Voir ses idées reprises, mais pas citées, le cas de MOOC et de l'accès aux savoirs

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Ce sont les supports qui sont protégés pas les idées… Mais quand même. Quelle n’a pas été ma surprise en lisant les derniers paragraphes du livre qui vient de sortir sur les MOOC : « Les MOOC, conception, usages et modèles économiques » (JC Pomerol, Y Epelboin, C Thoury, Dunod 2014). Le point 6.4 est intitulé « vers des maisons de la formation numérique » (p.130-132). Quelle source ? Un texte publié sur mon site web/blog en 2000 (le 14 juillet, http://www.brunodevauchelle.com/utopie.htm  consulté le 25/06/2014) intitulé « les maisons de la connaissance » et repris dans le livre que j’ai publié en 2012 (Comment le numérique transforme les lieux de savoirs, B Devauchelle, FYP 2012). Entre temps j’ai eu l’occasion de travailler cette question au travers de plusieurs interventions, ou accompagnement (celui de la mise en place des Learning Centers pour la région Nord-Pas de Calais, ou encore des formations ADBS).
On ne peut qu’être un peu surpris soit de l’ignorance, soit de l’oubli. Ignorance, il ne faut pas faire beaucoup de recherche pour trouver trace de ce questionnement. Oubli, une méprise quand même grave quand on affiche un statut universitaire pour publier ce genre d’ouvrage qui n’en est pas un (universitaire). Mais dans le domaine des technologies en éducation, la mémoire est très courte voire même vide. Chaque nouveauté technique fait croire à la nouveauté universelle, plus encore à l’innovation… De plus, le contenu le confirme, il vaut mieux aller voir de l’autre côté de l’atlantique (Boston en l’occurrence), ce que l’on trouve près de chez soi, cela fait plus sérieux.
Revenons d’abord à la question de MOOC telle qu’elle est posée dans cet ouvrage. Abordée comme un objet de savoir, nous n’avons finalement un ouvrage qui « vulgarise » en utilisant les modèles rhétoriques associés et surtout en oubliant une partie des actions réelles menées autour des MOOCs. Mais ce qui est surtout problématique c’est que l’ouvrage met de côté (probablement des questions de modèle éditorial) tout le travail mené depuis le début des années 1980 sur la FAD, la FOAD. Evoquons simplement les écrits de France Henri, ceux de Josiane Basque, ceux de Viviane Glikman, ou ceux de Geneviève Jacquinot, pour ne citer que des universitaires reconnus. On s’étonne donc qu’il n’y ait pas une analyse avec mise en perspective historique.
Par contre le mérite de cet ouvrage est de donner accès à un panorama assez efficace du monde des MOOC (cMOOC, car les xMOOC sont un peu délaissés) et à des éléments de repérages qui peuvent aider le lecteur néophyte. On s’étonne aussi qu’un livre soit publié sur ce sujet alors qu’il suffit souvent d’aller sur la toile pour y trouver des éléments similaires. Mais en fait le livre est l’illustration même du paradoxe actuel : comment communiquer autour d’un objet numérique dans une société qui n’a pas encore adopté ses codes mais conservé les codes anciens ?
Le lecteur pourra donc comprendre l’ensemble des aspects que recouvre cet acronyme devenu si célèbre en peu de temps (les conférences TED seraient passées par là ?). Mais la conclusion nous ramène davantage vers une question qui est aussi la nôtre : quid de la réelle démocratisation de l’accès aux savoirs. La réponse en termes de maison de la formation nous semble évidemment une bonne piste, puisque nous la portons depuis longtemps (quinze années au moins). Toutefois il ne faudrait que cette réponse ne soit que l’occasion d’offrir aux publics éloignés des études traditionnelles, une possibilité de les rejoindre, mais bien plutôt de penser une nouvelle forme globale d’accès aux savoirs. Ce qui est évidemment à préciser en regard des interprétations possibles.
Quand nous parlons d’accès « aux savoirs », nous parlons au pluriel : des accès, des savoirs. A la différence d’une pensée au singulier, ce choix relève d’une conception de la personne humaine et de son développement, du cheminement qu’elle fait tout au long de sa vie. Parler des « maisons de la connaissance » était évoquer le droit pour chacun de développer ses connaissances dans un processus de développement personnel. La force des lieux est de porter des symboles et de matérialiser des faits et des idées. Cela ne veut pas dire qu’ils sont, un peu comme l’est devenue l’école, exclusifs des autres formes d’accès aux savoirs, mais qu’ils y participent d’une autre manière, en les complétant. Ils portent en eux l’interaction humaine en direct, la possibilité de collaboration, ils invitent à construire du social (à l’instar de la pédagogie institutionnelle).
Les effets de modes sont légions, les MOOC n’y échappent pas. Toutefois on ne peut que s’interroger sur les modes de promotion retenus. Ce livre semble en être un qui apporte en plus une caution « scientifique ». On est toujours partagé entre deux extrêmes : l’un qui est de tenter d’éclairer le grand public, l’autre de faire une analyse critique. Ici on se situe dans le premier cas. L’analyse critique reste très clairsemée, comme si, face à ce torrent médiatique il ne fallait pas tenter de poser plus largement les problèmes. On lira pour se rendre compte, les propos de la revue « le débat » des mois de mai – juin et juillet 2014, et en particulier l’article d’Antoine Compagnon. On pourra aussi trouver à problématiser en relisant le livre d’Emmanuel Davidenkoff « le Tsunami numérique ».
A suivre et à débattre
Bruno Devauchelle

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