Journalistes contre lecteurs : à la recherche de la vérité ?

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En consacrant le dossier de son n°25 au lynchage médiatique, la revue Médias ne pouvait savoir l’actualité de son thème (affaire politique d’influence concernant un ministre au début juillet 2010) compte tenu de sa date de bouclage antérieur à la polémique. Cependant, ce dossier (tout comme la revue) est bien fait, même si certains points demandent discussion. En effet tout en posant à juste titre la question de l’effet négatif d’une (sur)exposition médiatique, il ne va pas assez loin d’analyse de toutes les formes d’exposition médiatiques. En concluant en particulier à la responsabilité première du lectorat après avoir disséqué la responsabilité des acteurs directs (pouvoir, justice, victimes…) ou indirects (journalistes) on sent revenir à la surface cette question de la responsabilité du lecteur dans ce qu’on lui donne à lire, sous prétexte qu’il en est l’acheteur.  Cette question de la pertinence du contenu des médias peut-elle être renvoyée au lecteur au nom de son intelligence à discerner ? Plusieurs points de vue méritent débat surtout si l’on entend en retirer un axe de travail pour l’éducation des jeunes.
A chaque fois qu’un support d’information nouveau est apparu, les détenteurs du pouvoir/savoir ont craint la perversion. L’exemple d’Internet illustre bien ce fait qui a parcouru l’histoire même de l’information et de ses supports. Lors des affaires judiciaires qui ont défrayé la chronique et ont livré comme coupables des personnes qui ne l’étaient pas, au moins sur un plan juridique (autrement dit avant l’issue du procès), on a pu observer que le critère de détermination d’un niveau de certitude d’une information (une vérité ?) était extrêmement variable d’un journaliste à l’autre d’un média à l’autre. Lorsque le public est invité à s’exprimer sur ces affaires il le fait à partir des informations qui leur sont proposées par ces intermédiaires. Le public n’a aucun moyen de vérifier par lui même ce que le média propose (contrairement à la règle de la preuve scientifique). Du coup l’expression du public n’est pas celui de son opinion personnelle, mais celle construite à partir de ce que les médias ont mis en place pour la construire. Allez sur les espaces d’expression qui suivent l’information sur le site de nombreux médias et vous comprendrez que la plupart des commentaires grand public sont tributaires de celui qui parle en amont d’une manière ou d’une autre (pour ou contre par exemple).
Autrement dit en rendant le lecteur ignorant des sources d’information celui qui émet une information est responsable de ce qui advient de ce qu’il écrit. En d’autres termes on ne peut accuser le public d’être responsable du contenu des informations qu’on lui livre parce qu’il est prêt à payer pour. Une première raison est qu’il ne connait pas l’information avant d’y accéder et donc ne peut choisir d’aller plus loin ou non (sur le papier); une deuxième raison est que les professionnels ne donnent pas réellement les moyens au lecteur de se substituer à eux pour vérifier ce qu’ils disent (au nom de la professionnalité); une troisième est que la tentation de celui qui à le « droit » à la parole médiatique est qu’il est sur de son fait puisqu’on lui en donne la légitimité (réelle dans les faits imaginaire dans le fond). Le lecteur est d’abord une personne potentiellement manipulable et l’auteur ne peut faire abstraction de ce point.
L’émergence d’Internet, ayant permis le développement de « caisses de résonances » de la part du public, pourrait renforcer l’idée que le public est responsable de ce qu’on lui donne à lire. Ainsi le professionnel peut-il aisément constater l’écho de ce qu’il dit en lisant les contributions en ligne. Mais l’honnêteté intellectuelle l’oblige à réfléchir au sens de cet écho. Une analyse plus approfondie de la participation du public à des espaces d’expression en ligne a amené à penser qu’on disposait là d’un outil qualitatif intéressant pour mesurer les attentes du public. Certains professionnels s’en sont emparés pour « mesurer la température » conscients des limites de leurs a priori. Malheureusement ils n’ont pas appris grand chose d’autre que ce que les habituels protestataires leurs donnaient à lire dans les courriers envoyés auparavant. Certains, s’appuyant alors sur cette masse non contrôlable de réactions en ont tiré une légitimité nouvelle, voire même une importance nouvelle et ceux-là même ont ouvert des espaces personnels en plus de leurs espaces professionnels. La confusion est alors devenue totale entre les ordres du discours : le professionnel dans un support professionnel, le professionnel dans un support grand public, un grand public dans un support professionnel, un grand public dans un support grand public; tout est possible…
La confusion des niveaux de discours et la qualité intrinsèque propre à chacun des ses niveaux ont rendu la « vérité » encore plus difficile à mesurer. L’exemple des lynchages médiatiques est assez édifiant et illustratif. La déontologie supposée du monde professionnel a depuis longtemps été questionnée (cf. le travail de D Scheidemann, aussi discutable soit-il). Désormais c’est l’ensemble de la chaîne éditoriale jusqu’au lecteur compris qui doit être questionnée. Or le travail d’éducation à la « vérité » (et ici il faudrait bien évidemment repenser philosophiquement ce que cela veut dire) ou au moins au chemin vers la vérité est en question dans ces évolutions. L’arrivée d’une parole sans intermédiaire ne justifie pas, dans le domaine que nous abordons ici, la confusion de la part des professionnels. Mais on me rétorquera qu’ils ne peuvent pas vivre de cette pureté. Le problème est réel. Mais il l’est aussi pour la science.
En fait c’est dans la tension que l’on peut aller vers l’éducation à l’information et aux médias. Cette tension elle s’exerce entre l’incertain et le souci de la méthode. L’incertain parce qu’il doit être fondamentalement à la base de toute information digne de ce nom (ce que nous pouvons en dire ici et maintenant). Le souci de la méthode pour permettre à chacun de comprendre comment on en est arrivé à produire cette information. En d’autres termes un travail d’éducation dans ce domaine doit se baser sur deux fondamentaux : la remise en cause systématique et l’explicitation de la procédure. Enfin, et bien évidemment, il faudra aussi ajouter la dimension de l’historicité. En effet l’expression d’une information (sa publication) s’inscrit dans la suite d’évènements situés (contextualisation) qui lui donne naissance. Dans ces évènements (au sens large) il y en a un, et ce n’est pas le moindre, qui doit être regardé de très près : l’histoire même de l’auteur de cette information et de la relation qu’il a avec elle. A ces quelques conditions qu’il faut s’appliquer à soi même en premier lieu, on peut espérer entamer une éducation des jeunes à l’information. Quant à la vérité…. elle attendra !!!
A suivre et à débattre
BD

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