Nous devrons donc repenser le cadre de notre régulation, en particulier des contenus audiovisuels, en prenant en compte l’évolution du numérique afin d’étendre les pouvoirs et la régulation du CSA. « 
« Unissant mondes virtuels, stéréotypes, domination et violence, la pornographie a trouvé grâce aux outils numériques un droit de cité dans nos écoles. Nous devons prendre à bras-le-corps ce phénomène que nous avons trop longtemps refusé de voir. Une opération de sensibilisation des parents sera donc lancée à la prochaine rentrée. (…) La pornographie a franchi la porte des établissements scolaires comme naguère l’alcool ou la drogue. « 
Encore une fois un politique convoque l’école pour traiter d’un problème de société. Cette manière de faire n’est pas nouvelle, nombre de ses prédécesseurs s’y sont essayés. Au moment du débat sur l’écriture « inclusive », on ne peut que s’étonner d’une sorte de cacophonie éducative, à moins que ce ne soit plutôt une cécité politique. En effet la question de l’égalité est d’abord une question de culture. Et les changements culturels s’inscrivent dans des temps longs, des aléas, et surtout des explicitations qui vont de la loi à l’autorégulation de la parole. La loi parce qu’elle fixe les limites dans lesquelles s’inscrit une culture, l’autorégulation, parce que le problème de fond est la capacité personnelle de chacun de nous à « penser autrement » les relations humaines dans la société. Pour le dire autrement, notre « faire société » doit changer et ce n’est pas nouveau.
Dans les années 1970, dans la suite des évènements de mai 1968, le mouvement féministe émerge et prend place dans le débat public : la création des éditions des femmes date de 1972 – voir sur Wikipédia la notice qui leur est consacrée. Symbolique que cette maison d’édition dont les titres vont nous amener à réfléchir à cette question. Le livre d’Elena Gianini Belotti « Du côté des petites filles » publié en 1973, accompagne mes premiers pas de « garçon » à l’université dans des études de psychologie, de philosophie et de sociologie. Dans l’ensemble des mouvements qui vont traverser les universités entre 1973 et 1976 (année de la plus longue grève jamais connue dans le supérieur, je crois) la question de l’égalité homme femme va se porter au coeur des échanges de cette jeunesse qui veut changer le monde, le sentant déjà à la dérive (le choc pétrolier de 1973 a laissé des traces). Il faut bien reconnaître que, dernier d’une famille de six garçons, la place de la femme était, dans mes représentations, celle que ma mère nous avait aidé à construire.
Sans entrer dans les détails de cette époque, et de la suite d’une vie ordinaire, d’enseignant et plus généralement d’éducateur, la question de l’égalité ne se pose pas de manière conflictuelle : c’est d’abord une question du respect de l’autre, quel qu’il soit. Mais l’éducation des petits garçons est aussi une réalité et comprendre celle des petites filles a été un élément clé de la meilleure compréhension du problème. L’autre est Autre. Mais au fond de soi, il y a deux tâches qui sont difficilement effaçable : le racisme et le masculinisme (et non pas le machisme qui n’en est qu’une forme). C’est en Bretagne que la question a pris une nouvelle forme avec le fameux « matriarcat » breton. Mythe ou réalité, femme de marin ou de travailleur de la marine marchande, mais aussi gardienne de la maison quand l’homme est celui qui va diriger au dehors de l’espace familial, ce que l’on nomme matriarcat est une des manières d’aborder l’égalité homme-femme. C’est la question des territoires, celle qui permet de vivre ensemble en organisant des séparations. Si cette forme de vie sociale fait réfléchir, elle ne donne pas la clef ni la réponse aux inégalités persistantes. Car celles-ci sont d’abord logées au fond de l’esprit des hommes comme des femmes.
Internet, le web sont des amplificateurs. En l’occurrence le propos d’Emmanuel Macron le montre. Mais un amplificateur est aussi un révélateur d’un phénomène profond. Violence verbale, pornographie, harcèlement ne sont pas des faits nouveaux. Ce sont surtout les limites qui posent problèmes comme le montrent les interviews de Thierry Ardisson et Laurent Baffie (cf. N Leroy et F Foresti). Ce n’est pas Internet qui est en jeu là, mais bien la télévision et ces personnes autorisées pour qui les propos n’ont plus d’autre sens que celui de faire de l’audience et donc de vendre de la publicité… On trouvera facilement nombre d’exemples publics de la « vulgarité » ordinaire basée principalement sur la question du sexe et de la violence.
Un phénomène culturel disais-je : cela fait bientôt cinquante années que ce débat a pris une ampleur nouvelle mais que peu de choses ont progressé. Parce que c’est bien au coeur de l’éducation que se constitue le terreau de la culture. Mais une éducation est d’abord le reflet, la transposition d’une société telle qu’elle est avant d’être ce que l’on voudrait qu’elle soit. Si l’on y regarde de plus près, c’est bien la question de l’Autre et de sa différence qui est au coeur de la culture. Internet, la télévision, les réseaux sociaux ne sont que les caisses de résonnance de notre conception de l’Autre. Suffit-il d’éduquer ? Sûrement pas ! C’est l’organisation de la société dans sa globalité qui doit être repensée pour que toutes les différences ne puissent devenir des soumissions ou des dominations. La concurrence scolaire par exemple (j’ai connu les classements, les médailles… à l’école primaire) semble avoir encore de beaux jours devant elle. Les travaux sur la collaboration ne doivent pas dériver sur l’idéologisation d’une égalité en tout, mais plutôt permettre de comprendre comment les différences sont des richesses pour tous.
La médiatisation est aujourd’hui un passage « obligé » de la problématisation, et on ne peut qu’en être satisfait. Mais parfois elle devient une fin en soi et perd totalement le sens fondamental lié à la raison initiale de l’expression. La réponse par la désignation d’un bouc-émissaire, le web et d’un remède le système scolaire et l’éducation, n’est pas efficace, elle est même contreproductive car elle donne bonne conscience. La question de l’égalité homme-femme est d’abord une question de culture individuelle et collective (culture étant pris dans son sens anthropologique). Elle est l’emblème du moment de la question des différences, au côté de toutes les formes de racismes. Mais c’est d’abord au fond de chacun de nous qu’il convient de s’interroger sur la manière dont on combat ce que nous avons construit de l’Autre, de notre enfance puis tout au long de notre vie. Ce travail réflexif indispensable doit permettre de faire évoluer dans nos proximités personnelles et professionnelles nos gestes, nos paroles, nos actions. Comment je parle à mon conjoint, mes enfants, mes collègues de travail, comment je les regarde, comment j’agis envers eux. Dès lors le web et le monde scolaire (comme l’espace éducatif familial) ne sont que des espaces comme les autres… avec ceci de particulier qu’ils sont des espaces de « lecture et d’écriture » du vivre ensemble actuel… Or c’est là que les défaillances sont facilement repérables. Les révéler n’est que la première étape d’un lent travail de déconstruction qui reste largement à mener, au vu de ce qu’on peut lire, entre autres sur les réseaux sociaux… La spectacularisation de la parole serait-elle en train d’en tuer la valeur ?
L’article du Monde :
http://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/11/25/violences-faites-aux-femmes-emmanuel-macron-souhaite-un-meilleur-controle-des-jeux-video-des-reseaux-sociaux-et-de-la-pornographie_5220411_4408996.html#Xb854mUT1hD2xJtM.99
Wikipédia et les éditions des femmes
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ditions_des_femmes
Le livre de D’Elena Gianini Belotti
https://www.desfemmes.fr/essai/du-cote-des-petites-filles/

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