Les hauts fonctionnaires de l’éducation à la retraite qui s’expriment dans la presse, parfois à leur demande, produisent des discours qui posent question. La première de celle-ci est de savoir s’ils n’ont pas oublié qu’ils étaient jadis en poste et qu’eux aussi n’ont pas été suffisamment actif pour permettre des changements dans le système éducatif français. L’un déplore les inégalités sociales et réclame l’école pour lutter contre, l’autre réclame plus d’autonomie des établissements et plus d’individualisation etc… Mais que faisaient-ils lorsqu’ils étaient dans les coulisses du pouvoir ? Pourquoi leurs propos d’aujourd’hui sont-ils aussi éloignés de l’efficacité des actions qu’ils ont pu mener ? Tous ceux qui s’expriment ainsi démontrent, s’il en était besoin, qu’il est vraiment difficile de transformer les institutions…. Ainsi en est-il de la question numérique et de l’informatique aussi.
Alors que les questions essentielles sur l’évolution de la société sous l’effet du développement de l’informatique sont posées dès 1983 dans un colloque organisé par le ministère de l’éducation « informatique et enseignement », il a fallu quarante années pour que l’on se rende compte du mouvement engagé depuis dans la société, mais pas dans le système scolaire. Or la crise de ce printemps 2020 a mis sur le devant de la scène la place du numérique dans la société, ses fractures et donc dans l’enseignement aussi. Et ce sont les familles qui se sont retrouvées au premier rang, elles qui, dès 1983, étaient désignées comme devant être prises en compte dans ce développement de l’informatique et qu’en 1997 dans cinq rapports différents ainsi qu’un autre en 2002, on désignait comme devant être plus largement associées au monde scolaire, jusqu’à la création des ENT qui faisait suite au rapport Proxima.
Le problème de l’institution scolaire n’est pas uniquement celle des politiques, c’est aussi celle des hauts fonctionnaires envers lesquels les critiques se multiplient ces temps-ci (bien que ce ne soit pas nouveau). Bien évidemment la prise de parole critique en publique semble interdite lorsque l’on est fonction, au risque de se voir « placardisé » ou pire. ON a pu les voir agir lorsqu’ils produisent des modes d’emplois indigestes d’une réforme portée par le politique (des IDD au protocole sanitaire de plus 40 pages). Certains rapports de l’inspection générale n’ont pas hésité à critiquer soit les politiques, soit les hauts fonctionnaires, et les moins hauts… Ainsi en a-t-il été sur la mise en oeuvre du B2i. Quoiqu’on en pense, c’était réellement la volonté d’initier une base culturelle fondée sur les usages pour tous les élèves. En l’intégrant au socle commun, donc dans la loi, dès 2005, il devenait évident que l’importance politique d’un minimum de culture à l’ère du numérique (et non pas informatique uniquement) devenait un élément de base. Et pourtant, nombre de corps intermédiaires ont tout fait pour que cela ne puisse se réaliser, avec parfois la complicité et l’appui de ceux qui pensaient qu’il n’y avait pas assez d’informatique pure dans l’enseignement.
La réalité du quotidien est la suivante : depuis près de quarante années, le monde scolaire a méprisé la montée en puissance des usages sociaux et familiaux des objets techniques numériques. Il l’a méprisé à ce point que, malgré la loi, élégant écran à la réalité, lors du confinement de 2020 on s’est aperçu que le minimum n’était pas là, ni pour les élèves, ni pour leurs parents, ni même pour les enseignants. Mais alors qu’ont fait tous ces hauts fonctionnaires et même ces chercheurs au cours de ces années qui aujourd’hui viennent parler du monde d’après alors qu’ils ont suffisamment négligé le monde d’avant…. Ils ont aussi conseillé les politiques qui, de plans en stratégies, changeant dès un changement de camp politique s’opérait, ont mis la question du numérique au rang d’un outil de communication (rappelons nous les annonces de tous ceux qui se sont succédés…) et non pas au rang d’un véritable enjeu de société.
Alors il faut arrêter de déplorer, il faut arrêter de dire que demain ce sera différent. Il faut constater que ce sont les mêmes qui parlent, relayés par des médias le plus souvent complaisants et surtout heureux de pouvoir mettre un joli CV en tête d’un article que l’on veut vendeur (cf. De the Conversation au journal le Monde). La négligence envers l’informatique et le numérique depuis quarante années est aussi une complicité avec les marchands, les commerçants, les industriels du secteurs. Eux aussi ont eu des intérêts à court terme, eux aussi ont attendu les commandes publiques, eux aussi ont proposé des produits suffisamment inaboutis pour qu’ils soient sous-utilisés (cf. les ENT). La complicité des corps intermédiaires qui négligeaient largement l’évolution du numérique dans la société a renforcé tout ce mouvement.
La mise en place des états généraux du numérique (les fameux EGN) proposée par le ministre s’inscrit dans cette lignée d’inaction. Il ne suffit pas de donner du matériel des moyens, il faut réellement avoir une pensée éducative et culturelle. Il faut aussi sortir du tout école, c’est à dire penser un système scolaire qui soit mieux inséré dans la société en lien avec l’éducation populaire (qui a aussi du mal à rentrer dans cette problématique du numérique éducatif). Le ministre actuel est arrivé au bout de son système de pensée et de sa mise en action. Il est temps qu’il change sa manière de penser l’école. Tout comme ces hauts fonctionnaires qui se sont succédés en proximité du pouvoir et qui aujourd’hui, libéré du joug, se sentent quelques libertés qu’ils n’avaient pas osées prendre jadis.
Non ce n’est pas inutile toutes ces tribunes, ce n’est pas inintéressant. Mais force est de constater le déficit que l’on fait subir aujourd’hui aux familles, aux élèves et même aux enseignants. La fameuse fracture numérique pouvait être combattue il y a bien longtemps, dès le début des années 2000, en particulier… Le rapport Gérard publié en 1997 avait déjà donné des pistes d’action d’autres l’ont aussi relayé. Mais les propos tenus dans ces rapports et autres analyses sont restés vains. On s’est bien amusé, mais on n’a pas pris la mesure réelle de ce qui se passait. On déplore les GAFAM, on déplore l’arrivée des chinois et des indiens sur ce même marché, on peut s’interroger sur notre propre inaction, non pas industrielle, mais simplement culturelle… Le numérique, l’informatique sont les illustrations parfaites de la mondialisation du XXIè siècle et de ses perversions. Ils se sont insérés dans le tissu social avec la complicité des groupes sociaux dominants qui avaient bien compris que, comme pour le livre, celui qui en possède la maîtrise, possède aussi la maîtrise sur la population, celle que l’on marginalise dès lors qu’elle n’accède pas réellement aux usages du numérique…
Pour mémoire, on rappelera ce propos de 1984 : Émilien Pélisset, Président de l’EPI sous l’intitulé « Enseigner autrement avec l’informatique » qui écrivait : « Heureusement tout n’est pas informatisable, loin de là. L’environnement pédagogique doit faire sa place à l’informatique parmi les autres moyens, pas plus que sa place, car il existe aussi le danger de faire de l’informatique pédagogique un nouvel instrument de ségrégation scolaire et sociale, ce que nous refusons catégoriquement. »
A suivre et à débattre
BD
1 Commentaire
Un article avec des références, qui relance la réflexion sur la place du numérique (de l’informatique !).
Nous espérions un usage maîtrisé du numérique à force de conviction… et puis est arrivé le choc du Covid qui impose le numérique.
Évolution, révolution ?
En tous les cas l’heure est venue de dire où on veut aller ? Quel chemin on prend pour cette école du XXI ème siècle ?
À suivre… Bruno…