L'information se dilue-t-elle dans la communication ?

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A observer les comportements ordinaires des usagers des terminaux numériques de toutes natures, on observe l’importance nouvelle prise par la communication dans la vie quotidienne. En effet il suffit d’observer comment la vibration, la sonnerie, l’écran clignotant sont devenus capables d’interrompre sur le champ la tâche en cours, même si celle-ci est une tâche collective ou relationnelle, pour comprendre que le contexte de vie change. Si l’on consulte les réseaux sociaux ouverts au grand public ou professionnels, on s’aperçoit que les flux communicationnels et relationnels sont de plus en plus nombreux. Où sont donc passées les « informations » dans ces flots continus de messages ?
Il faut d’abord délimiter les usages que nous faisons des termes. L’information est pour nous un matériau de base fondé sur la transcription d’un fait (matériel ou non) en signes (conception, production) suivi de sa diffusion (attention, l’information est aussi la matérialisation des connaissances et des savoirs). Tandis que la communication est employée ici comme l’ensemble des signes d’interaction humaine. Cette interaction humaine suppose, à l’opposé de l’information, un émetteur et un récepteur interchangeables. Ces définitions sont un peu restrictives et discutables, mais elles offrent un cadre pour pouvoir continuer notre propos sans qu’il n’y ait trop de « trahison », d’interprétation fondée sur des sens différents donnés aux termes employés.
Ce que nous observons dans l’utilisation actuelle des technologies numériques, c’est une inflation non pas d’information (fameuse infobésité) mais de communication (communibésité ;-)). En réalité l’information est, en particulier depuis l’industrialisation de l’imprimerie, présente en trop grande quantité pour qu’un individu puisse s’en emparer dans une relative totalité. En d’autres termes l’étendue des informations auxquelles j’accède est directement liée aux technologies du signe et de la transmission. Tant que la communication est restée séparée techniquement de l’information, les modes d’accès aux savoirs n’ont pas été directement affectés par la communication et les interactions humaines. Ce qui caractérise le mouvement qui se développe depuis l’avènement de la mise en réseau (téléphone, puis télématique, et enfin Internet), c’est la montée en puissance de l’acte de communication qui est transféré progressivement de l’espace de co-présence à l’espace de la matérialité numérique, en d’autres termes, car c’est cela la nouvelle matérialité, le continuum présence-distance.
A ce potentiel de communication numérique s’ajoutent des outils d’interaction de plus en plus puissants, du forum (rappelons-nous Usenet) et de la messagerie électronique (les BAL du minitel par exemple), aux blogs, et autres outils d’écriture/réaction mis à disposition désormais sur tout site qui prétend informer et à fortiori ceux qui invitent explicitement à communiquer comme les réseaux sociaux. En bas des articles des traditionnels éditeurs de presse figurent désormais les commentaires des lecteurs. Désormais la rediffusion (parfois la curation et les outils de curation) est automatisée. Ainsi si sur un site de type scoop-it je propose un site qui me semble intéressant, automatiquement je peux le relayer dans d’autres espaces de communication. De cette manière, l’article que vous lisez est aussi indiqué, signalé sur quatre réseaux complémentaires de manière automatique. Non seulement la communication est volontaire mais elle est automatisée. On croit informer en communiquant mais en fait on communique avant d’informer… si tant est que ce soit de l’information que de retransmettre l’adresse d’une page web…
Ce qui est donc en grande évolution c’est que l’on est de plus en plus noyé par le flux communicationnel au détriment de l’acte d’information, s’informer/informer. Je n’ai plus le temps de lire (papier ou écran), disait récemment un cadre d’entreprise, car je dois répondre à des sollicitations, des communications qui sont devenues de plus en plus instantanées, dans leur transmission, mais aussi dans l’exigence de réponse. Car c’est un des éléments signifiants de la communication que cette accélération (chère à Hartmut Rosa) de la circulation des messages et de l’importance accordée à la vitesse de la réaction. La pratique phatique des conversations de groupes d’ados gagne petit à petit l’espace général numérique, au détriment de la pratique d’acquisition/appropriation.
En termes d’éducation, nous sommes donc confrontés à une génération qui confronte les deux modes : le mode informationnel (celui de l’école, de l’université) et le mode communicationnel (celui du quotidien, de la famille, des amis, du travail même). Quand on écoute les témoignages d’enseignants qui se lancent dans la classe inversée, c’est justement la tentative de déplacement : ils veulent maîtriser la communication, estimant, comme d’ailleurs Emmanuel Davidenkoff le suggère dans l’interview donnée à Mediapart (http://www.dailymotion.com/video/x23nhu4_le-numerique-a-l-ecole_school), que l’on peut automatiser la transmission de l’information. Ainsi la classe serait un lieu d’interaction de communication (cf le reportage de France 2 sur la classe de P. Bihouée) et la maison le lieu de l’information. Cette séparation n’est pas sans poser problème pour celui qui apprend. D’ailleurs ces mêmes enseignants nous disent, à l’instar de P Dillenbourg lors de sa conférence au congrès de l’IFLA ce 20 aout à Lyon, que les étudiants, les élèves veulent pouvoir « maîtriser » le flux informationnel de leur enseignant, au profit de la communication/interaction avec ceux-ci.
Car se pose bien le problème de l’apprendre, entre information et communication. Avec la prise de pouvoir de la communication sur l’information, en apparence tout au moins, on pense rapidement (cf. M Gauchet) que celui qui apprend a laissé tomber l’information (connaissance et savoir) et sa transmission. En fait, sur le fond il n’en est rien, mais à une condition, que le renversement communicationnelle soit accompagné. Car le flux communicationnel est d’abord un flux commercial avant d’être un flux potentiellement informationnel. A donner le tournis avec la communication, on oublie d’aller voir derrière la forme. Or l’éducation c’est justement permettre le passage de la forme au fond et inversement. Si l’on considère, rapidement, que la forme c’est la communication et son contexte et le fond l’information et sa pérennité dans les savoirs, alors on voit bien l’urgence à ne pas opposer les deux, mais bien de penser un cadre éducatif, un cadre pour l’apprentissage qui permette à chacun d’effectuer ces « translations », ces « transactions » entre les actes de communication et les actes d’information.
A suivre et à débattre
BD

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