Comment on a empêché la prise de conscience du numérique en éducation !

Print Friendly, PDF & Email

Commençons par un aphorisme provocateur : ceux qui ont critiqué le B2i et ses successeurs, ceux qui ont freiné sa mise en place sont en grande partie responsable du fait qu’aujourd’hui la culture technologique des enseignants soit aussi faible. Même ceux qui dénoncent cette faiblesse (comme l’article du Monde https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/11/27/la-formation-au-numerique-une-tache-immense-pour-l-education-nationale_5389089_3232.html) et tentent d’imposer aujourd’hui un enseignement d’informatique (aux élèves et aux enseignants) faisaient partie de ceux-là qui critiquaient le B2i, le C2i et autres certifications créées entre 2000 et 2006 et inscrite dans la loi, mais jamais appliquée réellement. Pourquoi ces critiques et surtout pourquoi cette pression d’aujourd’hui ?
En 2000, quand se construit le B2i dans les couloirs du ministère, il y a une conscience aigüe de la montée rapide d’une transformation culturelle, sociale et bien sûr technologique et donc de la nécessité d’agir dans le monde scolaire. Un ouvrage de 1993 témoigne de cette réflexion au travers d’un des chapitres écrit par Jean Michel Bérard. Ce même inspecteur général, est le père de ce B2i et en même temps publiait en 2001, avec Anne Marie Bardi, un rapport sur l’enseignement de mise à niveau en informatique en classe de seconde » et les conclusions, à l’époque, étaient claires. Mais les opposants à cette approche étaient nombreux et aussi bien du côté des professionnels et chercheurs dans le domaine que du côté des sceptiques du progrès informatique voir des anti-technologiques. Comme de plus le B2i s’inscrivait dans une dynamique d’évaluation des compétences, il s’est trouvé mis de côté dans la majorité des établissements scolaires.
On a tort d’avoir raison trop tôt. Dans ma thèse sur le B2i et son développement (http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00345765/fr/), j’ai mis en évidence la force d’invention institutionnel de ce dispositif, ainsi que sa cohérence avec la montée en puissance des équipements personnels et des habiletés techniques des jeunes. Malheureusement, il faut admettre l’échec général de cette proposition combattue de toute part. Ce qui fâche aujourd’hui c’est de constater que les mêmes qui ont critiqué le B2i s’aperçoivent qu’aujourd’hui il y a une nécessité de généralisation aussi bien pour les jeunes que pour les enseignants. En critiquant de toute part cette initiative, qu’ils soient pros ou anti informatique, ils ont tous retardé la montée en puissance nécessaire d’une culture, non pas de l’informatique seule, mais du numérique. On peut entendre de la part d’une chercheuse de l’INRIA qui me disait récemment qu’enseigner des logiciels de bureautique ce n’est pas enseigner l’informatique. Mais couper le lien entre pratique et fondement d’une pratique, séparer l’informatique de ses usages (le bon grain de l’ivraie selon certains) est parfaitement irresponsable et ce d’autant plus que c’est le fondement des disciplines enseignées.
Le Pix ne risque pas de combler le fossé. Pourquoi, parce qu’il ne peut être simplement extérieur au système éducatif. Malheureusement les propositions du ministère sont nettement insuffisantes, et même si les enseignants obtiennent un certain niveau de certification PIX, cela traduira-t-il une réelle conscience technologique ? On ne peut qu’être d’accord avec l’article de ce chercheur de l’INRIA dans le monde à propos de l’urgence de formation. On ne peut que déplorer que ce soit maintenant qu’on en parle alors que cela fait près de quarante années que nous sommes nombreux, Georges Louis Baron, Éric Bruillard et bien d’autres à avoir tenté de faire avancer cette prise de conscience. Les divergences restent encore vives. Chacun tente d’influencer le pouvoir : les entreprises du secteur en mal de recrutement (les médias parlent d’une « école 42 » dans chaque région), les chercheurs du domaine en mal de reconnaissance (CAPES Agrégation), les autres disciplines en mal de territoire (regardons ce qui se passe à chaque rénovation des programmes, chacun prend sa calculette), les politiques, dont la plupart n’ont pas une vision à moyen et long terme, mais se contentent de contenter…
Désolé d’être aussi critique, mais il faut reconnaître que dès 1985 et le plan informatique pour tous (IPT) ces oppositions se sont exprimées. Mais ce que tous ces débatteurs n’ont pas vu venir, c’est la massification et la généralisation de l’informatique dans la société et de ses descendants, le numérique, les médias numériques et autres réseaux sociaux. Les usagers ont cantonné les informaticiens dans leurs salles obscures devant les écrans (et ils en sont souvent contents), ils ont développé avec quelques sociétés visionnaires une nouvelle manière de communiquer et d’informer. Mais il ne s’agit pas que de cela, il s’agit aussi de transformation des modes de vie privée (confère les articles du journal Télérama de début décembre https://www.telerama.fr/monde/partout%2C-tout-le-temps-tous-accros-a-nos-smartphones%2Cn5908086.php ).
Nous sommes désormais face à un problème global qui associe technique économie société et socialité, voir affect et émotions. Vouloir atomiser les approches en les opposant est contre-productif. Cela n’amènera, comme au début des années 2000 à une absence de prise de conscience, une absence de réflexion culturelle sur la place prise par l’informatique, et de ses compagnons médias, télématique… dans la société. Est-il pour autant trop tard. On peut penser que oui, à l’instar de ce qui se passe pour la prise de conscience écologique. Chacun de nous y voit commodité, facilité, mais très peu y voient contrainte, contrôle, algorithme, et autres programmes. Le prix de la liberté est bien sûr la connaissance et la conscience. Mais elle ne doit pas être kaléidoscopée !!!

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.