Plus de 300 participants et seulement 35 reçus ! Comme les concours de recrutement de la fonction publique ou l’examen de première année de médecine, les jeux olympiques sont sélectifs !!! En comparant les discours sur les athlètes des jeux olympiques avec ceux sur la réussite scolaire on peut remarquer quelques similarités mais surtout, interroger sur le fond la pratique concurrentielle telle qu’elle est mise en spectacle dans ces évènements et son retentissement sur les comportements d’apprentissages.
La glorification des lauréats peut se comprendre dans notre contexte social et politique, mais que deviennent tous les autres…. Si l’on regarde les chiffres, il semble bien qu’il y ait bien davantage, en nombre au moins, à faire pour ceux qui échouent dans tous ces moments sélectifs. Quand on mesure l’énergie nécessaire pour affronter ces situations on peut se demander s’il n’y a pas un gâchis épouvantable d’énergie humaine dans tous ces « échecs ». En fait, à en juger par notre société, ce ne sont pas des échecs, mais simplement des moments sélectifs. Pourtant il faut bien que chacun puisse trouver une place dans la société. Si le fait de ne pas être sur le podium des jeux olympiques (voire même d’y être) n’a pas les mêmes conséquences que certains autres « échecs », on ne peut s’empêcher de réfléchir à la manière de rendre « utiles » tous ces investissements qui parfois durent plusieurs années et modifient le cours d’une vie.
La glorification des lauréats est une contradiction dans une société qui veut permettre la réussite de tous car elle ne valorise que la réussite de quelques uns, au risque de détruire l’estime de soi du plus grand nombre. Albert Bandura qui a longtemps travaillé ces questions a remarqué la force qu’il y a à l’intérieur d’un humain pour développer et maintenir un sentiment d’auto efficacité. Or, l’écoute des commentateurs de tous poils (officiels à la télévision, amateurs, dans les commentaires sur Internet), chacun est prompt à y aller de son jugement définitif sans réfléchir à l’effet que cela produit à court et à moyen terme. L’observation et la lecture des commentaires de toutes natures nous montrent qu’une telle survalorisation est extrêmement répandue, sorte d’allant de soi incontestable et incontesté. Au moment où Internet ouvre des accès nouveaux aux savoirs, l’estime de soi, le sentiment d’auto efficacité, l’autorégulation dans l’apprentissage, la résilience sont des biens humains trop précieux pour laisser l’éducation et l’insertion sociale être envahie par l’unique critère de réussite dans la compétition comme valeur centrale de la vie en société
Dans un autre registre, le monde la montagne, en particulier de la haute montagne a aussi à souffrir de ce culte de la performance. Fort heureusement, il y a plusieurs mondes qui s’y cotoient et ce n’est pas uniquement celui de la compétition qui domine, même si, là encore les médias doivent s’interroger…
Chercher en dehors de son domaine de spécialité de quoi alimenter la réflexion est souvent un enrichissement. Amateur de montagne et d’alpinisme, ayant depuis longtemps rencontré et suivi des guides de haute montagne, j’ai pu observer au sein de cette communauté professionnelle un fonctionnement qui pourrait bien faire réfléchir tous ceux qui s’intéressent aux réseaux sociaux et aussi aux communautés de pratique chères à Etienne Wenger et Jean Lave. (Revue pratiques de Formation et Analyses, numéro 54 Juin 2008, Les communautés de pratique, Coordination: Vincent Berry, université de Paris8).
Observant les guides de haute montagne dans leurs comportements collectifs et individuels, on peut s’apercevoir qu’ils forment une communauté de pratique, un réseau social très important. Assister aux échanges brefs de deux guides qui se croisent lors d’une ascension c’est souvent entendre un échange d’informations, un partage qui constitue en permanence un « savoir collectif circulant » conçu de manière informelle et pourtant particulièrement efficace. En remontant l’arête de neige qui rejoint le sommet de l’aiguille du Midi, tel guide croise quatre autres collègues qui la descendent, partant eux en course. Un bref échange d’amabilité est rapidement suivi d’un échange d’informations de natures diverses (météo, conditions, familles, amis etc…). Dans une autre circonstance, deux guides, venus de régions différentes sont sur le même glacier. L’un le connaît « par coeur », l’autre le découvre. Peu de temps après avoir fait connaissance (car on essaie souvent de faire connaissance avec ses pairs), celui qui connaît propose une aide à l’autre, celui-ci en retour promettant, lors de la séparation, une aide en retour. Je me rappelle avoir vu souvent le guide partir à la cuisine du refuge à l’heure de l’apéritif organisé par le gardien. Temps plus formel d’échange, les guides sont rassemblés dans la cuisine, ce qui permet d’organiser la circulation de l’information. Certains prolongent parfois tard dans la nuit les échanges qui passent du partage d’information à la consolidation de la culture commune par les récits épiques de tel ou tel membre de la communauté (avec force éclats de rires parfois).
Ainsi, à l’ère des réseaux numériques, des nouveaux métiers d’animation en ligne (community manager, modérateurs de forums etc..) il faut rappeler que la communauté de pratique, le réseau c’est d’abord une culture collective, se basant souvent sur un partage identitaire, mais aussi extrêmement informateur et formateur. Les partages de savoirs sont bien plus qu’une mode pédagogique ou un projet militant, ils sont un élément socle de certaines cultures dont je ne suis pas certains que le modèle de la compétition et de la valorisation des seuls lauréat ne viennent les mettre en périples. Ce métier qui a un peu plus de deux siècles mériterait d’être étudié sous cet angle de l’apprentissage collectif et collaboratif informel pour en dégager des formes de fonctionnement qui pourraient être profitables dans tous les autres réseaux sociaux.
A suivre et à débattre
BD
Août 14 2012
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