Les récents ébats amoureux des médias et du monde politique nous alertent sur un point essentiel : qu’en est-il de la vérité et du mensonge ? Les débats internes aux médias, les mises à la porte, les transferts, les arrivées, aiguillonnent notre curiosité. Les débats externes sur les médias, nous semblent bien à part de notre quotidien. Mais tous nous rappellent une question qui n’est pas nouvelle, mensonge ou vérité ? Car derrière ces flots de paroles, revient en force la théorie du complot. Les spécialistes en communication connaissent bien cette théorie du « contre feu » qui permet d’empêcher quiconque, justice comprise, de tenter de trouver une vérité. A tel point que seul le jugement rendu vient dire ce qu’est la vérité, alors même que très souvent il ne s’agit que du « partage de la vérité ».
Le travail d’éducation aux médias se complique chaque jour un peu plus. L’impossibilité de plus en plus évidente de distinguer la vérité du message, si tant est que cela soit possible, rend quasiment impossible toute analyse un peu sérieuse des faits. Car c’est de l’établissement des faits tels qu’ils sont qu’il est question. Autrement dit, la rigueur de l’éducation aux médias, c’est d’abord l’approche des faits. Or on confond très souvent information et fait. Rappelons le ici, l’information n’est que la transformation du fait en objet communicable. Or cet objet communicable est issu d’une « manipulation » humaine, de manière directe ou indirecte. L’expérience du témoignage des faits est édifiant, les spécialistes de la mémoire le savent bien. Il suffit d’interroger plusieurs témoins de la même scène pour se rendre compte que chacun ne rapporte pas le fait de manière identique à l’autre. En est-il de même du savoir et en particulier du savoir enseigné ? Si l’on veut bien considérer qu’un savoir scientifique n’est qu’une vérité provisoirement admise, parce que partagée par plusieurs témoins (les chercheurs par exemple), alors on imagine qu’un savoir non scientifique peut avoir la même définition. Malheureusement non. Car ce qui distingue l’observation commune du travail rigoureux de l’établissement des faits, c’est justement que le travail de confrontation n’est pas fait pour rechercher un savoir commun, mais trop souvent pour imposer son savoir (individuel) comme une vérité (pour tous). En d’autres termes l’intention de celui qui s’exprime doit toujours être questionnée, depuis son implication dans le fait jusqu’à sa propre histoire personnelle en relation avec le fait ou le cadre du fait.
L’arrivée sur l’espace médiatique de nouvelles possibilités d’exprimer « la vérité » ajoute au trouble. D’abord parce qu’il est commode de désigner, lorsque se confrontent les vérités, un bouc émissaire et en l’occurrence Internet est le bon objet. Ainsi sur un espace dans lequel chacun peut s’exprimer sans filtre, toute parole serait a priori mensongère. Les sites qui « sortent les affaires » sont rapidement rangés au même niveau que n’importe quel site. C’est oublier que sur certains sites en ligne, il n’y a aucune différence avec les médias traditionnels en terme de construction de la vérité. Autrement dit, Internet n’a pas révolutionné le fonctionnement traditionnel des médias antérieurs, pas plus qu’il ne révolutionne la mise au jour des savoirs scientifiques. Certains ont migré du papier au numérique en reprenant les même modalités. Ce qui est plus gênant, c’est que en parallèle avec ces fonctionnements traditionnels, on assiste à l’émergence d’une autre parole : celle des sites personnels (j’assimile ici blog, facebook et twitter comme espace de publication médiatique), autrement dit des vérités dont le processus d’élaboration est différent de celui connu antérieurement; celle des commentaires de toutes sortes (anonymes ou non) à la suite de propos tenus sur les sites personnels ou non. Or, dans ce dernier cas, cela est suscité par des professionnels issus du monde ancien qui se limitaient au courrier des lecteurs et qui désormais ont découvert une nouvelle source d’accès aux « commentaires ordinaires »…
En quoi est-il gênant que tout un chacun puisse interagir avec la parole « attestée » ou « autorisée » ? Parce que cela crée une nouvelle confusion liée à la technique elle même qui amène le lecteur à avoir beaucoup de mal à distinguer « qui parle ? », voire « de quoi il parle ? » En d’autres termes, les codes de lisibilité des informations de toutes natures sont de plus en plus embrouillés dans leur prolifération. Un jeune étudiant me rapportait sa surprise d’avoir observé l’indigence des démarches « ordinaires » des usagers enseignants d’un centre de documentation. Il observait qu’ils « ne savent pas chercher » pour faire court. Mais derrière cette phrase lapidaire qui sert souvent d’argument pour justifier des enseignement méthodologiques, il expliquait que ces enseignements étaient totalement inefficaces d’une part parce que trop souvent décontextualisés des questionnements de ceux qui cherchent et d’autre part parce que les pratiques réelles sont encore globalement inconnues et qu’enfin le lien entre méthode de recherche et fonctionnement mental de celui qui recherche est encore loin d’être bien connu, non pas dans les procédures, mais dans la complexité systémique du quotidien de celui qui recherche. Ainsi l’observation quotidienne d’utilisation ordinaire des TIC par des adultes enseignants révèle de très graves carences. Si l’on ajoute à ces carences l’évolution actuelle des discours et de leur diffusion, force est de constater que la confusion augmente de manière potentielle dans la population.
Au nombre des fractures liées au numérique en apparaît une nouvelle à savoir que même ceux qui sont censés maîtriser les fondements du rapport au savoir et à l’information sont très démunis pour leurs propres usages. Les observations menées depuis plus de vingt année de la prolifération informationnelle amène à revenir aux fondamentaux et, entre autres, aux travaux de Paul Watzlawick. Pour plagier ce chercheur, on peut dire que l’humain construit d’autant plus sa réalité que les écrans ajoutent à la confusion. Le fait que les adultes soient très démunis, même ceux ayant reçu une formation supérieure, doit nous interroger sur le sens de cette évolution et sur ses conséquences pour la vie en société, et donc aussi pour l’éducation des plus jeunes.
En premier lieu cela nous interroge sur l’organisation technique des informations (donc des savoirs puis des connaissances), autrement dit sur l’ergonomie générale des systèmes d’accès à l’information. Mais ne réfléchir que sur ce point c’est « externaliser » un problème qui est aussi humain.
Ensuite, donc, cela nous invite à réfléchir aux processus humain de « construction du réel » cher à Watzlawik et donc à ce qu’il est habituel d’appeler le passage de l’information à la connaissance
De plus il est absolument nécessaire d’interroger les acteurs/auteurs d’informations sur la manière dont ils s’insèrent dans l’univers technique d’information et de communication. Et par manière nous ne parlons pas seulement du comment mais aussi du pourquoi !
Il devient donc indispensable d’interroger le système éducatif (et pas seulement scolaire) sur le rapport au savoir, à l’information et à la connaissance. Cette interrogation doit porter non seulement sur les objets de savoirs eux-mêmes mais aussi sur les processus de « travail » du fait depuis leur observation jusqu’à leur « mise en scène » et leur « représentation » sur le théâtre de la vie
Il n’est pas inutile aussi de renvoyer à la dimension psychanalytique du problème en interrogeant la « manière » donc chacun de nous déploie sa vie, la construit et la place qu’il donne à l’incorporation d’informations pour accompagner cette construction (action et interaction)
Enfin il semble absolument nécessaire, mais absolument pas suffisant de développer la compétence à « évaluer » une information. Mais une évaluation qui ne soit pas passive (usage d’un référent et de grilles) mais active (confrontation humaine, recherche de consensus, acceptation de l’incertitude)
Ce que d’aucun appellent esprit critique, ne peut, selon nous, dans un univers envahi pas les informations numérisées, se suffire de la seule dernière proposition mais bien évidemment engager la démarche complète afin d’approcher la « complexité émergente » de ce à quoi chaque humain à désormais accès en termes d’information. L’observation de l’indigence du monde adulte face à ce phénomène nous invite à demander une véritable « mise à plat » en particulier des modes scolaires et universitaires, en commun, afin de repenser les « arts de faire » à la lumière de cette évolution. Et ce, d’autant plus que la génération nouvelle qui arrive sur les bancs de nos institutions développent des pratiques nouvelles, surprenantes parfois, mais o combien adaptées à leur humanité en devenir.
A suivre et à débattre
BD
Juil 24 2010
1 Commentaire
« la guerre c’est la paix », n’est-ce pas ?