Nouvelles technologies nouvelles compétences ?

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Il est toujours agréable et désagréable de voir ses anciennes idées réutilisées comme nouvelles par d’autres plusieurs années après. Agréable car cela signifie que vos idées avaient déjà été perçue et que leur confirmation renforce votre vision. Désagréable car on a rapidement l’impression que dans le flot des données le dernier qui parle a raison, qu’il est innovant et visionnaire, sauf que ce n’est pas vrai.
Ainsi en est-il de ce texte que j’avais commis en 1998 et qui à l’époque n’était pas totalement visionnaire, mais dont je retrouve aujourd’hui, sous des formes voisines, la reprise au moins partielle. C’est pourquoi je ne résiste pas à l’envie de republier ce texte… de 1998 (17 ans déjà)…
A suivre et à débattre
BD
PS On trouve facilement sur la toile et dans les librairies nombre de documents plus récents qui confirment mon analyse.
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Cette intervention a eu lieu lors du forum Transfrontalier (Canton de Genève, Val d’Aoste, Haute Savoie) en Mars 1998
  Nouvelles technologies nouvelles compétences ?
 
Avec le développement actuel des nouvelles technologies nous pouvons constater que le monde du travail change. Face à cette évolution les jeunes sont confrontés à la nécessité d’intégrer ces changements. Après avoir essayé d’analyser les formes actuelles de ce changement dans le monde du travail, nous essaierons de comprendre quelle nécessité il y a pour les jeunes d’intégrer ces chargements, et ainsi essayer d’envisager quelles sont les stratégies à mettre en oeuvre dans un établissement scolaire pour répondre à ces nouveautés.
 
1 – Comment le développement d’une technologie modifie le travail ?
Une échelle mondiale.
La première caractéristique du changement de mode de travail est celle, et cela est banal désormais de le dire, de la mondialisation. Dans toutes les entreprises le développement et la stratégie dépassent désormais les frontières du pays d’origine. Il faut compter avec l’ensemble des entreprises, partenaires ou concurrentes, où qu’elles soient situées dans le monde entier. L’entreprise s’adapte donc progressivement à cette nouvelle donne et intègre bien évidemment les outils nécessaires pour y faire face.
L’ omniprésence de l’information
La multiplication des informations mises à disposition des individus dans le monde entier développe ce que certains appellent à une nouvelle société informationnelle. L’information est désormais non seulement disponible en permanence mais elle s’était largement multipliée et personnalisée. Le représentant de commerce, la secrétaire ou encore le cadre peuvent être en liens permanents et ainsi échanger les informations dont ils disposent. Les moyens de stockage ainsi que les moyens de diffusion de l’information sont les instruments de base de ce changement.
L’absence et distance en question
Les outils nouveaux tels Internet ou le téléphone portable dont l’usage se multiplie dans les entreprises tendent à faire disparaître les distance qui séparent le salarié du lieu de décision. Les notions de temps de travail et des disponibilités deviennent donc extrêmement relatives. L’ensemble de ces technologies et depuis trés longtemps tent à réduire les distances entre les salariés et leurs entreprises, entre l’ensemble des acteurs de la société, et tendent aussi à supprimer l’absence physique en la remplaçant par une présence virtuelle.
Une complexité grandissante
La perception qu’à désormais le salarié de son environnement est de plus en plus fragmentaire. Le flot d’information, l’absence de points de repère dans l’espace et dans le temps sont des éléments qui concourent à faire percevoir le monde comme complexe. Dès que le salarié essaie de comprendre comment sa tache s’insère dans la globalité, il s’aperçoit que les liens sont extrêmement nombreux, extrêmement complexes, et que, toute modification à son niveau, peut avoir des répercussions sur bien d’autres niveaux qu’il n’aperçoit pas a priori.
La libre concurrence comme modèle
Le cadre de cette évolution technique qui propose une société ayant l’information au centre de ses préoccupations s’appuie sur un modèle d’économie fondée sur la libre concurrence. L’objectif assigné dès lors à l’introduction des nouvelles technologies dans un cadre professionnel doit être au service de la productivité et ainsi permettre à l’entreprise d’être au niveau de ses concurrents. Jusque dans que sa tâche quotidienne, le salarié perçoit cette concurrence qui peut même lui faire perdre son perdre son emploi. Il doit donc nécessairement, non seulement faire face aux concurrents extérieurs à l’entreprise, mais aussi à ceux qui se trouve dans l’entreprise voire même aux technologies susceptibles de le remplacer.
 
2 – Comment les jeunes pourront-ils intégrer ces changements ?
Savoir s’adapter
Il est devenu banal de dire à des jeunes que dans leur vie ils auront à effectuer des métiers différents. Toutefois la réalité du travail n’est pas exactement celle-là. En réalité on peut observer qu’il s’agit davantage de s’adapter progressivement à de nouvelles conditions survenues dans l’environnement. C’est bien davantage une adaptation qu’à un changement de conditions de vie, de conditions de travail. Cette évolution permanente suppose donc que les jeunes développent cette capacité à s’adapter en particulier face à l’incertain.
Conduire sa trajectoire de vie
Si un certain fatalisme semble envahir une partie de la population, en particulier celle en difficulté, il semble bien nécessaire aujourd’hui de préparer les jeunes à ne pas accepter passivement les événements qu’ils ont à affronter. La sociologie des organisations, en particulier Michel Crozier dans « l’acteur et le système » propose désormais une idée selon laquelle tout individu doit pouvoir influer sur sa trajectoire de vie. Le développement progressif de la notion de projet, projet personnel de l’élève, etc. sont des signes de cette prise de conscience. Il faudra toutefois veiller à ce que cette mise en projet ne soit pas une injonction des adultes envers les jeunes mais bien l’intégration dans les dispositifs d’enseignement et l’éducation de la possibilité pour le jeune de développer la compétence à conduire sa trajectoire de vie .
Discerner et trouver la formation adaptée
Les jeunes se trouvent souvent face au paradoxe suivant : une immensité de choix et l’impression de ne pouvoir en faire aucun. La multiplicité des sources d’information de même que la possibilité d’accéder aux ressources du monde entier au travers des réseaux donnent l’impression de disposer d’une ouverture impressionnante et riche, permettant de faire des projets d’avenir. Dans le même temps les propositions de la société en terme d’insertion sociale se réduisent et de nombreux jeunes dénoncent les horizons bouchés.
Pour faire face à cette vision paradoxale et forcément réductrice, il est indispensable de préparer les jeunes à discerner dans la multiplicité des choix offerts et ainsi de construire un chemin. Le risque de désespérance reste grand pour ceux qui ne bénéficient pas de cette perspective d’ouverture, contraints qu’ils sont par une origine qui les disqualifie a priori et les enferme dans des trajectoires prévisibles.
Travailler en collaboration
La montée de l’individualisme, très souvent notée au cours des dix dernières années, a développé un modèle dans lequel une certaine idée de réussite ne pouvait avoir lieu que pour l’individu qui serait vainqueur d’une lutte contre les autres. Cette vision, renforcée par la libre concurrence, s’avère être un leurre dès que l’on essaie d’analyser l’environnement social, technique et économique. En effet, pour parvenir à réaliser des projets, il est de plus en plus indispensable de travailler à plusieurs. C’est à dire de travailler en « collaboration », dans le même esprit au service d’un projet partagé. Parler de travail collectif ne suffit pas , il s’agit en fait d’une taylorisation déguisée qui répond souvent à un impératif économique à court terme. Le travail collaboratif, qui s ‘appuie sur les notions de réseaux et de partenariat devient progressivement le moyen privilégié pour développer des projets.
Accepter l’incertain
Les jeunes qui essaient de trouver du sens dans des engagements extrémistes, politiques ou religieux, témoignent d’une peur de l’incertain apparue suite à l’écroulement du modèle rationaliste, vécu en particulier après la fin des trente glorieuses (1945 – 1975) et avec l’apparition des crises successives inaugurées par la question pétrolière, puis par la chute des idéologies communistes. Le modèle libéral triomphant, appuyé sur la mondialisation et la libre concurrence, n’apporte pas de réponse suffisamment significative pour le jeunes. La présence de l’incertain dans les espaces de la vie quotidienne demande à être acceptée. Les jeunes ont donc à développer de nouvelles attitudes, pour lesquelles les adultes ne présentent pas encore de modèle construit, identifiable dans des projets et des choix de société. De la violence, vers les autres ou vers soi même, à l’adoption d’attitudes sectaires, l’incertain fait peur aux jeunes, ils essaient de construire des bases pour dépasser cette angoisse.
 
3 – Quelle stratégie mettre en oeuvre dans l’établissement scolaire ?
A partir de ces constats, il me semble possible de proposer des pistes d’action pour l’école afin que celle-ci retrouve sa place dans une société transformée par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Développement de l’autoformation
A l’opposé du modèle scolaire traditionnel (la forme scolaire), être capable de s’autoformer devient prioritaire pour les jeunes. L’école doit donc développer des stratégies dans lesquelles elle ne décrète pas l’autoformation, comme si cela s’apprenait comme n’importe quelle autre matière, mais qui permettent aux jeunes de développer progressivement des attitudes d’autoformation au sein du système d’enseignement. La direction de l’apprentissage ne dépend alors plus seulement d’un programme décrété par un ministère, où d’une progression décidée a priori par un enseignant, mais aussi du sens et de la direction que le jeune tente de mettre dans sa trajectoire.
Culture de la responsabilité
Les tentations de conformisme scolaire sont très grandes chez les élèves et les enseignants. S’il est rassurant de trouver des points de repères autour de soi, il est dangereux d’oublier d’apprendre à en poser soi même. La notion de responsabilité semble essentielle pour parvenir à développer cette possibilité de construire ses propres points de repères, en les « mettant en débat » tant avec les adultes qu’avec les jeunes. Cet accompagnement de la « prise de la responsabilité » par le jeune suppose l’acceptation et la reconnaissance par l’adulte enseignant de cette évolution qui pourra être davantage douloureuse pour l’adulte, qui devra alors reconstruire une identité légitimée, que pour le jeune puisse devenir responsable.
Conduite autonome de projets
Au sein de l’établissement scolaire, la conduite à projets ne doit pas être du seul ressort des adultes. C’est en particulier lorsque les adultes demandent aux jeunes de définir leur projet (projet personnel de l’élève par exemple) qu’ils ont des difficultés à laisser le jeune les construire de façon autonome. Du désir de l’adulte à l’angoisse transmise au jeune, on sent souvent au travers de cette démarche de mise en projet une volonté de rationalisation de la trajectoire du jeune. Le développement de la conduite autonome de projets suppose que l’on mette en place les conditions de l’émergence de projets, mais pour cela l’école doit passer du statut de lieu de transmission des savoirs à celui de lieu de vie.
Travail de groupe
Le développement des travaux de groupe s’inscrit dans la dimension collaborative vue plus haut. Trop souvent alibi scolaire permettant de parler d’élève acteur, le travail de groupe devra s’orienter vers une véritable travail de collaboration entre les élèves et les enseignants. C’est avant tout un lieu de co-construction des savoirs.
La concurrence scolaire
L’énergie que les élèves mettent dans la concurrence scolaire pourrait être mise au service de la progression de chacun en fonction de sa trajectoire. Il s’agit donc de développer des modèles évaluatifs individualisés (les NTIC peuvent y concourir) permettant au jeune de comprendre sa progression. Les travaux sur les portefeuilles de compétences ou encore les arbres de connaissance et aussi de bilan de compétence sont des axes qui peuvent être explorés.
Production collective d’élève
Favoriser les apprentissage par production de savoir semble être prometteur, en particulier à l’aide des NTIC, dans ses dimensions de communication à distance et travail collaboratif. Les démarches permettant ce type de fonctionnement ne peuvent se développer que si elles sont ritualisées et acceptées de l’ensemble de la communauté éducative. Si elles sont occasionnelles, brouillonnes et marginalisées, elles ne peuvent être évaluées et développées. C’est souvent le sort des innovations pédagogiques que de rester ainsi. Cette attitude suppose des décloisonnements disciplinaires et des modifications de l’organisation du temps et de l’espace scolaire.
Recherche du sens dans la collaboration
Pour terminer, il semble important que le sens des actions menées dans l’école soit travaillé. Les informations transmises par les nouveaux médias supposent une distance critique qui ne peut se construire que dans l’interaction humaine. Cet apprentissage suppose que dans la relation pédagogique, il y ait cette recherche permanente d’explicitation du sens des actes. La dimension collective de cette démarche vise en particulier à lutter contre l’isolement psychologique de la justification.
Cette démarche vise à faire en sorte que les nouveaux médias, comme les plus anciens, ne soient plus extérieurs aux individus, mais bien intégrés et appropriés, c’est à dire que l’entrée dans une société informationnelle ne soit pas subie, mais bien analysée et si possible maîtrisée par les générations actuellement dans nos écoles et bientôt à notre place dans la société.
 

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  1. […] Il est toujours agréable et désagréable de voir ses anciennes idées réutilisées comme nouvelles par d’autres plusieurs années après. Agréable car cela signifie que vos idées avaient déjà été perçue et que leur confirmation renforce votre vision.  […]

  2. […] Il est toujours agréable et désagréable de voir ses anciennes idées réutilisées comme nouvelles par d’autres plusieurs années après. Agréable car cela signifie que vos idées avaient déjà été perçue et que leur confirmation renforce votre vision. Désagréable car on a rapidement l’impression que dans le flot des données le dernier qui parle a raison, qu’il est innovant et visionnaire, sauf que ce n’est pas vrai.  […]

  3. […] Vous avez dit "Réalité augmentée" ? – Les MédiaFICHES. La réalité augmentée (ou RA) est la technologie qui permet d’ajouter des éléments virtuels (texte, image, vidéo, animation, son, sensation tactile…) à notre environnement proche. Tice 74 – Site des ressources pédagogiques TICE – Langage écrit et oral. Tout sur la pédagogie 3.01. Nouvelles technologies nouvelles compétences. […]

  4. […] pu le vérifier en comparant ce qui est écrit dans ce rapport et ce que, nous-même avions écrit à la fin des années 1990. Il est intéressant d’y trouver des similarités avec ce que l’on peut lire […]

  5. […] n’est pas homogène. Pourquoi la lecture numérique est-elle différente ? Hubert Guillaud. Nouvelles technologies nouvelles compétences. Il est toujours agréable et désagréable de voir ses anciennes idées réutilisées comme […]

  6. […] Si certains surdoués vivent très bien avec leurs aptitudes, d'autres sont en grande souffrance, se voient comme des marginaux, sont blessés de lire dans le regard des autres leur étrangeté. "Avoir un QI élevé, ce n'est pas tellement être quantitativement plus intelligent que les autres, mais surtout avoir un fonctionnement qualitativement très différent au niveau intellectuel", souligne Jeanne Siaud-Facchin, auteure de Trop intelligent pour être heureux (éd. Nouvelles technologies nouvelles compétences. […]

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