Les états généraux du numérique éducatif, évoqués par les premier ministre et dont le ministère tente de s’emparer, devraient plutôt se transformer en états généraux de la pédagogie, enseigner apprendre, en période de crise.
L’expérience qui vient d’être vécue par tous les enfants, les parents, les enseignants, les personnels d’encadrement de l’éducation est exceptionnelle. Non pas parce qu’elle s’est fondée sur l’utilisation du numérique mais parce qu’elle est fondée sur la réflexion individuelle et collective sur ce que peut être apprendre et enseigner alors que le monument symbolique, l’établissement scolaire, n’est plus accessible. Car c’est l’absence physique, la distance qui impose de nouvelles formes, de nouvelles modalités pour agir et permettre à cette fameuse « nation apprenant », de fonctionner autrement.
Les critiques du numérique vont bon train jusque dans les propos des plus éminents. S’ils ont raison de fustiger les discours et les annonces tant des politiques que des commerciaux, ils ont tort de mettre de côté ces moyens techniques dont l’utilisation au quotidien, hors de la classe, ont fait irruption massivement dans la relation pédagogique. Car leur inquiétude s’appuie sur la crainte d’une autre continuité : que ces outils, désormais devenus la cheville ouvrière de l’acte pédagogique à distance, ne s’imposent au retour dans les classes. Rassurons les tout de suite, les plus fervents partisans du numérique éducatif ont, bien au contraire, compris combien il y avait une illusion à penser le « grand remplacement ». Même les pjus aguerris ont bien senti que leur attachement à cette relation entre l’enseignant et l’apprenant prenait d’autant plus d’importance qu’il était impossible dans l’espace de régulation interpersonnel qu’est l’établissement scolaire, la « maison de la co-nnaissance ». Par contre tous, zélateurs et opposants, ont constaté que de nouvelles formes de sociabilités, jusqu’à présent considérées comme marginales, se sont imposées comme « un bon complément » à une situation difficile à vivre. Le numérique peut aussi sauver des situations si difficiles à vivre, même si ce n’est pas pour tous de la même manière.
Ce qui semble faire peur c’est que l’on découvre des vertus jusqu’alors inaccessibles à ces moyens techniques que jusqu’à présent l’école a réussi largement à contenir en bordure de son mode d’action quotidien. Ce qui fait peur, c’est de se rendre compte que depuis vingt ans et l’inspecteur Bérard, on a négligé ces fameuses compétences d’usage si utiles pour tous et toutes. Ce qui fait peur c’est qu’on a fait basculer une population dans une angoissante situation alors que pendant vingt ans l’école a négliger d’en imposer la compréhension les règles les limites. Ils ont laissé les familles et les jeunes se débrouiller seul. Certains ont même été jusqu’à penser qu’ils n’avaient qu’à se débrouiller seuls alors qu’une nouvelle littératie, dont le vecteur est au moins équivalent à l’imprimerie et au livre qui s’est imposé à partir du XVIIIè siècle, transformait le rapport à l’information, au savoir, à la connaissance. A l’instar de Condorcet qui déplorait l’illettrisme, on ne peut que déplorer que l’école n’ait pas voulu prendre sa place dans ce monde désormais numérisé. Abandon du B2i, abandon du C2i, abandon du C2i2e et de tous les autres, bref refus d’imposer les fondamentaux d’une « culture numérique » ou plutôt de la place prise par les moyens numériques dans la culture.
Annoncer des EGN (états généraux du numérique) est une erreur, voire une sottise. Certes il y a eu un choc, n’y revenons pas. Certes les autorités intellectuelles s’en méfient. Certes certains rationalistes appuyés par des scientifiques (exacts surtout) et des entreprises dynamiques, y voient une urgence vitale pour l’avenir concurrentiel de notre pays… Mais le problème n’est pas là. Ne nous trompons pas de sujet. Nous avons un formidable mouvement autour de l’action enseigner apprendre qui se produit. Il pose de nombreuses questions éducatives. Passer à côté serait une erreur, voire une sottise. Alors que les équipes, dans de nombreux établissements, se sont réellement constituées alors u’elles balbutiaient en présence. Alors que de nombreuses dynamiques se sont développées, solidaires le plus souvent, on laisserait tout cela de côté, en jachère. La permaculture éducative pourrait ici, trouver son renouveau. Face à un pouvoir qui ne sait où aller véritablement et qui erre dans ses annonces, les actuers se sont mobilisés.
Et dans ces états généraux (pas des assises, mais des debouts) il ne faudrait pas oublier les jeunes, les élèves ainsi que les parents, les éducateurs. Car ce sont eux qui ont eu à vivre et à faire vivre le quotidien. Quand une enseignante de CP propose aux élèves qui le peuvent techniquement de se « lire des histoires à distance » pour leur permettre de garder l’envie d’apprendre à lire, de savoir lire alors qu’ils ne sont plus sous son regard direct, on ne peut que confirmer l’inventivité et la qualité des propositions. Car l’enseignante a ici compris que ces jeunes enfants ont été stoppés dans leur élan vers la lecture et que cet élan c’est dabord entre eux qu’il faut le faire vivre et non pas parce que la maîtresse ou le maître le demande. Et ces parents, non pas uniquement ceux qui ont un grand appartement « traversant » avec matériel informatique et disponibilité (comme on en a tant montré), mais tous les parents ordinaires, en difficulté et sans accompagnement réel des équipes enseignantes, ils ont aussi inventé le quotidien, tant bien que mal, jusqu’à même préférer la télé, ou la console de jeux, au travail scolaire, tant la situation était devenue tendue et insupportable. On peut déplorer que trop peu de choses aient été faites dans leur direction. On n’avait pas préparé les parents, mais depuis de trop nombreuses années, la société n’apprend plus vraiment à devenir parent, même dans les situations de crise. La thérapie de la chambre à coucher envahie d’écran n’est qu’un moyen de survivre, pas un choix éducatif. Comment permettre à un parent de devenir réellement éducateur (et non pas enseignant, instructeur, CPE) de ses enfants.
Pas d’Etats Généraux du Numérique Educatif, monsieur le ministre, nous n’en avons pas besoin, nous n’en voulons pas. Par contre un véritable travail sur éduquer, faire école et faire société en période de crise pour en tirer les enseignement pour les temps ordinaire, voilà la priorité.
Pour des Etats Généraux de la pédagogie, de l’enseigner, de l’apprendre, de l’éduquer qui permettraient de remettre la question éducative au coeur de la société. Réinterroger Rousseau, Condorcet, Ferry, Montessori, Freinet, et tous les autres ainsi que Paulo Freire, Ivan Illitch, est important, mais ne suffira pas. Il faut y associer tous ceux qui sont confrontés à cette réalité du quotidien. Dommage que le CSEN (Conseil Scientifique) ne soit pas emparé de ces questions, inaudible qu’il est en ce moment.
A suivre et à débattre
BD