Usage des technologies numériques, des évolutions ?

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L’enquête annuelle du CREDOC se révèle toujours aussi passionnante à décortiquer. Cette année encore, la livraison de cet opus mérite qu’on s’y arrête et qu’on en regarde de plus près certains aspects. Au premier rang de ceux-là est l’écart générationnel des pratiques et non pas des taux d’équipements (ce sont les adultes qui achètent !). En moyenne la population qui a accès à Internet dans le foyer (82%) est connectée pendant 17 heures par semaine (en augmentation par rapport aux années précédentes), mais ce sont surtout les 18-24 ans qui crèvent le plafond avec 27 heures hebdomadaires. Dans le même temps le taux d’équipement en téléviseurs (98%) est identique depuis 2000, les usages de la télévision se diversifient (visionnement sur d’autres terminaux, replay et téléchargement) et c’est selon les catégories sociaux professionnelles que l’on remarque les différences de pratiques.
Deux focus peuvent intéresser l’éducateur : la protection et les réseaux sociaux. Mais auparavant signalons que cette enquête apporte un regard spécifique sur les 12 – 17 ans, et segmente son enquête selon les tranches d’âges. Cela intéresse bien sûr les collèges et les lycées, mais aussi l’enseignement supérieur, tant les caractéristiques de la population des 18 – 24 ans sont spécifiques.
L’enquête du Credoc consacre deux chapitres et plusieurs paragraphes aux risques, à la sécurité et à la protection des enfants. Ce que l’on constate, que ce soit pour les questions d’onde, de sécurité, de protection des données, mais aussi des enfants, c’est un paradoxe : on craint, mais on utilise. En d’autres termes, ce type d’enquête déclarative, dans ce domaine comme dans d’autres révèle l’écart entre certaines représentations et les conséquences sur les usages. Si un parent sur deux met en place une régulation de l’activité Internet chez les enfants, cette régulation s’estompe au fur et à mesure entre 12 et 17 ans. Elle est évidemment beaucoup plus forte pour les 12-14 ans. Le paradoxe qui s’installe dans notre société est celui de la crainte exprimée, mais d’un usage très important malgré ces craintes. Ce paradoxe est un problème éducatif, mais sur un plan sociologique et politique pose problème. La domination du discours de promotion des technologies sur les discours de danger de risque, voire de principe de précaution semble concerner particulièrement le domaine du numérique. On peut penser que les publicitaires et les promoteurs de ces technologies ont su faire passer un message que les opposants ne parviennent pas à endiguer. L’image satirique d’une ancienne ministre de l’écologie présentée par les Guignols de l’info (Canal+) comme accro aux portables et à twitter semble trouver sa traduction dans les faits.
La protection et le suivi des usages des technologies par les enfants semblent donc être un discours. Ainsi l’équipement en smartphone des jeunes de 12-17 ans est de 59% celui des 18-24 ans de 81%, tandis qu’au-delà de 40 ans les chiffres sont plus bas. Les urbains à haut diplôme et à revenus supérieurs sont les premiers dotés de ces équipements. Ces chiffres sont révélateurs d’un phénomène que l’on découvre progressivement qui concerne les écarts entre population, non pas dans les équipements, mais dans les usages potentiels de ces équipements. Les classes supérieures ont bien conscience de l’enjeu lié à la possession et à l’usage des technologies dans le devenir de leur position dans la société. En d’autres termes les populations « dominantes » sont des bons révélateurs de ce qui fait la « distinction » présente mais surtout à venir dans notre société.
Autre domaine intéressant et véritable révélateur d’une fracture générationnelle globale : l’usage des réseaux sociaux numériques (à parti de la page 135 du rapport). Les écarts observés méritent quelques focus : en page 136 un schéma révèle que dans les usages de l’ordinateur et d’internet, la participation aux réseaux sociaux est de 8% inférieur dans les populations à hauts revenus (42%) par rapport aux bas revenus (50%). A la page suivante on lit que l’écart entre les jeunes et les adultes est bien plus impressionnant. 77% des 12-17 ans participent aux réseaux sociaux contre 45% pour les adultes. A la suite les autres écarts sont liés au diplôme détenu : au-dessus du bac 55%, en dessous 36%. Ces écarts sont parmi les plus remarquables de cette enquête. Ils nous alertent, en tant qu’éducateur sur la nécessaire prise de conscience de la place des réseaux sociaux dans la vie des jeunes. L’enquête ne précise pas (dans les tableaux complémentaires) suffisamment finement les spécificités du non usage des réseaux sociaux numériques selon les professions. En effet, il semble que, d’après nos observations et enquêtes rapides effectuées dans des établissements scolaires, les enseignants ignorent pour la plupart l’usage des réseaux sociaux numériques. S’ils s’y connectent ce n’est pas pour participer, mais pour voir… éventuellement leurs élèves.
La culture réseau, dont l’enquête du Credoc nous dit, au travers des pratiques sociales habituelles, qu’elle existe d’abord en dehors des réseaux numériques, émerge d’une nouvelle façon pour les jeunes. Jeune, on entre aussi en réseaux par le numérique. Mais en même temps ces réseaux (cf. les études sur les amitiés en ligne et hors ligne) sont la continuité des réseaux humains déjà constitués (amis de la classe, famille, sports etc…). Adulte on est dans des réseaux humains (parfois) mais peu dans les réseaux numériques.
En termes d’éducation et de scolarité, il est nécessaire qu’un travail soit effectué plus globalement sur la formation, la culture, l’esprit réseau. D’abord celle-ci n’est pas nouvelle, mais elle se renouvelle. De plus un mouvement important autour de la collaboration a émergé en particulier à la fin des années 1990, début des années 2000 en même temps que le développement d’Internet. Or il semble bien que la culture individualiste, centrale dans le modèle scolaire actuel (un enseignant seul dans sa classe, un élève seul face à ses apprentissages, une concurrence voire une compétition pour réussir scolairement) soit la matrice du raisonnement, des représentations sociales des acteurs (tous, parents y compris). Il est temps que l’on engage une véritable réflexion sur de nouvelles manières de faire mais aussi de penser et d’agir. Mais est-ce possible dans le cadre actuel de fonctionnement du monde scolaire ?
A suivre et à débattre
BD
On peut accéder à ce rapport à l’adresse: http://www.credoc.fr/publications/abstract.php?ref=R317

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