Apprendre la séparation, la rupture, apprendre la mort aux enfants dans ce contexte numérisé

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Un paradoxe : nous sommes tout le temps reliés par les moyens numériques et pourtant en cette période de crise sanitaire nous devons aussi (ré)apprendre la séparation, en particulier l’ultime, la mort. Nos enfants se trouvent donc confrontés au cœur du confinement à cette expérience de séparation reposant sur l’impossibilité de rencontrer les amis, les copains, ce que nombre d’enfants déclarent regretter. Pour un enfant, pour un jeune, la rencontre physique de l’autre, la confrontation de la parole et du corps est essentielle à son développement. Pour l’adulte aussi cette interaction physique est importante, mais au fur et à mesure de la vie, elle se replie sur un cercle restreint de personnes (pour la plupart d’entre nous). Dans le même temps de cette impossibilité, les technologies numériques ouvrent une fenêtre sur l’autre, mais une fenêtre « médiatisée ». Il faut donc apprendre à passer du face à face au médiatisé. Même si la continuité entre la rencontre et les échanges médiatisés est dans les habitudes, l’interdiction de la rencontre elle est une nouveauté pour chacun de nous d’autant plus qu’elle s’impose dans la durée c’est à dire entre 30 et 45 jours. La publication plus que quotidienne des différents nombres de malades, décès, et autres degrés de développement de la pandémie met en avant la place et l’importance de la mort dans notre société et plus directement dans notre vie personnelle.

A cette séparation, s’ajoute donc la peur de la mort. Boris Cyrulnik dans un récente interview rappelait qu’il fallait distinguer la peur et l’angoisse. La peur permet de se construire, l’angoisse elle est d’abord orientée vers la crainte pour les autres et le repli sur soi. La situation actuelle déclenche l’angoisse de manière expérimentale, si cela dure trop longtemps il y a volonté de compensation du vide par l’angoisse. La peur est nécessaire, parce que c’est un mécanisme de défense, l’angoisse au contraire inhibe et empêche de réfléchir. Plus généralement on constate que nous sommes tous face à l’interrogation fondamentale de la vie, à laquelle s’ajoute un cadre dans lequel on nous contraint et qui renforce la place de cette interrogation. Nos enfants, nos jeunes, sont donc aussi face à cette question et il nous faut leur permettre d’y répondre ou tout au moins de faire en sorte qu’ils puissent construire un sens à cet ensemble qui associe enfermement, liaisons numériques et mort. On peut ainsi dire qu’il faut apprendre à vivre dans ce contexte.

Aller à l’école c’est pour beaucoup d’enfants et de parents une expérience de séparation qui commence dans la douleur affective. Petit à petit la quasi-totalité des enfants trouvent leur équilibre et même en profitent pour se construire leur monde à l’insu des parents. D’ailleurs la plupart des enfants ne font que peu le récit de ce qu’ils font à l’école, créant ainsi un espace inconnu pour les parents. Ceux-ci sont souvent tenté de rentrer dans cet univers en allant voir l’enseignant(e) et parfois même en participant aux activités de la classe et même observer le classe (en général c’est fait de manière exceptionnelle, en début d’année). L’école sépare donc l’enfant de ses proches et au cours de sa scolarité, il va apprendre à tenir à distance ses proches. Cette distance est vécue plus ou moins bien selon les circonstances. Toutefois des parents sont très insistants, voire intrusifs et se sentent exclus, ce qui construit une relation particulière avec l’enfant.

La situation actuelle de confinement réintègre à la maison la situation scolaire et cela peut poser quelques problèmes, surtout dans la durée. La distance qu’a l’enseignant avec les élèves est ce qui lui permet de durer dans l’année. Dans certains cas l’enseignant qui a son enfant dans la classe utilise des stratégies pour tenir cette distance et ainsi instituer cet espace de séparation qui devient alors plus imaginaire que réel. En réintégrant la classe à la maison, on a oublié cette dimension socio-affective et les cadres de l’éducation nationale font mine de l’ignorer ou simplement la mettent de côté. La relation avec l’enseignant à distance est un renversement de séparation, mais d’une autre nature. C’est pourquoi des enfants voient cela aussi comme des vacances, au grand dam du ministre qui en arrive à rappeler à quoi servent ces fameuses vacances, mais il fait erreur, car les vacances signifient une autre rupture. Or dans le cas du confinement, il n’y a pas cette rupture symbolique imposée par le lieu scolaire.

A cette question s’ajoute la rupture majeure qu’il va falloir expliquer aux enfants : pourquoi nous sommes confinés ? Pour lutter contre la « propagation » de la mort ou tout au moins du risque de mort. A la différence d’une guerre il n’y a pas d’arme, pas d’ennemi ou plutôt un seul : le virus qui peut apporter la mort. Comment expliquer cela aux enfants ? Ils vont poser des questions, ils vont se poser des questions auxquels nous, adultes, sommes en difficulté pour y répondre. Et pourtant il faut expliquer, c’est à dire d’abord permettre de comprendre la place de la mort comme inéluctable dans un parcours de vie. Ensuite il faut permettre aux enfants de comprendre la variété des situations par rapport à la mort : âge, causes, etc.… et dans ces situations expliquer celle du virus actuel qui est une forme particulière du risque de mort. Eduquer à la mort c’est aussi tranquilliser les enfants en contextualisant les situations, en situant dans la temporalité. Chacun des adultes à des expériences de la mort de proches et du parcours qui a amené à cette mort. Pour la plupart des enfants aujourd’hui on ne parle que du parcours, car les morts sont, en proportion de la population totale encore peu nombreux. D’ailleurs dans certains départements, quartiers, l’étrangeté c’est le confinement pas la proximité de la mort.

La présence de moyens médiatiques nombreux transforme la perception que chacun de nous a du contexte actuel. Avec les médias de flux traditionnels on assiste au spectacle de la crise. Avec les médias interactifs on découvre d’une part la circulation instantanée d’informations de toutes sortes d’informations non hiérarchisées, et d’autre part la possibilité de maintenir « l’autre en vie », c’est à dire que s’il répond à mes messages alors il vit, et la mort s’éloigne de mon imaginaire, au moins temporairement. Ainsi en est-il, en particulier, du lien avec les anciens, grands-parents, arrières grands parents… Dans ce torrent d’informations, la fameuse infodémie, il est important de porter une parole de proximité auprès des enfants. Une parole qui permet à l’enfant d’interroger, d’envisager des réponses possibles. Encore faut-il que les adultes soient en mesure d’y apporter la réponse. Après les attentats du 11 septembre ou de 2015, ce sont les enseignants qui se sont retrouvés au front. Aujourd’hui ce sont les parents. Eux-mêmes sont aussi en difficulté face à ces situations, face à la mort.

Chacun de nous est amené à réfléchir au sens de notre vie, pas seulement individuellement, mais aussi collectivement. Quel sens peut prendre aujourd’hui le fait d’applaudir les personnels de santé quand dans le même temps certains veulent interdire à certains personnels de loger dans leur appartement par peur de la contamination ? Cela aussi il va falloir le faire comprendre à certains enfants. Nous sommes solidaires, mais pas complètement ? En parler avec nos enfants et petits-enfants, suppose que nous fassions aussi un travail sur notre propre perception de la situation. Le confinement qui dure ne va pas faciliter la tâche car cela signifie que la pandémie n’est pas encore contenue et que donc nous pouvons encore être pris dans la tourmente de la maladie. Les moyens numériques à notre disposition peuvent être des alliés pour ce dialogue. Ils donnent accès à des nombreuses informations, sous plusieurs formes, qu’il convient de choisir soigneusement pour aider les enfants à comprendre. IL est probable que le fonctionnement en permanence des chaines dites d’informations en continue dans l’espace familial est la pire des solutions. Donnons-nous des temps pour faire le point sur la situation, ensemble avec les enfants parfois pour ensuite en parler avec eux. Ce sera aussi l’occasion de travailler avec eux sur l’évaluation de la qualité des informations fournies. Là encore il faudra faire preuve d’honnêteté intellectuelle et de modestie… et là chacun de nous, moi le premier, a encore bien du travail à faire….

A suivre et à débattre

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