Démolitaire et Totalcratie avec le numérique (ou sans) ? vers une Numécratie !!!

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Étonnant tournant que celui s’opère en ce moment : la fin de la démocratie idéalisée par les anglais au XVIIIe siècle puis progressivement développée dans les pays occidentaux principalement. Comme nous l’avons proposé dans un précédent billet, la démocratie traditionnelle est mise à mal par le numérique et ses usages. Dans le même temps, certains pays à la culture radicalement différente de la culture occidentale ont développé grâce au numérique des moyens de suivi et de surveillance de l’ensemble de la population au nom d’un pouvoir étatique qui doit, devrait, transcender les intérêts personnels. Dès lors que ces derniers s’expriment, ils sont réprimés, parfois très violemment, mais surtout ils sont identifiés grâce aux moyens numériques disponibles.
Démocratie contre totalitarisme ? Dans les deux cas, les difficultés finissent par surgir de ces nouveaux moyens d’expression qui peuvent donner la parole à tout le monde. Si dans une démocratie, s’exprimer est accepté (jusqu’à une certaine limite cependant), dans un état totalitaire s’exprimer c’est prendre un risque (jusqu’à une certaine limite aussi mais à l’opposé de la démocratie). Ce qui se passe dans de nombreux pays, totalitaires ou démocratiques, c’est l’émergence de la troisième force : la population, ensemble humain appelé souvent peuple, mais aussi citoyens. Si en France pour certains les valeurs de la république doivent transcender l’action des individus et les amener à s’inscrire dans la mécanique démocratique, dans des pays plus totalitaires, c’est la souvent la figure du chef ou du fondateur qui invite la population à en conserver l’autorité, la force, la violence même.
Le numérique peut-il faire émerger une nouvelle forme de « faire société » qui ne soit ni la démocratie dont on peut penser que le modèle ancien est à bout de souffle, ni le totalitarisme qui dans de nombreux cas s’oriente vers le désespoir et la révolte, voire la fuite collective de la population. L’observation des comportements liés à l’utilisation en particulier des réseaux sociaux permet d’observer deux choses : d’une part la montée en puissance d’actions populaires (au sens de vu par beaucoup de personnes) et d’autre part le relais des médias de flux dès lors qu’ils sentent un basculement et sortent de leur soumission au pouvoir. L’exemple de la Chine présenté dans une Thema diffusée par Arte ce 18 décembre montre bien cette capacité d’un pouvoir totalitaire à maîtriser ces mouvements et à les contenir. On observe donc qu’une nouvelle puissance d’expression émerge, qu’elle fait peur à tous les pouvoirs, qu’elle est souvent l’objet de tentatives de récupération par les mouvements traditionnels de la politique.
Aux débuts d’Internet, on a vu apparaître des tentatives de démocratie directe ou en direct, comme les conseils municipaux de la ville d’Amiens en live sur le web. Plus récemment, au sein de nombreux ministères, dont en particulier celui de l’éducation, ou encore l’assemblée, on a vu se déployer des consultations en ligne sur des projets variés. Autrement dit, les pouvoirs en place tentent de capter les opinions, les sentiments, les réactions, voir les propositions. Aller sur le site https://www.debatpublic.fr/ de la Commission Nationale du Débat Public pour comprendre cette méthode, qui bien qu’intéressante semble vite atteindre ses limites : ceux qui s’expriment là ne sont-ils pas les lobbys, les fameux représentants de la société, les spécialistes/experts, toujours les mêmes ? Les résultats de ces consultations ont-elles réellement un effet sur les pouvoirs publics ? Il suffit de regarder les enquêtes d’utilité publique de toutes sortes et leur exploitation pour se rendre compte du problème.
Le questionnement actuel est le suivant : quelle forme de pouvoir peut fonctionner en se basant sur ces moyens techniques ? Il semble que deux domaines de réflexion doivent être étudiés en priorité : faire partager le sens du « faire société » à l’ensemble de la population ; développer l’expression, le débat et la décision le plus près des acteurs locaux, donner de l’autonomie.
– Lorsque la perception du sens du vivre ensemble s’émiette, s’estompe, le faire société ne fonctionne plus. L’exemple de la solidarité sociale exprimée techniquement par la sécurité sociale, les impôts, les mutuelles, les assurances et autres structures de répartition des moyens produits dans notre société, est révélateur du degré de sens que porte cette solidarité. Quand elle devient incompréhensible, elle permet les révoltes populistes ou populaires. Le web et les réseaux sociaux numériques sont des vecteurs de cette incompréhension. En généralisant sur Internet les services publics, on pense faciliter l’accès pour tous. Or on provoque une forme de déshumanisation/réhumanisation qui casse le tissu social local. En créant des banques en lignes on s’aperçoit rapidement qu’on a besoin aussi de contacts humains d’espaces d’échanges. L’industrialisation du tertiaire grâce au numérique est un piège s’il ne s’accompagne pas de nouvelles formes d’humanités, de faire ensemble.
– C’est par l’autonomie du local que l’on peut permettre de favoriser la prise en charge par la population de son faire société. Le sentiment de pouvoir faire s’estompe dans une société mondialisée dont on ne perçoit que les échos numériques en flux ou interactifs. D’où la montée en puissance des fausses nouvelles (fake news) et des théories complotistes. Si dans le local je peux agir et percevoir les résultats de l’action alors je peux envisager au-delà le faire société. Si le local en est réduit à appliquer, alors le désintérêt se développe puis le ressentiment et enfin la révolte ou la fuite (cf. le film « Mon oncle d’Amérique » d’Alain Resnais, tiré du livre de H Laborit « Éloge de la fuite »). Comme les moyens numériques permettent de mobiliser rapidement sur tout et n’importe quoi, chacun peut aller se « ressourcer » dans telle ou telle proposition en ligne, de Justin Bieber aux gilets jaunes…
Le risque est désormais le même pour les pays totalitaires et les pays démocrates. Cependant les premiers ont rapidement pris la mesure du risque numérique et tentent de le juguler par la force. Les seconds tentent de le juguler par le débat. Quel qu’en soit l’issue pour les uns comme pour les autres, le problème de fond est donc celui de la construction de la société de demain alors que nous sommes encore sur celle issue du 18è siècle. Quand on dit à des mouvements populaires qu’il faut qu’ils se structurent pour se présenter aux élections, on tente de les contenir dans la démocratie. Quand on réprime et mes dans des camps de rééducation des mouvements populaires, on tente de les contenir dans le totalitarisme. Aucun des deux systèmes ne doit céder à la naïveté des pouvoirs centraux, Hegel, Engels, Marx ont donné des pistes d’analyses valables pour leur époque et leur contexte info-communicationnel, il faut repenser leurs approches à l’aune de d’un nouveau contexte numérique.
Reste l’éducation de nos enfants. Comment leur permettre de construire et non de sombrer dans un système d’opposition systématique et violente ? On a tenté les valeurs de la République. Je ne suis pas certains qu’elles fassent sens. Il faut peut-être tenter de construire une nouvelle forme de faire société fondée sur ce que je nommerai d’un néologisme : la Numécratie.
A suivre et à débattre
BD

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