S’installer dans le confinement, durer… inégalités ou disparités ?

L’entrée dans le confinement a provoqué des « pics » de réactions et de situations difficiles à gérer. Aussi nombre de commentateurs, experts et autres journalistes, se sont empressés de venir « causer dans le poste » en particulier pour essayer de trouver les failles. On trouve les français indisciplinés, le pouvoir en dessous de nos attentes, et tant d’autres critiques et parfois même des hypocrisies politiques qui ont remplacé pour certains leur habituelle langue de bois. On peut être surpris de cette éruption de « méchanceté », parfois même de violence verbale que certains sont prompts à justifier. Que ceux qui s’empressent de faire feu de leurs armes s’attendent à ne pas être remercié de leurs propos quand tant d’autres tentent d’aider, de s’entraider, de se soutenir, d’être solidaires. Car ceux-là qui dénigrent ne sont déjà plus solidaires de l’ensemble de la population qu’ils abandonnent parfois lâchement du haut de leur suffisance.

Mais il y a ceux et celles qui œuvrent au quotidien et qui essayent de « continuer à vivre ». Si bien sûr il faut mettre au premier rang de ceux-là les personnels qui travaillent dans la santé et l’aide aux personnes, il ne faut non plus laisser de côté ceux qui assurent la logistique et l’acheminement des moyens de vivre. On peut aussi mettre en avant les éducateurs, enseignants (dont certains vont accueillir les enfants des personnels de santé), parents, personnels d’encadrement et autres qui vont s’engager dans une deuxième semaine de confinement, d’enseignement à distance, d’activités diverses pour que les enfants ne soient pas laissés à l’abandon. C’est le pari de cette deuxième semaine : s’installer dans un rythme d’activité qui permet à chacun de maintenir sa motivation, son engagement, son implication. Certes il y a des moments de relâchement, de déception, d’enthousiasme. Si ce confinement va probablement durer plusieurs semaines, il est important que nous apprenions à gérer notre souffle, nos efforts. Or comme on le constate, il commence à y avoir du « bruit ».

Pour durer dans le confinement, il y a d’abord la vie d’avant et ce qu’elle était réellement. Les situations sont très disparates entre les uns et les autres. Lorsque l’on argue de l’étendard des inégalités sans en préciser la nature, on écrase sociologiquement et statistiquement les caractéristiques. C’est d’ailleurs ce que révèlent aussi bien les messages des familles et des enfants que quelques mois auparavant les discours de nombre de participants au mouvement des gilets jaunes. Ce qui doit nous interroger c’est d’abord ce qui fait qu’une situation est ressentie comme difficile et amenant à exprimer une plainte ou une révolte ou un repli sur soi. Dans un monde qui a promu l’individualisme et le libéralisme, c’est le « je » qui compte en premier, même dans les revendications, c’est aussi le « tout de suite ». Les fameuses inégalités sont donc tout autre chose qu’un simple slogan et il faut aller au-delà, en particulier dans le domaine du numérique.

Quand on parle des disparités numériques face à la situation actuelle de confinement pour ce qui concerne l’Ecole, il faut explorer plus avant les différents termes qui font autant de différences. Les différences d’équipement personnel (et leur disponibilité dans l’espace de vie confiné), les différences d’accès au réseau Internet (sur l’ensemble du territoire), les différences dans les compétences à utiliser le numérique et ses ressources, les différences dans la relation à l’institution scolaire (le sens de l’école), les différences dans le réseau relationnel personnel (amis, familles…), les différences dans le réseau de relation scolaire (école, enseignants, autres élèves…), les différences dans les manières d’apprendre, les différences dans les compétences cognitives (apprendre à apprendre), les différences dans les capacités d’autonomie, les différences dans l’intention et l’engagement pour l’apprendre…. On pourrait encore approfondir, mais simplement cette liste nous permet d’argumenter sur le risque de la normalisation de l’inégalité. En effet certains « politiques », mais aussi certains courants de pensée, voir de recherche, donnent à penser que les inégalités sont naturelles (référence au darwinisme parfois ?) et qu’elles sont inéluctables (nous sommes déterminés ? « les jeux sont faits » livre de Jean Paul Sartre que l’on peut relire en ce moment).

Avoir les compétences pour durer dans le confinement avec ses enfants son travail etc.… suppose de savoir se projeter, c’est à dire prendre en compte l’avant, le pendant et l’après. Si l’on ne pense que le présent que l’on vit, alors on risque de sombrer dans le désespoir au fur et à mesure du temps qui passe (un certain président parle de « voir le bout du tunnel »). Si les familles se sont tant équipées en numérique depuis le début des années 2000 c’est parce qu’elles ont projeté dans ces moyens une vision d’un avenir globalement numérique. Malheureusement l’arrivée du smartphone a transformé la donne et introduit une forte concurrence entre les usages domestiques et les usages « avancés ». L’ordinateur représente les usages avancés parce qu’il est associé au monde du travail. Le smartphone l’est beaucoup moins car il est associé à l’ensemble de la sphère personnelle et relationnelle, même si, pour certains le professionnel interfère en plus. Dans le monde scolaire le fameux BYOD qui est beaucoup plus simplement l’utilisation des moyens numériques personnels au service de l’apprentissage est resté dans l’ombre des pratiques ordinaires et parfois quotidiennes aussi bien du côté des élèves que du côté des enseignants. On peut donc s’interroger sur la continuité ou la rupture permise par cette concurrence (cf. les travaux de Pascal Plantard).

Avoir les compétences pour durer dans le confinement c’est aussi la capacité à rester en lien, rester en réseau. Une petite fille de CP discute avec une amie de classe au téléphone et elles font des dictées comparées à distance. Des élèves de lycées ont organisé un réseau d’échange pour préparer la fin de l’année et les examens (baccalauréat). Un élève de collège soutient la motivation des autres élèves de sa classe au travers de leur espace en ligne. On peut multiplier les exemples : la pratique d’échange et de collaboration chez les jeunes et en particulier les ados est quasiment constitutive de leur forme de développement. Ils aiment se retrouver échanger. En temps ordinaires, ils se contactent par les réseaux numériques dès qu’ils se quittent physiquement assurant ainsi eux-mêmes leur continuité sociale. En cette période de confinement au cours de laquelle on enlève aux enfants la possibilité de se retrouver physiquement, il faut parier sur les moyens numériques d’échange et d’entr’aide. On peut même, en tant qu’enseignant proposer des activités collectives ou collaboratives (dossier à faire à plusieurs par exemple). Nous avons là affaire à des compétences qui sont parmi les plus et les mieux partagées. Aussi peut-on s’appuyer dessus pour éviter de creuser, d’accentuer les disparités : l’aide par les pairs (entre élèves comme entre enseignants) est souvent porteuse d’améliorations individuelles. Est-ce la confrontation à la solitude ou l’acceptation de la séparation ? Un peu des deux probablement mais la première bien davantage en cette période d’isolement contraint.

Durer dans le confinement suppose aussi un travail sur soi. Ce travail est même imposé : que faire de tout ce temps disent certains ? Apprendre à gérer son temps disent d’autres ? Le remplir, le remplir jusqu’à satiété disent encore d’autres ? On peut prendre ce temps pour travailler chacun notre rapport à notre activité voire à notre activisme. Prendre le temps, puisque l’on nous en propose.

A suivre et à débattre
BD

PS : On pourra relire au sujet des comportements en période difficile le merveilleux livre « Eloge de la fuite » d’Henri Laborit et le film qui l’a prolongé : Mon oncle d’Amérique, d’Alain Resnais. En effet nous pouvons y trouver une entrée pour analyser ce qui se passe dans nos foyers, dans nos équipes…

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