Le catastrophisme, le pessimisme, défaitisme, l’arrogance, une mode une tendance ?

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Lorsque l’on a commencé à parler de la fatigue informationnelle, on pouvait se demander qu’elle en était l’origine. Mais parler de saturation est insuffisant, si l’on ne s’intéresse pas aux contenus eux-mêmes et en particulier à ceux que l’on peut appeler les « faiseurs d’information ». La publication de L’ObSoCo et la Fondation Jean-Jaurès de l’enquête « Les Français et la fatigue informationnelle. Mutations et tensions dans notre rapport à l’information » est instructive, mais elle est surtout orientée réception. Même si elle aborde ici ou là la question du type d’information, on peut penser que la suite du travail serait d’aller en profondeur pour analyser ce qui est « fatigant » dans les informations perçues. Une approche subjective de la question à partir de deux années d’écoute et d’observation m’amène à interroger les professionnels de médias sur un style de questionnement. En analysant nombre de questions, remarques, propos, débats et chroniques dans divers médias, on peut s’interroger sur la posture des animateurs et autres journalistes ou chroniqueurs. Sont-ils pessimistes, arrogants, catastrophistes ou sont-ils, comme souvent ils l’argumentent, le reflet de l’état des citoyens ? Qui de l’œuf et de la poule ? Le fréquent recours à l’argument des réseaux sociaux semble ajouter au climat ambiant de ces émissions ou articles.

Il est une question initiale qu’il faut aussi poser : quel est le poids de l’audience dans le choix de la posture ? Sachant que l’audience d’un média est une des bases des revenus permettant de faire vivre ce média, via la publicité entre autres, quelles manières de faire peuvent provoquer cette audience ? On se rappelle ces actions terroristes menées aux heures de grande écoute (avant les actualités de fin de journée) ou encore ces annonces stratégiques qui tentent d’obtenir une visibilité maximale. Il est une forme qui manifestement est à la mode en ce moment, c’est celle qui tourne autour du pessimisme, du défaitisme, voir de l’arrogance. Ainsi en est-il de la manière de faire de nombreux interviewer/intervieweuses qui sont dans une agressivité vis-à-vis de leurs interlocuteurs afin de tenter de les déstabiliser. Ces mêmes interlocuteurs apprennent, pour certain(e)s d’entre eux à faire face,e à ces propos, via des entraînements aux médias (média training !!!) et autres éléments de langage. Mais ce qui frappe le plus, au delà de ces entretiens parfois houleux, c’est aussi les propos d’experts ou de spécialistes (autoproclamés le plus souvent) qui utilisent les mêmes ressorts qui visent à accréditer leurs propos.

Cet article « France/Maroc : cuisante défaite pour CNews, la guerre civile n’a pas eu lieu » (https://www.telerama.fr/ecrans/france-maroc-cuisante-defaite-pour-cnews-la-guerre-civile-n-a-pas-eu-lieu-7013499.php) proposé par Samuel Gontier du journal Télérama est une belle illustration de cette spectacularisation des propos médiatiques qui visent tous à faire de l’audience, mais aussi à tenter d’influencer la population. Car jeter de l’huile sur le feu est une pratique qui semble venir de tous les côtés et qui vise à dramatiser n’importe quelle situation. Le résultat principal en est la montée de la violence verbale de plus en plus fréquente au détriment des explications fondées et discutées de manière à éclairer l’auditeur ou le spectateur. Ainsi l’émission « 28 minutes » sur Arte a-t-elle une tonalité très différente de « C dans l’air ». De même les unes des journaux sont-elles dans le même cas : comment attirer le lecteur ? Cela pourrait être optimiste, positif ou simplement interrogatif, mais c’est la dimension « négative » qui semble actuellement l’emporter. Cela pourrait être serein et argumenté, mais c’est surtout la confrontation, l’affrontement qui est recherché. Ce n’est pas nouveau me direz-vous, de « Ciel Mon Mardi » ou encore « Droit de réponse » avaient déjà donné le ton. Mais ce qui est nouveau, c’est d’une part la prolifération de cette modalité d’exposé mais aussi le négativisme systématique qui ouvre les échanges et parfois même les conclut. Le public, l’auditeur, le citoyen est-il encore libre de construire son opinion dans ce contexte ? Nous avons probablement affaire à un monde de « manipulation » plutôt qu’à un monde d’explication et d’explicitation. L’espace numérique n’en étant qu’une prolongation souvent efficace, mais questionnable différemment, puisque chacun peut intervenir ou au moins l’espérer (sauf dans des États qui entendent maîtriser la parole depuis les autorités).

L’éducation citoyenne à l’ère des médias numériques ou non, est bien plus délicate qu’on ne le pense. Il ne suffit pas de décrypter le vrai du faux, d’analyser les points de vue. Il faut être en mesure de se défaire des modalités éditoriales choisies par les intervenants. L’orientation prise, en ce moment, semble inquiétante. Si pour être vu et lu je dois choquer, alors je suis à la dérive dans ce système. Pourquoi à la dérive ? Parce que je suis entraîné dans des logiques qui renforcent par elles-mêmes mon degré de satisfaction, mon estime de moi-même, ma popularité… A cette dérive de la popularité s’ajoute celle de l’individualisme porté par les idéologies libérales mais plus encore libertariennes. Du côté du « récepteur », ces messages rencontrent toujours un écho, pour ou contre, mais ils doivent susciter la réaction, signe, pour l’émetteur, de la force de son message et plus encore des modalités de celui-ci.

En tant qu’éducateur, suis-je en mesure de faire travailler les jeunes, les élèves, sans être moi-même sous « influence ». Se positionner comme « à distance » ou « en surplomb » vis-à-vis des élèves est de moins en moins possible du fait même du climat ambiant. Certains ont proposé de mettre en place des dispositifs pédagogiques pour tenter d’endiguer ces problèmes. Ansi, l’approche par la controverse ne doit pas se réduire à l’exposé des contraires. C’est davantage dans la recherche du consensus que l’on peut tenter de construire des repères. L’approche proposée dans les « conférences de consensus » semble une piste intéressante et pourrait donner lieu à une pédagogie du consensus. Au sein d’un groupe d’élèves ce travail vise à faire prendre conscience des modalités éditoriales et conversationnelles adoptées dans les propos (débats, etc…) que l’on analyse. En faisant travailler les groupes d’élèves sur des sources variées, mais choisies pour le matériau qu’elles apportent (et non pas les points de vue), la construction d’un consensus, même si elle a du mal à aboutir est une piste intéressante pour doter les élèves des outils du questionnement. Non seulement questionnement des propos analysés, mais aussi questionnement de soi-même, indispensable complément de la construction de l’esprit critique.

Il semble nécessaire d’alerter les médias sous toutes leurs formes sur les dérives en cours. Les professionnels sont pris dans des jeux entre popularité, ego, reconnaissance, soumission aux systèmes. Le monde journalistique a beaucoup de difficultés à d’emparer de cela (comme d’ailleurs nombre d’éducateurs) à cause de leur situation dans le système social au sein duquel ils évoluent. Ils sont a priori crédibilisés par leur place professionnelle, mais cela ne suffit pas à justifier leur « distance », leur sentiment de « surplomb » que certains laissent entendre dans leurs manières de faire.

A suivre et à débattre
BD

 

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