Quand un sénateur rappelle l’exemplarité (rapport de M Jacques Grosperrin qui commence par la saluer en p.21 puis par demander son cadrage stricte p.103) dont devraient faire preuve les enseignants au nom de l’idéal d’une certaine école de la République, il oublie simplement la moitié du problème : il ne suffit pas de se sentir exemplaire pour l’être et inversement. On peut même dire que c’est parce que ceux qui revendiquaient cette exemplarité au premier rang de ce qu’ils faisaient ont failli que cette exemplarité ne suffit plus. Le monde politique peut bien donner des leçons aux enseignants, mais il faudrait d’abord que lui-même s’interroge. D’une part nombre d’entre eux sont loin d’être des porteur de l’exemplarité (il suffit de lire les débats de l’assemblée pour en faire observation) et d’autre part ils ne devraient jamais oublier que l’exemplarité ne se décrète pas, elle se constate et se confirme dans le regard de ceux auprès desquels on revendique notre exemplarité.
Le numérique dans l’enseignement ou plutôt l’éducation nous offre ici un bel exemple. En voulant faire signer une charte, un code déontologie, le règlement intérieur, le sénateur espère qu’ainsi cela suffira. Sans doute pense-t-il aux sanctions possibles pour ceux qui ne respecteraient pas ces documents. Aux pages 102 et 103, on peut même lire un propos discriminatoire rapporté ici à propos de certains personnels dont la probité est mise en question en fonction de leurs origines. Dans ce climat de méfiance voire de défiance on peut lire à propos des usages d’Internet par les élèves :
« Le discours des enseignants se trouve ainsi mis en concurrence avec d’autres sources d’information. Les élèves n’hésitent plus à comparer le contenu des enseignements avec l’information disponible sur Internet : « vous aviez raison je suis allé voir sur Internet et ils disent pareil ». Et si ça n’est pas le cas, ce sera nécessairement l’enseignant qui aura tort… Les élèves sont, par conséquent, continuellement tiraillés entre le discours de l’école et celui de l’extérieur. « (p.127)
Cela signifie que l’exemplarité des enseignants, des éducateurs ne tient plus à leur statut (et leur recrutement) mais à leur compétence !!! S’offusquer, en faisant appel à Alain Finkielkraut, de ce fait numérique, fait sourire. Mais beaucoup plus grave la posture de défiance est un mauvais signe pour les jeunes ou les nouveaux éducateurs entrant dans le métier. Les jeunes qui arrivent dans l’enseignement (comme enseignant et comme élève) ont tous eu connaissance de l’ordinateur depuis leur naissance. Ils ne l’ont pas choisi. Ils se sont retrouvés mis devant le fait accompli d’une société technicienne dite de progrès, ce dernier étant a priori considéré comme positif, sans discernement. En d’autres termes les jeunes n’ont pas à être considérés comme responsables du « mauvais » exemple et des « mauvaises » préconisations de leurs parents, des adultes. Si l’on considère l’auteur de ce rapport, on s’aperçoit de la volteface qu’il effectue en regard de ses propos antérieurs…vous avez dit exemplarité !!!
Mais revenons plutôt à l’exercice de l’exemple et de l’exemplarité en éducation. Chacun de nous porte dans ses souvenirs d’élèves ces multiples situations qui nous amenaient à critiquer entre élèves les enseignants et leurs comportements (ceux qui fumaient en cours ou dans l’établissement…jadis alors que c’était interdit aux élèves dans l’établissement). Nombre d’entre nous (enseignants) portent le souvenir de propos de conseils de classe au sujet d’élèves qui auraient mérité une sanction tant ils étaient infamants voire diffamatoire. Non nous ne sommes pas exemplaires en tant qu’éducateur, nous sommes simplement des exemples en tant qu’adultes. Or c’est cela qui fait problème dans la société actuelle : l’enseignant n’est plus « déconnecté » de l’adulte social qu’il est et le numérique ne fait qu’amplifier ce phénomène. Un enseignant est d’abord un « exemple » pour ses élèves. Que cet exemple soit positif ou négatif, peu importe dans les limites du respect, il est, pour celui qui le regarde, une référence d’adulte à partir de laquelle il se détermine, il se construit : imitation, interaction, expérimentation sont au cœur des apprentissages humains, même en dehors de toute forme scolaire. Quand Pierre Merle (Rennes) parle de l’élève humilié, il met en évidence le fait d’exemple et son effet, il confirme les dangers de l’exemplarité quand elle va dans ce sens négatif.
Avec les objets numériques, la critique des jeunes est facile, celle des adultes l’est beaucoup moins. Surtout quand les comportements adultes sont dictés par l’impératif professionnel de productivité par exemple. Une discussion avec des cadres d’entreprise ne laisse que peu de doute sur cette question, un simple voyage en transport en commun dans des TGV du travail permet de l’observer. Quant aux jeunes, c’est mal les connaître, voire refuser de les connaître, quand ce n’est pas simplement oublier sa propre jeunesse, que d’avoir un a priori de méfiance. S’ils prennent les adultes en exemple, c’est bien parce qu’ils en comprennent l’intérêt : en regardant le comportement des adultes je comprends mieux les codes et règles implicites qui dirigent leur mode de vivre ensemble. Car l’exemplarité dont il a été question dans ce rapport, c’est l’exemplarité explicite qui fait, bien sûr fi de l’implicite. Les comportements quotidiens des adultes avec le numérique ne laissent aucun doute aux jeunes : c’est un sésame pour l’insertion sociale. D’ailleurs l’OCDE vient de publier une note et un ouvrage sur les compétences des adultes qui ne laisse aucun doute : Les compétences numériques : un investissement vraiment rentable ? (http://www.oecd-ilibrary.org/docserver/download/5js023qt18d5.pdf?expires=1437027576&id=id&accname=guest&checksum=541145969A4D33038646A4332F84A4FC)
L’argument de l’exemplarité ne vaut que s’il est réellement assumé dans le monde tel qu’il est. Or les incantations politiques de cette nature risquent surtout de creuser une fois de plus les inégalités scolaires et sociales. A ne pas penser autrement le numérique scolaire et le numérique dans la société, on oublie que le lire et le compter se font aussi désormais avec des moyens nouveaux qui apportent leurs propres langages. Aussi le monde scolaire ne peut laisser de côté cette dimension, au risque de se retrouver dans la même situation qu’au XVIIIe siècle, avant la révolution, au moment où le Peuple a compris la tromperie de ses dirigeants… et surtout leur manque d’exemplarité…
A débattre
BD
Juil 16 2015
3 Commentaires
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Le numérique donne de nombreuses pistes pour résoudre ce problème lancinant d’inégalités scolaires. Les outils et applications sont rarement pensés comme tels au départ, mais l’enseignant peu souvent les détourner dans la perspective d’une pédagogie participative et sociale : https://pepsagogie.wordpress.com/
L’inégalité des chances vient en partie des conditions de vie et de travail imposées aux eleves. Déficit de sommeil nocturne. Pas de vraies pauses pendant la journée. Changer toutes les heures de connaissances a mobiliser, d’outils de travail et même de lieu -quelle entreprise résisterait a de telles contraintes- pas le temps de manger, des journées de plus de 10 heures de travail,…….
Pensez-vous que les nouveaux outils vont traiter le problème des conditions de travail des eleves?
Auteur
Les nouveaux outils, numériques en particulier, risquent d’aggraver la condition d’élève. Jusqu’alors le monde scolaire délimitait facilement sa zone d’influence laissant aux familles un espace assez large d’intervention. Les moyens numériques offrent un potentiel de continuité pédagogique qui dépasse les limites de l’espace temps scolaire traditionnel. La tentation est grande d’envahir cet espace et d’y imposer des activités et un suivi. L’enfant serait donc scolarisé à distance et en présence…
Rappelons simplement que les outils dispositifs et instruments que nous utilisons trouvent leur sens dans la manière dont nous les mettons en oeuvre.
[…] L’exemplarité, un concept mal placé avec le numérique… Quand un sénateur rappelle l’exemplarité (rapport de M Jacques Grosperrin qui commence par la saluer en p.21 puis par demander son cadrage stricte p.103) dont devraient faire preuve les enseignants au nom de l’idéal d’une certaine école de la République, il oublie simplement la moitié du problème : il ne suffit pas de se sentir exemplaire pour l’être et inversement. On peut même dire que c’est parce que ceux qui revendiquaient cette exemplarité au premier rang de ce qu’ils faisaient ont failli que cette exemplarité ne suffit plus. Le monde politique peut bien donner des leçons aux enseignants, mais il faudrait d’abord que lui-même s’interroge. […]