Spectacularisation des débats : une question pour l'EMI

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La mise en scène des débats politiques est d’abord la mise en scène effectuée par la « médiasphère » d’un ensemble d’informations. Le problème c’est que ce n’est pas la valeur intrinsèque de l’information qui est portée dans le débat, mais bien plutôt la valeur de spectacle qu’on peut lui donner. Certains professionnels n’hésitent plus à dire que c’est le moyen d’accrocher le lecteur et donc de financer le média (selon la fameuse règle dictée par les publicitaires). Dès lors comme les enseignants qui s’intéressent à l’EMI peuvent permettre aux élèves de s’en sortir, d’autant plus qu’eux-mêmes peuvent (et son souvent) victimes (associée, voire complice) de cette évolution.
Cette spectacularisation de l’information se trouverait relayée et justifiée par les médias sociaux. Les politiques et leur entourage ont appris la règle (média-training, entre autres) et en usent ou en abusent. Les professionnels des médias ont embrayé sur le même axe. Autrement dit l’information n’a pas de valeur en elle-même. Elle est à la base d’une « transformation médiatique » qui va alors lui ajouter une valeur qui est parfois bien éloignée de son propre intérêt. Le problème posé par cette spectacularisation c’est qu’elle a deux effets principaux : le premier est qu’il est difficile de dégager dans ces objets ce qui est pertinent et intéressant ; le deuxième est que cela transforme notre perception de la réalité en y imposant cette dimension spectaculaire et il devient de plus en plus difficile d’analyser le réel. Les périodes d’élection politiques rejoignent en cela les périodes d’évènement sportifs. Pour le dire d’une autre manière un écran se fabrique de plus en plus en le réel et la perception que l’on peut espérer en avoir. Cet écran est presque un équivalent des algorithmes dont on dénonce aujourd’hui le poids dans le développement de l’informatique et le traitement des données massives (big data).
On imagine un élève dans la classe déplorant la tristesse du cours qu’il suit ou auquel il participe, même activement. Pas de mise en scène, pas d’émotion, que de la raison et du savoir… pour finalement se retrouver bien loin de la supposée « vraie vie » (qui en réalité n’en est qu’une image transformée). On imagine l’enseignant à la prise avec ces extraits vidéo qu’il essaie d’agencer pour engager une réflexion : quels supports choisir ? Comment amener les élèves à comprendre ce qui se passe ? L’hypothèse qui repose sur l’idée de faire fabriquer par les élèves leurs vidéos est intéressante, mais elle est insuffisante. Pourquoi ? Parce que lors de la scénarisation, ils commencent d’abord par reproduire ce qu’ils voient quotidiennement (c’est d’ailleurs la même chose dans des stages de formation d’enseignant). Notre représentation du monde est polluée par l’intermédiation.
Si de nombreux chercheurs ont évoqué la « désintermédiation » en lien avec le potentiel du numérique et des réseaux, il est temps d’interroger la « ré-intermédiation » actuelle qui se fait sous l’effet conjugués de l’ensemble des médias de flux et interactifs. Ces deux termes, aux définitions parfois variables, renvoient simplement au fait que dans nos sociétés nombre de relations ne se font pas directement, mais qu’interviennent des tiers dans le flux communicationnel qui relie deux personnes ou plusieurs. Ce sont ces tiers (terme générique qui désigne cette place particulière dans un flux) qui sont aussi constructeurs. Dans notre domaine, ils sont constructeurs d’une deuxième information qui se superpose à la première allant jusqu’à la cacher (notion de contre-feu). Si l’on considère que l’algorithme est la traduction d’une intention, nous pouvons faire un parallèle entre le traitement machinique (produit sous l’effet d’un programme conçu avec intention) et le traitement médiatique (produit sous l’effet d’une ou plusieurs personnes aux logiques internes, rarement explicites, et pourtant influentes).
Eduquer aux médias et à l’information ne peut s’en tenir à la surface des choses. La lecture des messages, voire leur interprétation ne peut ignorer leur processus de construction et les logiques sous-jacentes à l’œuvre. Le phénomène de spectacularisation qui semblait avoir été bien décrit (Guy Debord) et ensuite tempéré par l’effet d’une prise de conscience collective semble de nouveau en train de s’imposer. Tant que les médias de flux régnaient, le coupable était facilement désigné. Dès lors que les médias interactifs prennent de plus en plus de place, il y a alors un renouvellement de la problématique. La proximité entre l’intermédiaire (le médiateur) et les parties prenantes (public, politique par exemple) change la donne. Il est désormais aisé d’aller chercher auprès du public des retours directs de l’effet spectacle (twitt et autres propos sur les réseaux sociaux). Pour aller plus loin, l’art de la manipulation a gagné en puissance avec la possibilité offerte dans les nouveaux moyens d’information et de communication.
La complexité du processus à l’œuvre, derrière cette facile observation dénonçant le spectacle, est telle et elle implique tellement le récepteur lui-même qu’il devient très difficile de ne pas être soi-même prisonnier du spectacle. Le mythe de la transparence, celui de la démocratie directe, celui de la désintermédiation, autant d’idée qui montrent que le travail de décryptage, d’éducation, ou même de désintoxication est essentiel mais peut-être déjà impossible. Si tel est le cas, alors il nous faut désespérer même de ces personnages publics qui dénonçant cette mainmise l’utilisent encore mieux que les autres pour amadouer le récepteur. In fine tout serait affaire de « propagande » ? Les efforts de désintoxication dans certains médias de flux sont intéressants. Mais ils sont loin d’être suffisant en regard du problème posé.
Il reste à construire une véritable éducation à l’information qui désormais est bien plus importante que l’éducation aux médias… et qui devrait prendre sa place en transversalité dans tous les espaces éducatifs et scolaires….
A suive et à débattre
BD
[cite]

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