Vérité scientifique en danger, réflexions pour éduquer face aux médias

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Les conflits et débats actuels sur les traitements possibles de la maladie provoquée par le coronavirus sont des révélateurs d’une interrogation majeure qui traverse chaque humain : comment va-t-on pouvoir intervenir pour m’éviter la mort ? Car il faut l’admettre, l’idée de mourir n’est pas plaisante, même pour ceux qui l’ont choisie. La mort, séparation ultime, est le dernier rebond de l’écho qui tout au long de notre vie n’a cessé de nous inquiéter : l’angoisse de la séparation. Pour faire face à cette angoisse, cette peur, mais parfois aussi cette délivrance, nous cherchons des certitudes : dans la science, la croyance, le rêve etc.… chacun de nous tente de se rassurer avec ce qui l’entoure et est à sa portée.
Les pouvoirs qui ont aussi compris combien la population a besoin d’être rassurée font des choix. Si le roi a été considéré comme le représentant de Dieu sur terre à certaines époques, et donc était le repère rassurant du peuple, la révolution du XVIIIè siècle scientifique autant que populaire a mis à terre, en France (mais aussi ailleurs), cette croyance. La montée du rationalisme opposait donc la raison et la science à Dieu. Le positivisme puis le scientisme du XIXè siècle ont pris le relais pour tenter d’imposer la science comme source de vérité. Plus récemment la thèse de la Singularité, portée en particulier par Ray Kurzweil a rajouté la technologie à la science pour envisager la vérité du monde. Bien évidemment cet inventaire peut paraître un raccourci en regard de l’immensité des travaux qui les ont portés et critiqués, mais cela permet de montrer des filiations qui peuvent nous aider à comprendre ce qui se passe en France aussi bien avec la crise du coronavirus qu’avec les conceptions de l’enseignement et de la transmission.
Les experts se multiplient sur les plateaux et parfois même sur les sites web (dont certaines universités). Ils sont là pour nous rassurer et pour nous inquiéter. Il nous faut rappeler ici ce que nous avons écrit précédemment à propos des experts et de leur expertise. En allant plus loin on peut proposer d’examiner comment se construit l’expert d’une part dans l’espace public et les médias et d’autre part pour l’expert lui-même.
– Dans l’espace public l’expert est quelqu’un dont on « autorise la parole » (Coluche en a fait un sketch et d’autres auteurs des livres) parce que l’on pense qu’il « connaît ». Ainsi un scientifique (quelqu’un qui produit de la connaissance et l’enseigne ou la transmet) sera considéré comme un expert. De même quelqu’un qui occupe un emploi comportant des responsabilités importantes va être considéré comme un expert. De plus dans certains cas l’expert est simplement quelqu’un qui est reconnu, identifié comme pouvant connaître (il a écrit un livre sur le sujet par exemple). Parfois l’expert est le représentant syndical d’un groupe professionnel (on s’est aperçu que certains syndicats abusaient de cela pour empêcher, interdire, les « non experts » de témoigner) Ainsi l’expert se trouve pris dans une chaine de continuité entre ceux qui le montrent et ceux qui l’écoutent ou le regardent. Nombre d’émissions et de médias utilisent ces experts, ils crédibilisent le média. Mais voilà il arrive que parfois cela « déraille » et que les experts s’opposent à propos de leurs connaissances. C’est alors que se pose la question du « discernement » et celle du « consentement »
– Quand quelqu’un écrit sous sa signature le mot « expert », cela signifie qu’il revendique l’autorité de sa parole. Et ça marche souvent, surtout lorsque l’expert associe son expertise aux médias ou aux publics (professionnels ou non) qui le font ou l’ont fait travailler sur son champ d’expertise. Il semble bien, à regarder les querelles d’experts, qu’une partie de l’enjeu des débats soit aussi dans l’image de soi de chacun de ces experts. La mégalomanie ne doit pas être ignorée, elle existe souvent et parfois permet de belles réussites, mais à quel prix. Elle permet aussi des excès et des erreurs…

Revenons donc à nos experts et au sens du terme. J’ai tendance à penser que l’expertise repose d’abord sur l’expérience. Expérience personnelle, expérience professionnelle qui permet d’accumuler un ensemble de preuves qui permettent d’exprimer une « opinion » mais surtout de partager une « connaissance » (au sens de construction personnelle de savoirs à partir de sources diverses, scientifiques, statistiques, cliniques, ou expérientielles). Le scientifique est d’abord quelqu’un qui utilise des méthodologies explicites pour construire ses connaissances. Il est d’abord un connaisseur. Le piège de l’expert se referme rapidement sur lui dès lors qu’il faut affirmer des « vérités ». Car c’est bien là qu’est le problème : l’expert à un parole qui est traduite, le plus souvent, comme une vérité par l’auditeur, le spectateur. Lorsqu’il y a débat, le biais de conformité amène le spectateur à choisir l’expert qui conforte, le plus souvent, ses idées initiales ou qui démontre au mieux son raisonnement (même si ses idées sont éloignées). Face aux paroles des « experts », nous sommes d’une grande fragilité, et avons bien du mal à discerner. Par contre, à la suite de la parole des experts, il nous faut « consentir » aux conséquences de ces paroles, de ces « vérités ».

On peut faire un parallèle entre le Conseil Scientifique de l’Education Nationale et les Conseils scientifiques mis en place à l’occasion de la crise du coronavirus. Dans les deux cas il faut convoquer la science pour avoir « une vérité » : apprendre à lire, apprendre à compter etc… Pour qui connait les débats scientifiques et en particulier méthodologiques, on s’aperçoit que lorsqu’un conseil donne un avis, il est toujours prudent d’aller voir « derrière l’écran » des certitudes affirmées. On nous dit d’ailleurs les scientifiques proposent, les politiques disposent… On comprend bien que l’avis d’un scientifique qui s’exprime à partir d’expériences de laboratoire (in vitro) ne peut se transposer brutalement à une population (in vivo). Quelques articles publiés récemment indiquent aussi le nombre trop important de recherches publiées dont on peut douter de la fameuse « reproductibilité ». Soit que les données sont peu fiables voire triées en amont, soit que les échantillons soient trop restreints, soit que les conclusions soient un peu trop généralisantes par rapport au travail effectué. Certains philosophes des sciences ont même montré que les sujets de recherches et les résultats étaient parfois orientés par la carrière même du chercheur (bizarrement on retrouve là la question de l’expert).

La question finale de cette réflexion est celle de la généralisation. Les travaux menés basés l’EBM (Evidence Based Medicine) ou sur l’EBE (Evidence Based Education) devraient prendre un peu de distance au vu des résultats concrets dont l’expérience nous prouve la fragilité. Malheureusement nous sommes dans un temps pendant lequel l’expérience n’est que de peu de valeur en regard de la science ou de l’expertise. Non qu’il faille donner un gagnant, mais il est nécessaire qu’un vrai dialogue s’instaure. Qu’un chercheur reconnu dise d’un autre chercheur (statutairement reconnu) ne fait pas de la vraie recherche pose problème. Encore un expert qui s’autorise à juger les autres. Et c’est là la dernière caractéristique de l’expert, il se sent en capacité de juger et de trancher. Aussi il faut rappeler ici à chacun de nous la fragilité de la science, de l’expertise, mais aussi de l’expérience en particulier personnelle, de la croyance voire du bon sens. Seul le dialogue entre ces « manières de faire » peut permettre de faire avancer le savoir, les savoirs. Encore faut-il en avoir la modestie…. Alors avec nos élèves, avec nos enfants, avec nos collègues, soyons soucieux de cette démarche difficile mais ô combien nécessaire si nous voulons éviter les oppositions stériles….

A suivre et à débattre
BD

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