Le pédagogue et le numérique ?

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On a vu fleurir depuis plusieurs années des sites web, des blogs, des sites de curation etc… qui ont pris le partie de parler de pédagogie et de numérique. Certains vont parfois même parler de pédagogie numérique. Malheureusement on ne peut se suffire d’une appellation de pédagogie si on ne précise pas aussi ce qu’est le pédagogue. De même on ne peut parler de numérique et pédagogique si on ne travaille par l’articulation possible entre le pédagogue et le numérique. Cette approche n’exclut pas pour autant celui qui apprend, mais simplement notre propos vise à se centrer sur les personnages de pédagogues et de montrer comment le développement du numérique est une sorte de catalyseur de la pensée pédagogique. Pour s’en rendre compte, il suffit de lire la littérature pédagogique depuis une quinzaine d’années pour observer que chacun y va de son chapitre, quand ce n’est pas un livre même, à défaut d’articles ou de sites web.
Prenons la figure du pédagogue et essayons de l’éclairer bien maladroitement certes, mais de manière à étayer notre questionnement. Le pédagogue c’est d’abord quelqu’un qui a la transmission comme fondamental de son action. Car un pédagogue c’est d’abord un acteur avant d’être un penseur (ni un sujet épistémique…), c’est un acteur réflexif. Car pour aller vers la démarche pédagogique, il est indispensable d’analyser les situations de transmission, que l’on soit ou non impliqué dedans. Mais le pédagogue c’est quelqu’un qui a aussi dans ses finalités l’apprentissage. Par contre le pédagogue n’est pas quelqu’un qui a un statut officiel dans des institutions non moins officielles. C’est d’abord un acteur impliqué dans la transmission et l’apprentissage, formel, non formel, informel (cf. le dernier numéro de Sciences Humaines de février mars 2014). En d’autres termes n’importe qui peut être pédagogue, mais pas forcément tout le temps. La question qui est souvent posée en complément est celle du bon ou du mauvais pédagogue. Reconnaissons que poser cette question confirme notre proposition précédente, mais qu’elle y introduit une dimension qualitative qu’il serait bon d’éclairer au moment où l’on reparle de l’évaluation des enseignants et des enseignements; mais surtout au moment où tout un chacun se sent autorisé à juger de la qualité de pédagogue de l’autre.
Et le numérique, qu’apporte-t-il comme questionnement nouveau ? Plusieurs bien différents dont le plus ancien est celui de la machine à enseigner. En effet en supposant qu’une machine peut-être enseignant, on ne dit pas qu’elle peut être pédagogue, mais on peut rapidement faire un raccourci et penser qu’une machine transmets, mieux qu’un humain. Mais transmettre ne suffit pas, recevoir l’information n’est pas apprendre. Face à l’écran, espace de transmission désormais omniprésent dans nos vies quotidiennes, apprendre reste indépendant de transmettre. Or ce qui fait le pédagogue c’est que transmettre et apprendre, dans un contexte de socialisation construit, sont indissociablement liés dans son esprit, dans son intention, dans son action. Dès lors que le pédagogue ne s’intéresse pas à l’apprendre, il cesse d’être pédagogue pour devenir vecteur de transmission. C’est alors que certains imaginent qu’une machine pourrait le remplacer comme certains contempteurs des Moocs semblent le penser. Fort heureusement ils connaissent l’argumentaire qui leur évite d’en être accusés, mais leurs actions les trahissent plus qu’ils ne le pensent.
Le numérique interroge le pédagogue car il permet de desserrer l’étau des espaces temps de la transmission en apportant les médiations technologiques, mais pas uniquement, chères à Daniel Peraya. Or c’est là justement que se situe la principale évolution : les territoires, s’ils continuent d’exister voient les formes et le fonctionnement de leurs frontières évoluer. Pour le pédagogue, il y a une formidable opportunité à condition qu’il dépasse le contexte local pour aller vers le contexte global. Par cette formulation imprécise, on indique ici que le pédagogue peut envisager ainsi d’agir en amont, en aval et au delà des territoires qui lui sont assignés dans un monde sans numérique. Certes le livre et l’écrit diffusés massivement avaient ouvert des brèches suivies en cela par l’audiovisuel. Mais jamais le potentiel n’a été si présent, en proximité. Et l’interaction humaine, médiatisée, synchrone et asynchrone, s’est invitée dans le champ de l’activité.
C’est comme si le pédagogue élargissait son champ d’action. C’est comme si, dans certains cas, le pédagogue renversait son activité habituelle : plutôt que de commencer par le souci de la transmission, il avait désormais le souci de la construction de la co-construction. En effet dans un contexte largement envahit par le numérique, la transmission a trouvé de nouveaux vecteurs, de nouvelles modalités possibles. Du coup l’action du pédagogue se complexifie. Les trois piliers que sont transmission apprentissage et action réflexive se trouvent environnées de moyens qui s’interposent ou s’ajoutent aux situations traditionnelles. L’environnement de vie se targue même d’être en quelque sorte pédagogue. Mais comme pour la machine à enseigner, il ne suffit pas du cadre, il faut aussi les acteurs. Que devient alors le pédagogue ? Il est à désormais à l’articulation des processus du transmettre/apprendre en proposant une action réflexive et constructive. Pendant longtemps on a enfermé le pédagogue dans les objets qu’il avait à transmettre. Aujourd’hui il y a progressive dissociation, car le vecteur du numérique a recomposé le paysage, et ce n’est semble-t-il pas fini.
Ce n’est pas le pédagogue ni la pédagogie qui disparaissent avec le numérique. Bien au contraire, le pédagogue est d’abord invité à questionné son positionnement dans le triangle transmission/apprentissage/réflexion pour ensuite resituer son action dans le cadre des nouvelles formes d’interactions permises par les moyens dont chacun dispose. On peut observer ce qui se passe dans les classes dont les élèves disposent d’une tablette pour travailler depuis plusieurs mois pour commencer à entrevoir cette évolution, souvent initiée par les élèves eux-mêmes. De même dans les familles, au travail, les taches des acteurs-pédagogues prennent le même chemin. Mais il y a encore beaucoup à construire car si cette nouvelle figure du pédagogue émerge, elle est encore loin d’être dominante et encore bien davantage acceptable et acceptée.
A suivre et à débattre
BD

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  6. […] Son titre choc Is Google Making Us Stupid? Est un peu trompeur car il s’agit bien moins de charger l’emblématique Google que de s’interroger sur les transformations profondes induites par internet et les nouvelles technologies, transformations qui peuvent aller jusqu’à modifier nos perceptions, nos modes de pensée, voire même notre cerveau. Prenons le Framablog par exemple. Il possède, merci pour lui, d’assez bonnes statistiques d’audience globales, mais lorsque l’on se penche sur la moyenne du temps passé par page, c’est la grosse déprime car cela ne dépasse que trop rarement les deux minutes, intervalle qui ne vous permet généralement pas d’y parcourir les articles du début à la fin. Mais il y a peut-être aussi une autre explication. Allons plus loin avec l’objet livre (que nous défendons d’ailleurs avec force et modestie sur Framabook). Le pédagogue et le numérique. […]

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