Il faut faire évoluer les modèles de formation au numérique en éducation (suite)

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A la suite de mon précédent teste sur la formation au numérique par les pairs, plusieurs réactions, témoignages et propositions m’invitent à les recenser, d’abord et ensuite à préciser des propositions. Alors que le système médiatique dans lequel nous nous laissons facilement entrainer nous invite à la remarque courte, non étayée et parfois cinglante, il me paraît nécessaire d’encourager et de développer une réflexion plus approfondie qui débouche sur des propositions constructives. Prenons d’abord le temps de reprendre certaines de ces remarques et les discuter que ce soit pour mettre en exergue leurs qualités mais aussi que ce soit pour en signaler leurs limites.

La première remarque concerne les formations en place, que ce soit dans les cadres académiques, nationaux ou autres. Plusieurs interventions en signalent l’intérêt réel comme celle de Denis Sestier qui écrit : « La formation de proximité oui tout à fait mais sans rejeter pour autant une formation plus large à l’échelle académique, appuyée sur les besoins, les usages et les conditions de classe, et qui permette les rencontres, les échanges voire les projets entre collègues distants. » On comprend la réticence qu’il peut y avoir à imaginer une critique radicale des formations en place. Le problème posé n’est pas en soi celui de la formation, mais plutôt des formes de la formation. D’ailleurs d’autres témoignages, suite à mon texte, confirment cela. De plus les notions de prise en compte des besoins, des usages et des conditions de classe sont très générales et demandent à être précisées quant aux modalités concrètes, au risque de n’être que des incantations ou des propos rituels. Il serait peut-être intéressant de proposer des « états généraux de la formation continue dans l’enseignement », tant les propos des décideurs sont généralistes et flous (rappelons-nous les trois jours de formation proposés par la précédente ministre de l’éducation suite au plan Hollande…). Cela serait d’autant plus utile qu’un contrat d’objectif signé entre CANOPE et le ministère a été signé récemment (inaccessible en ligne à ce jour) désigne cet opérateur comme acteur important de la formation des enseignants… On aimerait en savoir davantage… quand aux formes retenues pour ces formations…

Parmi les retours à notre précédent message, plusieurs modalités sont évoquées qui vont dans le même sens : Communauté d’Apprentissage Professionnelles, Associations d’enseignants, groupe inversons la classe, Constellations, Forums et autres lieux d’échanges, sont autant de propositions constructives que chacune et chacun essaient de porter autour du travail entre pairs. On le comprend bien la formation traditionnelle est interrogée, parfois depuis bien longtemps. Mais cela ne change pas les logiques globales. Certains personnels témoignent ainsi : « Proximité – politique des territoires – efficacité (principal de collège) ». Bien qu’assez générique, cette remarque renvoie à ce besoin d’évolution. Si nous prenons l’exemple des listes de diffusions apparues à partir de 1995 sur Internet ou encore la multiplication des sites d’enseignants on peut s’apercevoir que deux mouvements coexistent : celui du partage et celui du besoin de regroupement. A l’occasion de la crise sanitaire, certaines initiatives ont confirmé l’importance de cela (témoignage des enseignants dans le domaine de la musique et des arts). Il semble qu’il soit plus facile de partager avec des pairs éloignés qu’avec ceux avec lesquels nous vivons au quotidien, on le constate dans de nombreuses circonstances. Or la question essentielle est bien la proximité, car elle engage davantage, mais elle est aussi plus réactive. Bien sûr toutes ces initiatives concernent tous les « objets de formation ».

Mon propos, ici, s’ancre d’abord sur la question de la formation au numérique, dans le champ de l’éducation, comme milieu spécifique posant de nouvelles questions aux modèles traditionnels de la formation. Il est intéressant de voir que ce questionnement va aussi au-delà du domaine du numérique, mais je souhaite me limiter à cet univers que je connais bien, même s’il ne faut pas abandonner l’idée que c’est globalement la conception de la formation en éducation qu’il faut interroger. Comme je l’évoquais précédemment, la dimension sociale et culturelle du numérique (fait social total) met en évidence des transformations profondes de la vie en société, appuyée sur des moyens techniques dont la maîtrise, la compréhension, l’appropriation sont essentiels et ne peuvent se réduire à des « stages ».

Il le parait important de poser la question à l’envers de la manière dont je l’ai abordée initialement : en partant du sujet par rapport à sa formation et non de la seule formation. Car avant tout une formation, c’est un sujet qui se forme. Or si le modèle dominant de la formation est celui proposé depuis de nombreuses années dans les centres et institutions de formation, chez les personnes qui se forment, il y a aussi une représentation sociale de la formation qu’il faut prendre en compte. Les récentes injonctions à l’hybridation de formation a révélé les résistances nombreuses à des changements de forme de formation de la part des stagiaires (les fameux se formant…). Le constat fait par les enseignants de leur capacité d’autoformation et de formation par les pairs peut-elle être génératrice de demandes de formes nouvelles ? Ce n’est pas certain. On peut penser qu’il y a une sorte de rupture entre s’autoformer et suivre une formation. Dans le premier cas, le sujet est engagé face à une situation qui demande une résolution souvent rapide d’un problème rencontré. Dans le second cas, le sujet est dans une double attente issue de son contexte mais issu aussi de l’offre de formation et de son contexte de réalisation.

Afin de faire évoluer les formes de la formation, dans le champ du numérique éducatif, il semble souhaitable de faire évoluer la représentation que chacun se fait de ce qu’est apprendre, se former. Pour l’enseignant, il y a un paradoxe entre son activité professionnelle telle qu’elle est organisée et ses besoins, ses nécessités de formation qui inversent en quelque sorte le problème : sont-ils alors comme des élèves ? Ce comportement d’élève a souvent été observé dans des sessions traditionnelles de formation d’enseignants. Le renversement est important, il peut prendre son origine dans une organisation locale, à l’échelle de la communauté éducative, qui facilite les échanges, les confrontations, aussi bien pour l’autoformation que pour la formation par les pairs. Tout comme pour favoriser l’autonomie des élèves, favoriser la capacité d’auto et de co-formation au quotidien repose sur une organisation du temps de travail qui le permet : lieux adaptés dans les établissements, temps dégagés pour cela etc… Le primaire, en imposant les 18heures annuelles de formation aurait pu engager une telle modalité. Certes, les CAP et autres Constellations sont des initiatives intéressantes qu’il faut saluer, mais comment aller plus loin ?

Sans abandonner aucune des modalités de formation, les diverses expérimentations que nous avons pu analyser en formation (parfois avec le numérique) font apparaître que le travail de formation en proximité doit précéder toute action de formation traditionnelle. De plus toutes formation traditionnelle doit ancrer son ingénierie dans la problématisation contextualisée des participants, adaptée à leurs « différences ». Enfin mettre en place des environnements formatifs, associant présence, disponibilité et distance devraient être au coeur des ingénieries à construire. Rappelons ici les quatre piliers de l’apprendre : observer, expérimenter, interagir, réfléchir (cf. le schéma ci-dessous). Toute situation de formation devrait s’appuyer sur ces quatre piliers pour s’assurer de sa pertinence…

A suivre et à débattre,

BD

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