La presse spécialisée, indicateur de tendance! oui mais lesquelles ?

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En 1985, était publié dans l’Ordinateur Individuel un article qui présentait la manière de concevoir un serveur minitel. Il y avait un plan du câble permettant de relier l’ordinateur au minitel par le port série et un listing de programmation en basic qui permettait d’une part de « retourner » le modem du minitel pour en faire un serveur, d’autre part de concevoir quelques pages minitel. Avec un collègue, professeur en électrotech, nous avons développés un serveur minitel sur PC et sur Mac, grâce à ces éléments. Mon collègue avait lancé dans l’atelier de l’établissement, la fabrication des câbles ad ‘hoc avec ses élèves.
En 2013, le mensuel l’Ordinateur Individuel (créé en 1978) annonce qu’il disparaît dans sa forme historique, pour renaître en avril sous une nouvelle forme (tous les quinze jours) et un nouveau nom 01net. Après avoir absorbé la revue Science et Vie Micro il y a deux ans, c’est une nouvelle étape de franchie dans l’évolution de la médiatisation du rapport du public aux technologies de l’information et de la communication, à l’informatique et à l’électronique. Cette nouvelle étape confirme, s’il en était encore besoin, que le numérique est d’abord un usage avant d’être une technique, tout au moins dans son développement dans la société. Pour le dire autrement, la technique devient invisible (transparente ?) derrière les interfaces, l’ergonomie triomphe, l’usager est prioritaire. Renversement de paradigme ? Oui car l’entrée par la technique qui a été longtemps le fer de lance s’estompe peu à peu laissant la place aux usagers et à leurs « manières de faire ». Longtemps la technique s’est imposée aux usagers (il suffit de lire certains mode d’emplois, rappelons nous les magnétoscopes par exemple) afin qu’il se plie à ses règles, aussi abruptes et incompréhensibles soient-elles. L’usager avait tort. L’évolution de notre vie en société, la montée de l’individualisme et la victoire des idées libérales sur le monde occidental, ont transformé l’être au monde. Le client roi, est devenu une sorte de dogme qui a mis de coté les techniciens au profit des commerciaux. Mais les commerciaux ont du aussi se plier aux clients, ils se sont alors retournés vers les techniciens. Ensemble ils se sont mis aussi au nouveau dogme du client roi et ont imaginé des stratégies nouvelles pour satisfaire celui-ci. C’est à commencer par la facilité d’usage, dans le domaine des technologies que cela se manifeste. Les machines à coudre, à écrire, à laver les plus sophistiquées disposant de possibilités innombrables mais demandant la lecture d’un manuel papier lourd, encombrant et incompréhensibles ont cédé le pas au « prêt à utiliser ». Les champions en la matière ne s’y sont pas trompés : j’ouvre la boite de mon smartphone, j’appuie sur le bouton marche et aussitôt je sais l’utiliser. Rappelez-vous les trois tomes du mode d’emploi de MS DOS !!!
L’évolution des revues spécialisées grand public est aussi liée à cette évolution. Qui se rappelle encore cette revue hebdomadaire qui ne publiait que des listings de programmes dans des langages divers et variés ? Pour mémoire rappelons la revue nommée « Multimédia » apparue en 1991 et disparu 5 ou 6 années plus tard quand Internet est apparu. Cette revue était un indicateur de l’arrivée des nouvelles fonctions graphiques et de l’intégration de l’audiovisuel dans l’informatique. A la fin des années 1990 c’est la téléphonie qui s’est intégrée, Internet et le protocole TCP IP aidant, le monde convergent et connecté s’est imposé. Restait alors à résoudre un dernier problème : l’usager. Pour ceux qui ont connu Internet d’avant HTML ou les autres systèmes comme Compuserve ou même Calvacom, voire même le minitel, les usages n’ont rien de nouveau (Usenet par exemple, les BBS). C’est la facilité d’accès qui s’est modifiée. Pour gagner de nouveaux publics (part de marché), il fallait bien prendre en compte tous ceux qui ne veulent pas parler technique, mais parler utilisation. En croisant utilité et utilisablité avec accessibilité, nous avons franchi un cap : recherchez les modes d’emplois des applications de votre smartphone, vous aurez du mal à aller loin avec. Le principe est renversé : j’utilise d’abord, j’explore ensuite, et si besoin je vais chercher sur les forums les trucs et astuces, voire des aides techniques.
C’est le triomphe de « l’essai erreur ». Si vous avez vu ce numéro de l’émission Strip Tease (FR3), consacrée à l’arrivée d’un ordinateur portable dans une famille modeste, vous avez pu comprendre que ce qui est évident pour certains ne l’est pas pour d’autre. Il est souvent arrivé d’avoir au téléphone un technicien avec lequel on ne se comprend pas. Dans les établissements scolaires ou universitaires, les dialogues avec les informaticiens sont souvent difficiles, les interfaces humaines seraient moins ergonomiques ? Chacun de nous prend petit à petit cette habitude d’essayer d’abord puis de comprendre après. C’est un vrai renversement de manière d’apprendre. On en vient à croire qu’on s’est approprié un objet (même si ce n’est pas forcément vrai). Mais s’approprier signifie désormais, mettre l’objet au diapason de ses besoins et non pas maîtriser l’ensemble des facettes d’un objet, même si je n’en ai pas besoin de certaines. En d’autres termes nous acceptons de laisser la technique guider nos pas à condition qu’elle nous donne la sensation de ne pas nous entraver : c’est le secret du succès des smartphones (en particulier ceux de la firme à la pomme).
L’Ordinateur Individuel avait, depuis longtemps fait évoluer sa formule : fin des listings, fin des montages électroniques, arrivée de nouveaux objets numériques comme les téléphones, les appareils photos et autres objets embarquant de l’informatique. Certes les pages de trucs et astuces résistent (en fin de revue) et donnent une sorte d’humanisation à l’action possible de l’usager. Mais ce qui triomphe c’est l’enfouissement de la technique technicienne, et donc son exclusion, en quelque sorte du champ commun des usagers. Il y a séparation des mondes. Même si cela n’est pas vrai dans les faits, la technique est toujours là surtout quand elle ne fonctionne pas nous rappelle Bruno Latour, cela est vrai dans les perceptions qu’en ont les usagers.
Le triomphe de l’essai erreur, c’est le triomphe des modes archaïques d’apprentissage : le petit enfant apprend beaucoup par essais erreurs. Serions-nous infantilisés ? Un jeune qui s’est emparé de ces objets numériques personnellement est fort démuni lorsque son professeur lui parle du tableur. D’ailleurs celui-ci lui rappelle qu’il ne maîtrise pas l’informatique puisqu’il ne sait même pas utiliser un tableur (rappelons que c’est l’outil logiciel phare des techniciens et ingénieurs). Mais il répond qu’il maîtrise bien mieux que son prof ce dont il a besoin et qu’il peut le lui prouver. Quand à ce dont il n’a pas besoin (du moins dans son contexte) il le renvoie avec les autres objets d’apprentissage scolaires et universitaires, des objets pour demain. Mais nous sommes dans une société qui a privilégié le présent (oublieuse du passé, ignorante de l’avenir – cf. la réforme récurrente des retraites par exemple). Aussi ce qui est utile est ce qui me sert maintenant.
Le travail éducatif dans un tel contexte est de déplier les objets, pas seulement pour les contempler et les critiquer ensuite. Michel Tardy, en 1966 avait des mots très durs envers les enseignants dans leur rapport au cinéma et à la télévision et rappelait l’analyse de Claude Brémond (certes contestée) qui rappelait l’opposition entre culture supérieure (scolaire et universitaire) et culture de masse. Et voilà qu’avec le numérique la culture de masse entre dans les salles de cours !!!
A suivre et à débattre
BD

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