Il faut créer des maisons de la connaissance !

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Les « maisons de la connaissance », c’est un projet né il y a vingt ans dont les idées ont depuis essaimées sans pour autant se réaliser ainsi que je pouvais le rêver (la version initiale est accessible ici datée du 14 juillet 2000 : http://www.brunodevauchelle.com/utopie.htm). Toutefois des initiatives ayant une certaine proximité ont émergé : maisons de l’apprendre, learning center, tiers lieux, slow café, etc… Le projet repose sur le constat, réactualisé par la crise de ce printemps 2020, qu’il est nécessaire qu’il y ait des lieux intermédiaires entre le domicile et l’école et autres lieux institutionnels dans lesquels il est possible d’apprendre, d’accéder aux savoirs, de développer des connaissances. Ces lieux, un peu à l’image des lieux dits de coworking sont des lieux ouverts à tous, jeunes et adultes, et qui soient propices au travail du développement de connaissances.
Pendant le confinement, et surtout en sortie de confinement, on a pu observer que des enfants, des jeunes n’avaient pas d’espace pour associer convivialité, travail scolaire, rencontres structurantes, accompagnement personnalisé. Ces lieux ne peuvent pas être les lieux scolaires qui sont souvent inadaptés sur un plan architectural et sur le plan organisationnel. De plus si l’on veut permettre à des jeunes de se retrouver, l’analyse des comportements scolaires révèle que dans l’Ecole, c’est la cour de récréation ou les espaces périphériques que les jeunes investissent davantage que les salles de classe et aussi les CDI. Les enseignants eux-mêmes n’ont pas de lieux ni de moyens pour prolonger leur travail personnel ou collectif avec et sans les élèves. Concevoir ces maisons de la connaissance c’est essayer de prendre en compte l’acte éducatif dans sa complexité et de développer des espaces temps complémentaires pour faire ce fameux lien qui manque si souvent.

Il n’y a pas de solution toute faite, mais on peut essayer de repenser de manière plus globale. C’est ainsi que la crise scolaire, née du confinement et du post confinement, met en exergue les forces et les faiblesses de l’ensemble des moyens destinés à faire apprendre les jeunes et les adultes et leur permettre de se développer. Pendant le confinement, la seule solution était l’enseignement à distance. A la sortie de celui-ci une étape intermédiaire basée sur un protocole contraignant a imposé une sorte d’école a mi-temps pour les volontaires. Face à ces contraintes pénalisantes, le ministère a tenté d’inventer des recours, les fameux 2S2C et les vacances apprenantes. Les augures qui annoncent des catastrophes en matière de niveau scolaire n’avaient pas posé la question des vacances scolaires auparavant. Or deux ou trois mois d’interruption de la scolarité ne semblent pas aussi catastrophiques que cela. Mais… Dans le même temps n’oublions pas que les vacances non plus ne sont pas égalitaires, même si on parle davantage de ceux qui partent que de ceux qui sont contraints de rester près de chez eux. On peut tenter d’envoyer les jeunes en colonies, au loin, mais c’est à proximité que des lieux d’accueils, comme les maisons de la connaissance, doivent rester accessibles.

Il y a près de quarante années, lorsque j’étais jeune enseignant pendant l’année, moniteur puis directeur de colonie de vacances, j’avais bien perçu ce problème au travers de ces jeunes délaissés par leurs parents, de manière habituelle, et par leurs institutions éducatives pour certains qui fermaient pendant l’été, ces jeunes que je retrouvais pour quatre semaines en juillet ou en aout. Oui les vacances sont autant voire davantage inégalitaires que le monde scolaire. On essayait tant bien que mal d’accompagner ces adolescents fragiles avec des moyens dérisoires qu’aucune institution, scolaire ou éducative, n’aurait accepté pendant l’année. Au cours de ces moments de vie en commun se tissaient des liens, se partageaient des expériences de vie, s’échangeaient aussi des savoirs, pas toujours académiques, mais souvent motivants : lecture de carte, gestion de budget, relation avec les habitants, conception et réalisation de repas… bref des « compétences de vie » qui nécessitent toutes des savoirs qu’il faut mettre en œuvre de manière adaptée et efficiente.

A la suite de ce printemps 2020, réinventer les structures qui permettent d’apprendre dans nos sociétés est essentiel, indispensable, nécessaire. Pourquoi, parce que l’on a trop souvent négligé le « en-dehors de l’école ». Le modèle dominant, toujours à l’œuvre en ce moment reconnait comme exclusive la place de l’école comme moteur des apprentissages. Certes des structures associatives sont sollicitées en particulier à l’école primaire mais essentiellement pour des activités périscolaires. En fait le système scolaire est un accélérateur pour certains mais surtout un repère structurant et accompagné pour tous ceux qui arrivent encore à s’y adapter. Après avoir travaillé plusieurs années auprès d’ados et de jeunes adultes en grande difficulté, j’ai mesuré combien la symbolique du lieu scolaire pouvait être un frein, un blocage pour les apprentissages alors que des lieux et des dispositifs alternatifs parvenaient à quelques résultats parfois spectaculaires. L’éducation dite populaire, sous l’impulsion de Joffre Dumazedier après la guerre, bien que rapidement marginalisée par les pouvoirs successifs, a gardé de sa vigueur, (https://www.meirieu.com/PATRIMOINE/JOFFRE_DUMAZEDIER.pdf) même si son positionnement est devenu de plus en plus difficile par rapport au système scolaire pour lequel il est posé souvent comme un complément. La montée progressive d’un ensemble de structures privées commerciales, confessionnelles ou autres en concurrence de l’école n’ont pas apporté de véritable ouverture car ne concernant que certains publics et le plus souvent un public ayant les moyens financiers de ces choix. Entre le militantisme politique d’une part et l’engagement privé d’autre part, l’école parvient à maintenir sa place mais ses limites sont trop nombreuses pour qu’elle reste en l’état.

L’arrivée des moyens numériques se superpose à ce temps de confinement. Cette période a imposé le numérique et la distance comme modalité essentielle de travail scolaire (et plus globalement de la vie sociale). Mais les espaces virtuels en ligne ne peuvent être des tiers lieux, car il y manque cette épaisseur humaine qui existe au travers des rencontres « physiques ». Ils peuvent par contre être complémentaires. C’est dans cette articulation que l’on qualifie de « multimodale » qu’il faut agir. Ces espaces virtuels sont accessibles aussi bien dans des maisons de la connaissance qu’en dehors, mais c’est dans ces lieux tiers qu’ils peuvent prendre un sens complémentaire des autres lieux et ainsi permette une certaine continuité. Si l’on multiplie ces maisons, alors certains jeunes et adultes pourront sortir de leur logement, de leur hébergement, pour y trouver non seulement des outils, des méthodes, un accompagnement, mais aussi de quoi se donner les moyens de se développer. Les maisons de la connaissance ont la vocation non pas de se substituer aux autres lieux mais de contribuer à faire société en offrant des possibilités plus larges de mise en lien, de mise en relation.

Devauchelle Bruno, Comment le numérique transforme les lieux de savoirs, FYP 2012
Mon site créé en 1995 et resté en l’état depuis : http://brunodevauchelle.com

Depuis mes premiers écrits de 2000 puis de 2012, l’idée a été reprise, au moins dans l’intitulé, par certains. On trouve aussi les « maisons de l’apprendre ». Il suffit d’une recherche rapide pour se rendre compte que l’idée ne s’est pas transformée en réalité générale, mais plutôt en micro expériences plus ou moins éloignées de l’idée initiale. Il est temps que cette idée trouve des relais si l’on veut préparer les temps à venir en prenant en compte les dysfonctionnements possibles qui pourraient survenir. Les tiers lieux, expression que je n’aime pas dans sa généricité et à l’apparition liée à une mode, doivent permettre cette évolution. Certains ont essayé d’imaginer ces maisons dans les établissements scolaires eux-mêmes mais sans succès. C’est dans l’enseignement supérieur que des initiatives proches ont été engagées, mais jamais non plus avec la même idée globale. Il y a donc un beau chantier à ouvrir, en lien avec les collectivités territoriales.

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