La plus formidable réussite éducative et culturelle ?

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Si l’écrit a mis près de trois mille ans à s’imposer, le livre près de cinq siècles, Internet, le web et les appareils informatiques associés auront mis près de cinquante années à s’imposer à l’ensemble de la planète (ou presque). Cette accélération de la vitesse de circulation de l’information entre humains est impressionnante. Elle s’accompagne d’une massification des moyens personnels de bénéficier de cette accélération. On constate donc désormais l’équipement de plus en plus important des humains, de leur connexion entre eux soit directement soit par l’intermédiaire des serveurs informatiques disséminés dans notre environnement. Cette évolution très rapide est en train de transformer l’organisation de nos vies quotidiennes et en particulier nos relations, nos interactions humaines et nos accès à l’information. Certains évoquent même des changements culturels.
C’est cette transformation rapide de notre environnement techno-informationnel et communicationnel qui constitue une alerte importante : comment se fait-il que cela se soit produit dans un temps aussi court, quels sont les changements produits dans un tel laps de temps ? Une des modalités principales de la transmission des informations et des savoirs vient de subir une évolution brusque. Comme à chaque avancée technologique significative (on pense ici à l’électricité), le passage de l’invention à la banalisation s’effectue sous l’effet conjoint de plusieurs paramètres : économiques, techniques, politiques, culturels. Dans le cas des objets informatiques connectés et de leurs contenus, il y a effectivement convergence. Toutefois la rapidité avec laquelle cette convergence s’est traduite en faits du quotidien suppose une analyse critique. L’adoption massive en moins de cinquante année des technologies issues de la convergence informatique, télématique et audiovisuel s’appuie sur un ensemble d’actions qui remettent en question ce qui est en place. Ainsi en est-il du monde scolaire qui, conscient de l’évolution comme le montrent les politiques dans le domaine, se sent malmené, bousculé à plusieurs points de vue.
Disons le ici : quelle extraordinaire réussite que cette massification du « numérique » à l’échelle planétaire. Numérique, que nous définissons ici comme la socialisation de technologies convergentes aussi bien matérielles que logicielles basées sur les quatre éléments que rappelle Michel Serres : captation, stockage, traitement, diffusion de l’information. Ce sont principalement des entreprises d’échelle mondiale qui ont réussi à mener ce développement. Elles ont réussi à convaincre l’ensemble des sociétés d’adopter leurs technologies et à les utiliser. Convaincant aussi bien les décideurs, économiques et politiques, que les particuliers, ces entreprises réussissent à modifier significativement la vie en société, la culture humaine. Alors que les systèmes étatiques de pilotage ont tous montré leurs limites, même s’ils perdurent, ce sont des entreprises de taille mondiale qui sont aujourd’hui dans le pilotage des mutations de société. La première réussite est bien sûr l’adoption unanime dans tous les types de société de leurs technologies. Certes les politiques soutiennent cette réussite, bon gré mal gré. Mais surtout ils sont largement dépassés la plupart du temps et tentent de suivre le mouvement. On peut l’observer en France en ce moment avec l’ensemble des mouvements institués ou non, CNNUM, French tech et autres espaces de développement du numérique qui fleurissent un peu partout. Mais suivre et encourager les innovations greffées c’est aussi renforcer la puissance de ces quelques entreprises qui ont réussi leur implantation mondiale.
On peut qualifier cette généralisation de formidable réussite culturelle dans la mesure où les transformations que l’on peut observer en train de se faire sous nos yeux touchent toute l’activité humaine. On peut aussi la qualifier d’éducative dans la mesure où elle concerne la transmission au sein de nos sociétés. Alors que les systèmes issus de la domination du livre et de l’écrit (bibliothèques, écoles, musées) ont achevé leur œuvre magistrale qu’il faut saluer, le bouleversement technologique actuel en montre désormais les limites ou tout au moins les insuffisances. On est passé d’un pilotage par le politique (rappelons ici Condorcet et les débats de 1791) à un pilotage par le marché (observons les GAFAM et leurs proches). Faut-il pour autant adhérer à l’un ou à l’autre ? On ne peut que constater que l’adhésion au pilotage politique a permis la révolution industriel, l’école, une élévation réelle de la qualité de la vie ; mais aussi quelques grandes guerres à l’échelle mondiale. L’adhésion au pilotage du marché est un fait observable en faisant les poches et les cartables… de chacun de nous jeunes et vieux. Cela n’est-il que séduction, plaisir, facilité ? S’il y a peut-être aussi de cela (mais ne disait-on pas la même chose antérieurement), il y a surtout de nouvelles façons de vivre qui émergent. N’oublions pas que les technologies de l’information ne sont pas seules dans ce mouvement mais qu’elles accompagnent aussi d’autres évolutions tout aussi technologiques mais dans d’autres champs scientifiques. Et ces évolutions ont tout autant des conséquences importantes sur nos cultures (cf. la contraception, l’avortement par exemple, ou encore l’hygiène et la médecine).
Au cours des cinquante dernières années nous avons vécu un saut scientifique et technique considérable. La traduction sociale et culturelle est en train d’émerger. C’est pour cela qu’il y a de nombreuses hésitations, craintes (précautions ?), mais aussi enthousiasmes et parfois même aveuglements. Il est quand même intéressant de noter que l’adoption pas chacun de nous de ces techniques est aussi le fruit d’une nouvelle forme de transmission, fondée sur le marché, mais aussi sur des objets aux spécificités bien particulières. Steve Jobs et bien d’autres s’en sont fait les traducteurs opérationnels. La plupart d’entre nous n’avons pas les capacités à comprendre en profondeur et globalement ce qui se passe. Aussi faut-il que nous travaillions à reprendre la main sur ces évolutions, sans a priori, pour transformer notre société et en particulier son institution scolaire et universitaire.
A suivre et à débattre
BD

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