Socle et numérique : épisode 4 domaine 3

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L’une des compétences qui a été le plus difficile à construire et à évaluer du B2i est la compétence juridique et citoyenne. Dans une recherche menée de 2006 à 2008, nous avions pu observer le problème posé aux enseignants par cette compétence. Dans le libellé des contenus de ce domaine, le numérique apparaît très peu de manière explicite (uniquement à propos des moyens de communication). Ceci est d’autant plus étonnant que dans chacune des parties les pratiques numériques peuvent être interrogées.
On comprend aisément le souci des auteurs de ne pas amplifier la place prise par ces nouvelles formes d’agir en société par rapport à d’autres plus anciennes dont elles ne sont que la suite logique, mais on s’étonne de ne pas y voir une seule allusion. Le droit s’applique aussi au numérique et à ses usages… or ceux-ci sont devenus presque majoritaires dans la vie des jeunes. L’avantage de parle en termes de principes est de dépasser l’ici et là de la technique et des usages, l’inconvénient est, en les passant sous silence, d’en faire un monde à part.
On retrouve ici, comme dans le domaine précédent, le refus de l’expression explicite de l’incertain : comme si la directive étatique devait être pleine, rassurante et complète. Or le monde révèle chaque jour les situations d’incomplétudes comme la norme du quotidien. Certes, il faut donner quitus aux auteurs d’avoir réactualisé la fameuse « disputatio », mais laïcisée. Toutefois, le devoir d’obéissance reste rappelé sous ses différentes formes… reliant ainsi rationalité et acceptation de la loi.
On perçoit dans ce texte aussi l’hésitation entre la règle et la sensibilité, entre le suivisme et l’initiative. En fait le problème soulevé par cette rédaction de projet de socle c’est celui de la perception d’une pratique culturelle nouvelle, basée sur le numérique, les réseaux, les échanges et l’accès sans intermédiaire aux informations, et celui d’un cadre formel, celui de l’état et de la loi auquel il faut faire accéder le jeune. On a l’impression que l’on est au milieu du gué. La loi, l’état, ne font plus sens de la même manière dans un espace numérique que dans un espace physique. On l’a observé à plusieurs reprises dans plusieurs évènements, la perception de la réalité est déformée par la médiation technologique, mais on ne sait pas encore comment le prendre en compte. En d’autres termes, on ne sait pas comment éduquer à la prise en compte des intermédiaires techniques (matériels et logiciels, algorithmes) et en particulier ceux du numérique. Du coup le repli sur les bases traditionnelles semble bienvenu. Mais c’est oublier un phénomène essentiel : la loi n’est pas la même dans tous les pays, les cultures sont bien différentes selon les histoires des peuples. Aujourd’hui le numérique à la suite du développement de tous les moyens de communication a métissé la perception du monde. En d’autres termes le monde que je perçois n’est pas seulement celui de mon village, de mon quartier, de mes parents, de mes éducateurs, de mes enseignants.
Cette perception nouvelle du monde, qui évidemment dérange le local et le dépasse, ne peut être ignorée, ou interdite. On le voit avec les règlements intérieurs des établissements scolaires qui ne cessent d’évoluer sous l’effet des nouvelles pratiques sociales. Il n’y a pas de raison que cela ne se passe pas de la même manière avec les lois du pays. Se limiter à la « constitution de notre pays », c’est donner un repère, mais c’est aussi limiter la perception du monde. Est-ce encore possible aujourd’hui ? Est-ce acceptable pour l’éducateur ?
Et puis un oubli important dans ce domaine : la dimension économique, le marché. On parle d’Europe, de biodiversité, de refus de la violence, de la science de la technique et on oublie la place du travail et dans un monde économiquement déroutant, le lien entre productivité, marché, concurrence et vie en société. Or l’un des premiers fais de mondialisation est celui de l’économie. On semble oublier notre histoire, une autre grande oubliée du ce domaine, et de la construction culturelle qu’elle a permis. Le triomphe du modèle libéral, certes toujours contesté à l’échelle de la planète, est pourtant à l’origine de ces questions de personne et de citoyen. Le numérique trouve d’ailleurs, dans cette approche libérale, un argument majeur de son développement et pourtant elle est ignorée ici de ce socle qui doit pourtant préparer à entre dans cette société-là.
A ignorer ainsi la place prise par le numérique dans la culture des individus et des sociétés, ce texte sur le socle va contenter certains et même beaucoup. Malheureusement il risque aussi de passer à côté d’un enjeu majeur de la prise en compte du numérique par le monde scolaire : construire une nouvelle forme de citoyenneté planétaire dans un monde numérisé…
A suivre et à débattre
BD


Domaine 3 : la formation de la personne et du citoyen
Dans le respect de l’éducation donnée par la famille, l’école a une responsabilité particulière dans la formation de l’élève en tant que personne et futur citoyen. Elle introduit aux contraintes et aux joies de la vie en groupe. Elle transmet la connaissance des principes et des valeurs inscrits dans la constitution de notre pays. Elle permet d’acquérir des capacités d’esprit critique et de jugement, en même temps que le sentiment d’appartenance à une collectivité. Ce domaine a pour objectif de développer l’aptitude de chacun à vivre de manière autonome et à participer activement à l’amélioration de la vie collective.
Il s’appuie sur trois catégories de principes complémentaires:

  • 1) ceux qui permettent à la fois l’autonomie de chacun et la coexistence des libertés de tous: la liberté de conscience, d’expression et de choix du sens que chacun donne à sa vie ; l’ouverture aux autres et la tolérance réciproque ; la capacité de juger et d’agir par soi-même ainsi que de répondre de ses idées et de ses choix. L’élève apprend à reconnaître le pluralisme des opinions, des convictions, des croyances et des modes de vie.
  • 2) ceux  qui  relèvent  à  la fois  de  la  discipline et  de  la  communauté  des  citoyens :  l’élève comprend le bien-fondé des règles régissant les comportements individuels et collectifs, il se conforme à ces règles et connaît le sens du droit et de la loi. Il apprend et pratique le refus de l’injure, l’égale considération des personnes, la solidarité, l’entraide, la coopération. Il comprend la notion d’intérêt général, et acquiert le sens de la participation à la vie démocratique.
  • 3) ceux qui ressortissent aux conditions sans lesquelles les apprentissages scolaires ne sauraient avoir de dimension émancipatrice : l’élève acquiert le goût du dialogue et de la confrontation des idées, développe sa sensibilité ainsi que son jugement critique, apprend à rechercher la vérité et à résister à toute forme d’endoctrinement.

Objectifs de connaissances et de compétences pour la maîtrise du socle commun
– Développer la sensibilité, la confiance en soi et le respect des autres
La  sensibilité  est  une composante essentielle  de la vie  morale  et  civique :  il  n’y a  pas  de conscience morale et civique qui ne s’émeuve, ne s’enthousiasme ou ne s’indigne. Mais cette sensibilité doit s’éduquer et appelle une réflexion sur les expressions premières des émotions et des  sentiments.  Par  l’acquisition  d’un  vocabulaire  précis,  l’élève  apprend  à  exprimer  ces émotions, à en élucider les motifs et à les contrôler.
Il se prend en charge personnellement et exploite ses facultés intellectuelles et physiques. Il acquiert ainsi la confiance en sa propre capacité de réussir et de progresser. Il construit son identité en apprenant à croiser ses appartenances et en identifiant les lieux pertinents de leur expression.
L’élève développe sa capacité à résoudre les conflits de manière non-violente, et sa maîtrise des moyens d’expression, de communication, d’argumentation qui évite le recours à la violence.
L’élève acquiert en même temps le respect d’autrui : il est capable d’empathie et sait se mettre à la place des autres. Il exerce les règles de civilité et pratique la bienveillance. Par la mise à distance des préjugés et des stéréotypes, il est capable d’apprécier ceux qui sont différents et de vivre avec eux. Il refuse les discriminations, respecte l’autre sexe, est sensible à l’égalité entre les hommes et les femmes et fait preuve de tolérance. Il sait distinguer et respecter la vie privée.
– Comprendre la règle et le droit
L’élève acquiert le sens des règles au sein de la classe, de l’école ou de l’établissement. Il comprend comment, dans une société démocratique, des valeurs communes garantissent les libertés  individuelles  et  collectives,  trouvent  force  d’application  dans  des  règles  et  dans  le système du droit, que les citoyens peuvent faire évoluer selon des procédures organisées. Il comprend les raisons de l’obéissance aux règles et aux lois, mais aussi la nécessité de travailler à les améliorer.
L’élève a appris à conformer son comportement aux règles du cadre scolaire, qui contraignent mais aussi autorisent et qui engagent l’ensemble de la communauté éducative. Il participe à la définition de ces règles dans le cadre adéquat. Il découvre le rôle éducatif et la gradation des sanctions et s’initie à la connaissance des institutions de justice.
Ces compétences reposent aussi sur des connaissances historiques : l’élève connaît les grandes déclarations des droits de l’homme et les principes fondateurs de la République française. Il connaît les pays constitutifs de l’Union européenne, quelques règles de son fonctionnement institutionnel. Il comprend que lois et institutions sont toujours perfectibles. Il comprend  le rôle fondateur du principe de laïcité et son importance dans la vie publique.
– Développer le jugement
L’élève accède progressivement à l’autonomie en veillant à la cohérence de sa pensée, à la portée de ses paroles et à la responsabilité de ses actions.
La formation de la personne inclut la capacité à comprendre et discuter les choix moraux que chacun rencontre dans sa vie. De même, la formation du citoyen vise à ce que l’élève développe les compétences en matière de réflexion critique et d’argumentation qui lui permettent de fonder et de défendre ses jugements. Il apprend à identifier quelques grands problèmes éthiques posés par les progrès de la science et de la technique, et par le respect du monde vivant et de la biodiversité.
Il apprend à mesurer la complexité des problèmes rencontrés, à justifier ses choix en confrontant ses jugements avec ceux d’autrui, à éprouver la validité d’une information, à distinguer ce qui est objectif et ce qui est subjectif. Il devient capable de remettre en cause ses jugements initiaux après un débat argumenté. Il sait distinguer son intérêt particulier de l’intérêt général.
Il apprend par-là à mesurer la portée des grands principes républicains : liberté d’expression et d’opinion, respect des croyances et des modes de vie.
– Développer le sens de l’engagement et de l’initiative
On ne saurait concevoir un enseignement visant à former l’homme et le citoyen sans envisager sa mise en pratique dans le cadre scolaire et au-delà. L’école doit permettre aux élèves de participer à la vie sociale de la classe, de l’établissement et de son environnement. L’esprit de coopération est encouragé, la responsabilité vis-à-vis d’autrui mise à l’épreuve des faits. La culture de l’engagement prend appui sur l’importance de la promesse et du respect des contrats dans la vie civile, mais aussi sur la connaissance du principe démocratique de participation à la vie publique et de la place des valeurs communes dans l’organisation de la vie collective. Cette connaissance rend capable de respecter les engagements pris envers soi-même ou envers les autres. Elle conduit à s’impliquer dans la vie scolaire (actions, projets, instances) ; à percevoir l’utilité des outils de la démocratie (ordre du jour, compte-rendu, votes…) ; à se sentir concerné par tous les aspects de la vie collective et de l’environnement, et à les prendre en charge à son niveau ; à travailler en autonomie et à coopérer avec les autres.
Les compétences acquises par l’élève lui permettent de s’engager aux côtés des autres, mais aussi de préparer sa vie future. En mettant en œuvre des projets individuels ou collectifs, l’élève développe son esprit d’initiative et le goût d’entreprendre. Il commence à faire des projets pour son  orientation  future :  connaissance  de  l’environnement  économique,  des  métiers  et  des parcours de formation.
Champs d’activité correspondants
Ce domaine de compétences et de connaissances engage par excellence la totalité des enseignements portés par les différentes disciplines, mais aussi par les situations concrètes de la vie scolaire dans son ensemble. Il s’appuie sur la participation de l’élève à la vie de l’école ou de l’établissement, et trouve un prolongement naturel dans les activités physiques et sportives qui mettent en jeu des règles, des valeurs et des arbitrages.
L’enseignement moral et civique, mis en place tout au long de la scolarité, fournit une occasion privilégiée pour développer et mettre en perspective ces compétences. Il en va de même pour le parcours  consacré  à  l’orientation  et  à  la  découverte  des  métiers,  ou  pour  les  démarches éducatives  consacrées,  par  exemple,  à  la  santé,  à  la  formation  aux  premiers  secours,  à  la sexualité, ou à la sécurité, notamment routière.

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