Nation apprenante, vacances apprenantes !!!! comment comprendre ce jargon auquel il faut ajouter les E3C, les 2S2C et autres inventions médiatiques créées par un cabinet qui ne sait pas s’y prendre autrement et un ministre qui pense ainsi, au travers d’une omniprésence médiatique, redevenir crédible aux yeux de tous.
Au jour du confinement le ministre se voyait en tête d’une continuité qu’il appelait pédagogique en s’appuyant sur un CNED se croyant devenu presqu’en haut de l’affiche, dans sa communication et sur le fameux enseignement à distance qu’il croyait pouvoir déployer d’un claquement de doigt. Malheureusement le numérique s’est rappelé à lui et de la manière dont il agit depuis quarante ans : révélateur et amplificateur de ce qui est déjà là et surtout de ce qui ne va pas. Le rapport de synthèse produit récemment par Monsieur Studer confirme cela qui ne s’est appuyé que sur certaines sources pour vanter la réussite française en matière d’enseignement à distance alors que l’on a vécu des cahots et un chaos. Demandez aux enseignants, demandez aux familles, demandez aux élèves, demandez aux personnels de direction. Mais ne demandez pas aux cadres de l’institution, les plus hauts y compris qui continuent, en public, d’assurer que nous sommes les meilleurs, malgré ce qu’en dit l’OCDE, mais surtout malgré ce qu’en ressentent les enseignants et aussi, étonnamment les collectivités territoriales trainées de comités des partenaires en réunions descendantes.
Pourquoi et de quoi le numérique est-il le révélateur ? En premier lieu des inégalités de toutes sortes. En second lieu d’une absence de compétences trop importante dans la société. Ensuite d’une inculture informationnelle et communicationnelle très largement répandue. Enfin d’une absence de vision à long terme et basée sur le développement durable de la place du numérique dans la société et la culture. Et enfin arrive la fameuse « disruption ». Car ce mot à disparu des écrans radars des médias alors que pour une fois c’en était une vraie. Et il a disparu parce qu’il était surtout porté par les zélateurs du numérique et du libéralisme croyant ainsi tenir le manche de l’avenir. Et pourtant, il y a eu cette fameuse rupture qui oblige à changer de manière de voir, de manière de penser, de manière d’agir. Du numérique, le ministre essaie de sortir un nouvel objet magique, c’est le terme « apprenant ». Tristesse de voir ce terme si bien analysé par Philippe Carré et si mal employé ici.
Rappelons ici que l’apprenance c’est d’abord une affaire de sujet qui apprend. Ce n’est pas un dispositif que l’on impose. D’ailleurs les enseignants savent bien qu’un élève qui ne veut pas apprendre ne le fait pas. Pour le dire autrement ce n’est pas parce qu’on veut imposer d’apprendre que ceux qui sont concernés le font. Or l’approche sous-jacente à cette politique est bien centrée sur l’idée que si on verse de l’eau alors ils seront mouillés !!! Une autre approche aurait été nécessaire, qui aurait d’abord été respectueuse des conditions réelles de ceux auxquels elle est destinée. On vient de le comprendre avec la réouverture des écoles : elle ne peut pas répondre au rêve du ministre de ramener les décrocheurs à la maison école. Pourquoi ? D’abord parce que les décrocheurs ne sont pas un groupe humain homogène. Ensuite parce que les familles de ces enfants sont elles aussi la plupart du temps en décrochage, numérique y compris. Enfin parce que les dispositifs d’accueil n’étaient pas adaptés (cf. le protocole sanitaire de plus de 60 pages) et surtout que proposer plus d’école à ceux qu’elle a exclu parfois sans le vouloir, c’est se tromper de stratégie. La priorité, c’est réconcilier les jeunes, les enfants avec ce que c’est qu’apprendre.
Un jeune, un enfant, un humain, c’est d’abord « une machine à apprendre » et surtout à apprendre la vie. Or pour y parvenir, il faut se servir de et dans son environnement. Et dès le départ cet environnement est déterminant, non pas qu’il s’oppose, mais parce qu’il n’a pas les moyens d’accompagner un enfant. Ce sont d’abord les conditions de vie qui pèsent sur chacun qui sont déterminantes. Je vous invite à lire cette « autopsie d’une illusion » (http://www.intermedes-robinson.org/autopsie-dune-illusion/) pour mieux comprendre ce qui se passe. Alors qu’on distribue des ordinateurs, qu’on envoie par la poste jusqu’à 60 pages, qu’on mette en place des cours magistraux télévisés, qu’on rêve d’un enseignement à distance généralisé, cela ne détermine pas le fait que ces enfants vont aller vers ces offres. Allons donc voir plus loin…
En confortant le monopole de l’école et celui de la scolarisation, on fait fausse route. L’utilisation des moyens numériques par l’ensemble de la population est pourtant un excellent révélateur des comportements et une analyse approfondie de ces utilisations mais aussi de ces non utilisations permet de comprendre les limites de ce que peut rendre possible l’école. C’est un mythe qui s’écroule : confinement plus numérique, une addition douloureuse…. qu’il va falloir dépasser, il va falloir passer par dessus l’école, et pas en y adjoignant des modules sportifs, santés, culturels et civiques. L’école n’est pas une station orbitale dans laquelle chaque enfant vient se confiner volontairement. C’est n’est pas un agglomérat de modules au centre desquels se trouve finalement le cœur de l’école, la forme scolaire issue de plus de deux siècles de normalisation sociale.
Oui le numérique est là dans nos vies. Il a pris de la place dans nos vies quotidiennes à tel point que, quelles que soient nos conditions de vie nous « faisons avec ». Parce qu’il a pu se développer sans que le monde scolaire y voie un réel intérêt, il a pris une place essentielle dans l’apprenance de la vie de chacun de nous. Mais il a aussi révélé que l’école n’était pas seule au monde, encore moins maintenant qu’avant. On peut parler de péril apprenant ! Mais en résistant à cela, l’école a continué d’exclure : 11,5% de jeunes ne savent pas lire à 18 ans (enquête JAPD https://www.education.gouv.fr/journee-defense-et-citoyennete-2018-plus-d-un-jeune-francais-sur-dix-en-difficulte-de-lecture-9998), près de 20% de la population en situation d’illettrisme numérique (http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/mi-illectronisme.html). Est-ce que l’école est encore en mesure de répondre à ces béances dans sa forme actuelle ? Il est vraiment temps que plutôt que de faire de beaux discours, de défaire les réformes précédentes pour en faire de nouvelles, on s’attaque véritablement au problème. Peut-être faut-il moins d’école et plus d’autre chose. Oui mais quoi ? L’exemple des EPN (Espaces Publics Numériques) était révélatrice de ce besoin d’une part et d’autres formes d’approches d’autre part. Des expériences auxquelles nous avons eu la chance d’être parfois associé comme celle de « la Maison de Grigny » dans la banlieue de Lyon auraient mérité d’être autrement soutenues et accompagnées par les pouvoirs publics car elles offraient de nouvelles approches. Mais l’école a veillé (même si certains membres de l’éducation nationale étaient membres bénévoles très actifs de ces structures) et surtout elle conserve le monopole de « l’enseignement ».
C’est à ce monopole que nous proposons de faire opposition. Ne scolarisons pas la nation, ne scolarisons pas les vacances. Ivan Illitch, revient vite ils sont devenus fous d’école !!! Et l’alternative qu’ils proposent c’est de se débrouiller dans le monde de la consommation numérique effrénée. Apprenons donc à ralentir. Apprenons donc à sortir de la seule école car elle n’est probablement plus en mesure de réussir la mission qu’elle croit encore être la sienne…
A débattre
BD
1 Commentaire
Bonjour,
en tant que familles refusant la forme scolaire, nous accueillons depuis longtemps des enfants qui sortent de l’école en raison de souffrances variées (dans le cadre des associations Led’a et l’école Delavie en région parisienne)
J’aime beaucoup vous lire dans le Café et ai souvent eu envie de vous joindre pour vous remercier de vos articles.
Vous dites : « Peut-être faut-il moins d’école et plus d’autre chose »
Je ne peux qu’agréer à la première partie (et à votre référence à Illich). Le « plus d’autre chose » à mon avis est à décider par chacun, chaque enfant, chaque jeune. Nous remarquons qu’il faut bien un an de repos de la forme scolaire pour que revienne le désir d’apprendre, nous encourageons les parents qui nous contactent à préserver ce repos (alors qu’ils sont angoissés par les futurs contrôles de l’inspection et ont du mal à se détacher de cette angoisse, la première inspection ne venant de fait que contrôler que les dégâts faits par l’école).
Bien à vous,
Claudia Renau