Les politiques sont incapables de penser l’accueil des enfants et des jeunes autrement que par le modèle scolaire, par l’école. Le retour, en cette fin d’année scolaire 2019-2020, à une situation de scolarisation obligatoire traditionnelle est un écho à deux choses : d’une part l’impossible créativité des politiques en matière d’éducation, le rêve du retour à l’état d’avant quand c’était mieux. Le ministère ne voit que par l’école et absolument pas par des propositions alternatives et complémentaires possibles, d’ailleurs il n’y a pas pensé pendant les trois mois de confinement, rêvant de l’époque d’avant et évitant d’imaginer d’autres choses pour l’avenir. Il s’appuie sur l’argumentaire républicain de 1789 pour justifier cette vision. Pourquoi pas, mais attention à ce que ce modèle ne soit pas le terreau de l’impossibilité de faire émerger des propositions alternatives ou complémentaires, mais plutôt celui d’une renormalisation scolaire, après une parenthèse pourtant riche d’enseignements.
Si l’idée de l’école est bien de permettre aux jeunes d’entrer en société, est-elle encore en phase avec de projet ? Nombre d’indicateurs montrent qu’elle est d’abord en phase avec ceux qui savent en profiter ou qui pensent pouvoir en profiter pour mieux entrer dans la société, ce qu’on appelait l’ascenseur social. Mais c’est lorsqu’elle ne donne pas les résultats escomptés qu’elle est contestée et cela parfois pour des raisons très différentes : inégalités, échec, sentiment d’exclusion, handicap, précocité etc… Attention, il y a, simultanément, dans toutes ces critiques des idées diamétralement opposées, ce qui conforte l’école traditionnelle comme une moyenne acceptable, mais aussi immuable. C’est l’habileté des dirigeants de tous les pays d’avoir compris le levier que peut être un lieu contraint en charge « d’instruction », surtout que dans nombre de pays il n’y a plus d’autres lieux, dispositifs de brassage social.
Certains nous parlent du numérique en éducation, d’autre d’enseignement hybride ou à distance comme possibilité pour demain. La fin de cette année scolaire, vacances comprises, est un remake de toutes les autres (hormis trois mois d’interruption). Il n’y a donc rien de nouveau. Malgré le volontarisme exprimé dans les « vacances apprenantes », il va y avoir deux bons mois pendant lesquels l’absence d’école ne fera plus problème. Et puis au retour, une reprise dans les mêmes conditions qu’un an auparavant. Car malgré les écueils envisageables autour de cette épidémie (mais aussi d’autres futures), les ouvertures permises vont être rangées au placard. Le numérique, anecdotique ; la distance, inexistante ; l’hybridation, à la rigueur avec la classe inversée. Même le manuel scolaire est menacé comme on peut le comprendre lors de l’interview du ministre le lundi 16 juin au matin. Il semble dire que l’on peut tout à fait apprendre en se passant des manuels scolaires… les éditeurs seront contents d’entendre ces propos.
Nous avions émis des propositions sur l’idée de repenser globalement l’éducation alors que le ministère s’entiche d’états généraux du numérique éducatif. Malgré la volonté de « retirer du positif » de cette période (car on ne pourrait pas apprendre des erreurs et des échecs ???), on est en train de voir émerger le fait que l’utilité à court terme doit piloter les choix éducatifs et en particulier ceux attachés au numérique. Cela fait quarante années que l’informatique tente de trouver une place dans le monde de l’enseignement en lien avec l’éducation. Toujours dans des hésitations liées aux pragmatisme court termiste des politiques, cette place n’a pas été mise (ou rarement) en lien avec une vision du faire société de demain. Car ces nouveaux moyens, en transformant le faire dans tous les secteurs de la vie (personnelle et professionnelle), ont simplement transformé notre compréhension et notre vie en société, et donc de la république. En faisant appel à l’esprit républicain de 1789, on en oublie la mondialisation rampante depuis plus longtemps encore, et ses conséquences globales. Or l’esprit républicain s’est fondé sur l’absence de structure formelle pour tous pour tenter de s’imposer à tous. A l’époque (relisez Condorcet) le contexte était très différent. Et d’ailleurs ces constructions de l’époque ont pu, finalement, profiter à de plus en plus de membres de la société Mais cela allait dans le sens d’un progrès conçu comme permanent, normal et inarrêtable. Hors l’épidémie à laisser entendre (12 années après la crise financière) que ce modèle pouvait, devait être interrompu ou transformé. Regardons alors ce documentaire de la chaine public-sénat « l’urgence de ralentir » (https://www.publicsenat.fr/emission/documentaires/l-urgence-de-ralentir-182614) pour comprendre cela. On y entend, entre autres Hartmut Rosa, dont les travaux vont aussi dans ce sens. Faut-il la même école (celle de la compétition et de l’élitisme républicain caché derrière le masque de l’égalité) si l’on choisit réellement de ralentir ?
Les vacances (les grandes, celles des moissons d’antan) arrivent. Finis les décrocheurs, finis l’enseignement à distance ! La représentation sociale de ce temps est tellement forte, en écho à celle de l’école, que l’on ne voit pas ce qui pourrait faire changer les choses. Comme chaque année la plupart des élèves vont subir ce que l’on peut nommer « l’évaporation cognitive ». Cette année, contrairement à ce que certains pensent beaucoup d’élève n’ont pas autant vécu cette évaporation qu’en temps de vacances (malgré un malheureux lapsus ministériel révélateur). Du coup c’est à la rentrée qu’il faut penser. Et comme on a envie de revenir comme avant, on teste pendant quelques jours (deux semaines) l’école pour voir si elle peut encore fonctionner en septembre. Ça y est, ces trois mois n’auront servi à rien. Nous ne serions plus en mesure d’apprendre de l’expérience surtout lorsque celle-ci est finalement mise de côté comme une parenthèse.
Nous avons entendu de nombreux prédictologues et chroniqueurs penser le monde d’après. Beaucoup d’entre eux, pris par le vertige médiatique, rêvaient au grand chamboulement. La réalité est en train de réémerger : laisser nous regoûter au bonheur d’avant… pour après, on préfère ne plus y penser. La classe en face à face (à un mètre latéral de distance paraît-il) va reprendre. Si le numérique à assurer la continuité de service, il semble nécessaire dans l’esprit des décideurs de fermer la parenthèse…
A suivre et à débattre
BD