Qu'est-ce qu'un chercheur ? Qu'est-ce que la recherche ?

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D’une discipline à l’autre, l’idée que l’on se fait du chercheur change de manière significative. D’un milieu professionnel à un autre la compréhension de ce qu’est un chercheur et l’imaginaire qui y est associé est extrêmement variable, en particulier si l’on pense en être ou non. Déclarer qu’un « vrai chercheur » c’est quelqu’un qui publie dans des revues importantes (impact factor) est avancé jusque dans certains cercles. Cette conception de la recherche est d’abord marquée par un jacobinisme fort (les revues remplacent le pouvoir politique pour attribuer la reconnaissance) et ensuite elle promeut l’entre soi, voire la complaisance dans certains cas, du moins on peut l’imaginer. Car l’évaluation par les pairs, en aveugle, est la caractéristique essentielle de la reconnaissance de la qualité du chercheur. Plusieurs exemples récents ont montré les limites de cette vision et ont montré que la course à la publication et à la notoriété peut amener à déraper sur la qualité scientifique. Aucun système n’est parfait et celui-là moins que d’autres diront les défenseurs de l’orthodoxie universitaire. Ajoutons à ce premier tableau que l’on peut distinguer au moins trois grands types de recherches : fondamentale, appliquée, action. Or ce qui fait marcher l’imaginaire et les représentations c’est la figure du savant fou ou malade plus que le laborieux travail quotidien de l’observation, de l’expérimentation, de la lecture, de l’écriture. C’est d’ailleurs parfois associé à un sentiment de supériorité du fondamentaliste qui se sentirait chercheur dégagé des contingences du quotidien. Ainsi le tableau est posé, la recherche est enfermée dans un ensemble de représentations et de discours, mais aussi de règles et de rites qui la rendent souvent exotique à une grande part de la population.
Mais la recherche n’est pas le monopole des chercheurs patentés, titrés, institués et publiés… Il suffit de regarder la réalité, dans le monde de l’éducation, pour comprendre que la recherche, c’est d’abord un état d’esprit, puis une démarche et enfin des traces et pas n’importe lesquelles. Le développement de l’informatique en milieu scolaire illustre bien cette idée. Il suffit de regarder l’ensemble des productions écrites depuis le début des années 1970 pour comprendre le foisonnement et l’activité réelle menée et les recherches conduites, parfois de manière clandestine, souterraine, invisible. Ce ne serait pas de la recherche par ce que le « chercheur » professionnel ne serait pas à la source de ces travaux et surtout à la fin, dans les publications dans des revues classées !
Il faut donc renvoyer la recherche académique à sa niche. Et comme toute niche elle a sa valeur propre, mais encore faut-il qu’elle aille se diffuser et s’incarner. Car à côté d’elle, il y a nombre de travaux, dont on trouve trace dans des revues spécialisées comme jadis la revue EPI (papier) ou des revues moins spécialisées dans le numérique comme les Cahiers Pédagogiques. A la différence de revues comme la scientifique Revue Française de Pédagogie, la diffusion des travaux rapportés dans ces revues « intermédiaires » est beaucoup plus grande, même si elle est loin d’atteindre l’ensemble de la profession. Nombre de chercheurs académiques ont écrit des textes pour ces revues et ont tenté de sortir des niches des colloques et revues scientifiques, toutes à comité de lecture, bien sûr. Mais ces tentatives portées par des revues comme « Sciences Humaines » par exemple ou encore « Science et vie » ou même « La recherche » pour les plus connues du grand public, ne sont pas valorisées dans la carrière réelle d’un enseignant chercheur.
Bruno Latour, et d’autres, ont raconté ce qui se passe au cœur des laboratoires et des équipes de recherche. Aujourd’hui encore le fonctionnement réel des équipes laisse parfois penser qu’il est plus important de gérer sa carrière personnelle que celle d’un laboratoire, d’un collectif. Ce qui est paradoxal c’est que nombre de chercheurs collaborent avec leurs « amis » mais pas au sein d’équipes constituées et ayant un projet collectif. On se rappelle les propos sur le mandarinat de certains chefs, ceux sur la manière de se glisser dans le système pour y faire carrière etc… (« Un tout petit monde » livre de David Lodge). C’est ça la recherche ! disent certains qui découvrent cet univers ou le côtoient un peu.
La recherche c’est donc d’abord un état d’esprit : questionner les évidences, ne pas accepter le discours général ou la première impression. C’est une démarche, celle de la recherche de preuves de manière le plus rigoureuse possible. Il y a là un piège connu, celui de la méthode scientifique, dont l’emblème est le travail de Claude Bernard (au parcours scolaire difficile) ou celui de Jean Rostand (pourtant en dehors du monde universitaire). Les sciences humaines pourtant, de Levi Strauss à Michel Foucaud, d’Emile Durkheim à Bernard Lahire, par exemple, ont ouvert de nombreux possibles comme ceux que Howard T Becker a bien montrés dans son livre « les ficelles du métier » (la découverte 2003). Au lieu d’y voir de la complémentarité d’aucuns y voient des rivalités.
Revenons donc au quotidien des acteurs de l’enseignement et leur accès à des activités de recherche. En 2001, Philippe Perrenoud parlait de la pratique réflexive. Plus largement plusieurs auteurs ont évoqué la possibilité de la recherche action. Nombre d’enseignant sont dans une démarche de recherche et ce qu’ils écrivent et mettent à disposition, en particulier sur Internet, prouvent qu’ils ont déjà soulevé le couvercle. Mais celui-ci se referme très vite pour deux raisons opposées. La première est la temporalité de la recherche, la deuxième est la reconnaissance de la recherche. Pour la première l’enseignant plongé dans son quotidien et invité au présent de la classe a peu de temps pour la réflexivité au moins, la démarche de recherche au plus. Pour la deuxième, si jamais il parvient à une production, sa reconnaissance sera rarement celle des chercheurs patentés, sauf dans des cas bien précis qui rapprochent des praticiens des chercheurs et qui permettent des publications collectives.
Ce contexte global, dont on ressent dans les échanges avec des enseignants qui souhaiteraient entrer dans ces démarches qu’il est difficile, fait que nombre de ceux qui s’expriment se sentent éloignés de la recherche. Certains en refusent même les atours, de peur de se retrouver dans la position de l’arroseur arrosé. Du coup l’autorité de l’écriture a beaucoup de mal à être perçue à sa juste valeur, au-delà du titre académique. C’est pourquoi il nous semble essentiel, si l’on veut que les travaux de recherche gagnent en diffusion, qu’ils soient, à l’instar de ce que préconise la sociologie de la traduction, réalisés dans des collectifs « pluriels » dont nul n’est a priori exclu. Ces collectifs comportent aussi bien des acteurs du milieu que des acteurs d’autres milieux complémentaires. Un certain nombre de projets récents (eEducation par exemple) ont imposé la présence de chercheurs dans des consortiums de développement de solutions nouvelles. Ils ont imposé au chercheur un déplacement dans la posture : être dedans et distant en même temps !!! Cette expérience vécue par plusieurs laboratoires d’éducation récemment a permis de voir combien le chemin à parcourir est compliqué, mais combien il est nécessaire.
A suivre et à débattre
BD
PS on dit dans certains lieux que l’auteur de ce blog n’est pas un « vrai » chercheur mais plutôt un passeur. Mais qu’est ce qu’un chercheur qui n’est pas un passeur ?

1 Commentaire

  1. Merci Bruno pour ce billet, il me rappelle des débats assez vifs lors de la comparaison de la recherche anglo-saxonne et de la recherche française. L’idée est peut-être de se dire que la recherche est multiforme et que les entrées sont plus complémentaires que hiérarchiques. C’est un beau sujet de débat en tous cas. Un autre sujet voisin et également pertinent de mon point de vue c’est celui de la reconnaissance de la recherche qui serait proportionnelle aux résultats obtenus, cette approche a l’inconvénient à mon sens d’écarter peut-être du champ de la recherche les sujets les plus difficiles et dont on n’est pas sûr d’obtenir un résultat probant alors que le sujet en soit peut avoir un intérêt pour l’humanité ; peut-on encore aujourd’hui accepter l’idée que rechercher c’est avoir la volonté de trouver des éléments de réponse mais que parfois ça peut ne pas déboucher sans que ce soit du temps perdu pour autant.

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